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Le noir lui va si bien

Avec Et les vivants autour, son treizième roman hautement addictif, la Bruxelloise Barbara Abel s’impose comme la reine du thriller domestique. Elle se confie sur son succès et nous fait découvrir ses quatre livres préférés.

La difficulté des romans de Barbara Abel, qui n’ont rien à envier à ceux de Gillian Flynn, Harlan Coben ou Linwood Barclay, ce n’est pas tant de les lire – on les dévore – mais bien de les raconter sans rien déflorer. Et les vivants autour (1) ne déroge pas à la règle. Parce que la miss a toujours le chic de poser l’ambiance, imposer subrepticement une sale tension, une violence sourde pour tout faire exploser après à peine cent pages. Dans Et les vivants autour, c’est Jeanne (29 ans), dans le coma depuis quatre ans, qui cristallise l’explosion imminente de la cellule familiale. Lorsque père, mère, frère et conjoint rencontrent le médecin de Jeanne, ils s’attendent à ce que le staff médical jette le gant. Sauf que…

Duelles, dont l'adaptation américaine est en route, a remporté neuf statuettes aux Magritte (photo : Veerle Baetens et Anne Coesens).
Duelles, dont l’adaptation américaine est en route, a remporté neuf statuettes aux Magritte (photo : Veerle Baetens et Anne Coesens).© dr

Et voici les principaux extraits d’une rencontre qui tenait plus de la conversation informelle que de l’entretien traditionnel, il y a quelques semaines. Une époque qui paraît lointaine aujourd’hui, où on pouvait encore se faire la bise et s’installer autour d’un café dans les salons d’un hôtel bruxellois à moins d’un mètre cinquante de distance.

Evoquons d’abord la soirée des Magritte où Duelles, le film de Olivier Masset-Depasse, adapté de votre roman Derrière la haine, a remporté neuf statuettes. Comment avez-vous vécu cette soirée du 2 février dernier ?

Plutôt bien, surtout avec le Magritte du scénario, et à partir de là, je suis sur un nuage. Et puis, le rêve continue avec l’adaptation américaine par Olivier et surtout le duo Anne Hathaway et Jessica Chastain (NDLR : Veerle Baetens, Magritte de la meilleure actrice, et Anne Coesens dans la version franco-belge). Ma seule demande, c’est de faire une figuration à Hollywood, la même que dans Duelles. Quand le tournage démarrera à Los Angeles, c’est clair que j’irai y passer une semaine. Tout ce que je peux encore dire, c’est que le souhait de Jessica Chastain, qui est aussi productrice, est de situer le film, comme Olivier, dans les années 1960.

(1) Et les vivants autour, par Barbara Abel, Belfond, 448 p.
(1) Et les vivants autour, par Barbara Abel, Belfond, 448 p.

Vos thrillers sont, pour reprendre une formule éculée, impossible à lâcher. Est-ce qu’on peut y voir l’influence des séries télés ?

Oui, forcément. Une influence concrète sur mon travail, c’est Game of Thrones, parce que tout y est possible scénaristiquement. Cette série m’a appris l’audace, m’a donné envie de toucher des émotions qu’on ne peut faire qu’en osant. Avec une certaine crédibilité et une bonne raison.

Tentée par l’écriture de séries télés ?

J’y suis là, actuellement. Je travaille avec une coscénariste, Sophia Perié, pour une minisérie RTBF de six épisodes. Le titre de travail est Attraction. Et l’idée de départ : on ne sait jamais avec qui on vit.

Comment décrire ce nouveau challenge ?

Le roman, c’est la liberté absolue. L’écriture d’une série, ce n’est que contraintes. J’apprends qu’un épisode s’écrit en quatre actes avec un cliff à la fin de chaque acte de quinze minutes. J’apporte beaucoup de spontanéité et d’audace mais ensuite, je dois m’adapter aux codes du genre. Quand vous écrivez pour la télé, l’écriture est descriptive, un peu plate.

A peine en librairie, Et les vivants autour collectionne les dithyrambes sur les blogs spécialisés. Ce serait votre meilleur roman. Vous avez une idée du pourquoi ?

Je n’en sais rien ( sourire). Les retours des libraires et blogueurs qui me connaissent et me suivent sont emballés, c’est vrai.

La thématique y est sans doute pour beaucoup : une jeune femme dans le coma depuis quatre ans qu’on s’apprête à débrancher avec, forcément, d’énormes dommages collatéraux…

Je me permets d’insister sur le fait de ne rien dévoiler parce que lors des cent premières pages, le suspense est tel qu’on se demande si elle va être débranchée ou pas. Reste que c’est l’histoire d’une jeune femme qui est dans le coma depuis quatre ans. Son médecin convoque la famille et la maman est persuadée que le corps médical va ordonner l’arrêt des soins et le débranchement des machines. Elle va tout faire pour garder sa fille en vie sauf que ce n’est pas ça qu’on va lui annoncer.

Avez-vous rencontré des gens qui ont connu le coma de près ou de loin pour nourrir ce roman ?

J’en ai rencontré un, qui est resté pendant trois semaines et surtout, j’ai rencontré sa maman, sa compagne et son frère. Trois semaines n’est pas quatre ans mais tous m’ont dit que sa vie à lui s’est figée. Et par ricochet la vie des proches s’est figée aussi. Suspendus à l’évolution d’un état qui n’évoluait pas. C’est un suspense insoutenable. Sur quatre années, la vie doit reprendre petit à petit. Tout le monde y arrive tant bien que mal sauf la mère qui fait ce que toute mère ferait dans ce cas-là. Lui rendre visite tous les jours, lui faire sa toilette, brosser les cheveux…

Vous dites que vous n’avez rien contre le féminisme sans vous en revendiquer.. Et pourtant Et les vivants autour fait écho à la vague #MeToo, aux récentes déclarations de l’actrice Adèle Haenel…

C’est le hasard et là aussi, c’est difficile de répondre sans rien dévoiler du roman. Mais oui, le thème fait écho à l’époque actuelle. Et raconte comment les membres d’une famille réagissent quand ils doivent faire face à une situation inhabituelle, avec l’effondrement de toute notion de bienséance… Pour rebondir sur Adèle Haenel, je la soutiens évidemment dans son combat et la notion d’égalité entre une femme et un homme. Je pense que la majorité des hommes sont des gens bien. Et dans ma vie, j’ai eu la chance de ne jamais être confrontée à la dictature masculine.

Peut-être parce que le milieu de l’édition est principalement féminin ?

C’est vrai. Je ne me suis jamais sentie être une proie. Je n’ai pas connu de traumatisme comme Adèle Haenel. Quand j’ai commencé à écrire du polar, il n’y avait pas beaucoup d’auteures. Ce qui n’est plus le cas depuis une dizaine d’années. Dans les salons littéraires, j’ai toujours été bien accueillie par les garçons. Je me sens concernée mais je n’ai pas cette colère qui me permettrait d’évacuer un traumatisme.

Ce qui relie Derrière la haine, Je t’aime et Et les vivants autour est un événement dramatique, qui pourrait très bien nous arriver à chacun, qui va faire éclater la cellule familiale. Pourquoi ce besoin de détruire la sphère intime ? Vous avez pourtant eu une enfance heureuse, non ?

Oui, bien sûr. Mon père est décédé depuis très longtemps, c’est digéré. Mes parents se sont séparés quand j’étais toute petite, j’avais 3 ans. A l’époque, ce n’était pas courant. Ma mère s’est remise en ménage avec un monsieur super qui m’a élevée comme sa propre fille. J’ai grandi dans une famille aimante. Ensuite, j’ai eu un frère et une soeur.

Vous conduisez votre fille à sa leçon de piano… Vous imaginez que sa prof pourrait être nuisible pour votre enfant ou que son homme la bat ?

Non, je ne me fais pas de films sur les gens que je rencontre. En revanche, je me fais des films sur des situations qui peuvent arriver. Beaucoup de mes livres partent d’une anecdote vécue. Pour Derrière la haine, par exemple, l’idée m’est venue d’avoir vu le fils de ma voisine, un ami de mon gamin, penché au balcon. J’ai appelé sa mère et je lui ai dit :  » Fais gaffe, Elliot est sur le balcon !  » A partir de là, je me dis : qu’est-ce qui arrive si Elliot tombe et décède ?

Meurtre pour rédemptions
Meurtre pour rédemptions

Le carré d’as de Barbara

Meurtre pour rédemptions, par Karine Giebel (Belfond).

C’est le dernier bouquin sur lequel j’ai pleuré, alors qu’ado, je pleurais beaucoup en lisant. Le personnage principal est d’une rare intensité, elle vit tellement de choses. C’est un pavé de 900 pages que j’ai achevé en vacances à la mer du Nord où je séjournais avec ma mère, ma soeur et les enfants. Il ne me restait plus beaucoup à lire, c’était le matin, tout le monde prenait le petit déjeuner et je suis arrivé à table en sanglotant.

Toute la violence des hommes
Toute la violence des hommes

Toute la violence des hommes, par Paul Colize (HC Editions).

Il est très fort dans les personnages. Il y a justement la rencontre entre deux personnes à l’opposé l’une de l’autre et Paul Colize réussit quelque chose de génial. En quelques mots, quelques lignes, les personnages prennent corps et vivent. C’est la rencontre entre une directrice d’un centre psychiatrique, rigide, célibataire endurcie et un jeune artiste présumé criminel. C’est une poigne d’acier dans un gant de crin et au bout de trois pages, vous l’adorez, cette femme.

La Maison près  du marais
La Maison près du marais

La Maison près du marais, par Herbert Lieberman (Points/Policier).

Le pitch se tient sur un confetti dans un Etat désertique aux Etats-Unis où vous pouvez parcourir 50 kilomètres sans voir personne. Soit un couple de retraités sans enfants qui vit dans une maison isolée. Lorsque le chauffagiste repart après avoir effectué les réparations, le couple se rend compte qu’en fait, il est toujours dans la maison, cloîtré à la cave. A un moment, on ne sait plus qui représente une menace pour qui. C’est hypertendu.

Novecento : Pianiste
Novecento : Pianiste

Novecento : Pianiste, par Alessandro Barico (Folio/Gallimard).

Nonante pages autour d’un gamin qui vit sur un bateau et apprend le piano. Chaque page est bouleversante. Sur le rapport au monde, le piano. Lisez-le si vous en avez l’occasion, c’est tout simplement magnifique.

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