Le monde selon Sarkozy

Avec la fin de la présidence française de l’Union européenne se clôt un semestre au cours duquel Nicolas Sarkozy a été omniprésent sur la scène internationale. Face à ses homologues, il cherche à casser les codes et à jouer sur le registre intimiste. Mais que pense-t-il vraiment d’eux et que disent-ils de lui ? Enquête et confidences.

Lasciate mi cantare, con la chitarra in mano.  » Permettez-moi de chanter avec la guitare dans la main. Dans le sud de la France, à La Petite Maison, un restaurant situé au c£ur du Vieux Nice, fermé ce 14 novembre au public, l’ambiance n’est pas loin du karaoké. Aux chants traditionnels russes a succédé le tube de Toto Cutugno. Mais les trois musiciens ne sont pas les vedettes du jour. Autour de la table, c’est Nicolas Sarkozy qui joue sa partition.  » Try this fish, Dmitri [Medvedev] !  » Poissons, truffes, légumes du pays, les plats défilent sous les yeux du chef de l’Etat russe. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et quelques autres responsables se régalent aussi. Pas de déjeuner solennel autour d’une table en U : le président français a choisi de clore le sommet entre l’Union européenne et la Russie de la manière la plus informelle qui soit. Et à son rythme – moins d’une heure entre les hors-d’£uvre et le café.

Il ne vise pas le respect de l’autre, il veut le rapport de force

 » Nicolas Sarkozy essaie de nouer ou de fabriquer des liens personnels, parce que c’est, à ses yeux, un moyen de forcer la relation institutionnelle « , explique son ami le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux. Avant de laisser la place, ce 1er janvier, à Vaclav Klaus, président de la République tchèque (lire en page 51), le président français a tenu les premiers rôles sur la scène internationale en usant, pendant tout un semestre, de cette double stratégie : jouer sur le registre intimiste et casser les codes. Ce qui ne le met pas à l’abri des boomerangs. Deux jours après ce repas niçois se déroule une scène incroyable. En pleine conférence de presse, Medvedev se moque des tics physiques de son homologue :  » Le président Sarkozy aime être sur la tribune pour parler (à). Je ne vais pas parler avec trop d’émotion, comme lui « , dit-il en imitant ses gestes des épaules et du cou.

Le chef de l’Etat français ne vise pas le respect de l’autre, il veut le rapport de force. Imposer son style, pour garder la maîtrise de la situation.  » Il ne ressemble pas aux autres hommes politiques en France ; il ne ressemble pas davantage à ses homologues étrangers « , note un dirigeant international. Cette singularité n’avait pas échappé à George Bush.  » You work with a special guy « , avait lancé, en juin 2007, le président américain à Catherine Pégard, conseillère de Sarkozy.

La coopération entre les deux hommes aura toutefois été de courte durée. Lors de leur rendez-vous à Camp David, le 18 octobre, pour préparer le G 20 de Washington, Nicolas Sarkozy est frappé par la lassitude de son interlocuteur, surtout pressé, à ses yeux, de quitter la Maison-Blanche pour son ranch du Texas.

L’un part, l’autre arrive. Le 25 juillet dernier, Sarkozy emmène Barack Obama faire le tour du parc de l’Elysée, en passant par la cabane du jardinier, et glisse au candidat démocrate quelques recommandations :  » Moi aussi, j’ai dû mener une longue campagne. Il faut rester soi-même, suivre ses intuitions et foncer dans la ligne qu’on a choisie. Surtout, ne te laisse pas enfermer dans les avis d’apparatchiks ! « 

Conseils d’ami, vraiment ? En novembre, Sarkozy attendra quarante-huit heures avant de parvenir à s’entretenir avec le vainqueur de l’élection. Il est 22 heures, ce jeudi soir. Après les félicitations d’usage et l’évocation de la situation internationale, la conversation se termine sur une note plus intimiste. Le Français souligne la part prise par Michelle, l’épouse, et par Sasha et Malia, les deux filles, dans la victoire. Il ajoute que les petites ont donc bien mérité le chien que leur père leur avait promis s’il entrait à la Maison-Blanche. Lui-même, raconte-t-il au futur président, vient d’hériter d’un labrador, cadeau des Québécois. On croirait entendreà Barack Obama. En septembre 2006, Nicolas et Cécilia Sarkozy sortaient du bureau du sénateur, qu’ils voyaient pour la première fois, quand celui-ci interpella Cécilia :  » C’est vous qui avez le rôle le plus important. « 

 » Tout le monde aime le poulet « , dit-il en composant le menu

Si la décontraction franchit facilement l’Atlantique, elle peine à traverser le Rhin. Avec Angela Merkel, Sarkozy cherche toujours la bonne alchimie. Lors de sa dernière venue à Paris, le 24 novembre dernier, la chancelière est invitée à déjeuner chez Carla Bruni-Sarkozy. Au menu : un rôti de veau et un cadeau. Nicolas Sarkozy lui offre le catalogue de l’exposition Nolde. Il lui avait même proposé de visiter en sa compagnie la rétrospective de ce peintre, l’un des préférés d’Angela Merkel. Pour se montrer chaleureuse à son tour, la convive évoque la prestation de la première dame, en promotion pour son album, sur une télévision allemande. En quittant le couple français, elle leur promet de leur rendre la politesse.

Entre eux, c’est pourtant si compliqué. Le style de Sarkozy désarçonne la chancelière. Le ton avait été donné dès le premier Conseil des ministres franco-allemand. Le président délaisse l’ordre du jour :  » Puisque nos collaborateurs ont tout préparé et que l’on est d’accord, parlons plutôt des sujets sur lesquels nous ne le sommes pas.  » Il met sur la table l’immigration.  » Angela Merkel était perdue, elle regardait à droite, à gauche, cherchant ses conseillers tant son désarroi était palpable « , rapporte un ministre français.

 » Tout le monde aime le poulet !  » Le président a pour habitude de choisir lui-même les menus destinés à ses hôtes étrangers. Ce jour-là, c’est José Manuel Barroso qui a les honneurs d’un repas (du poulet, donc) dans l’hôtel particulier de Carla Bruni-Sarkozy. Pendant le semestre, les deux hommes ont multiplié les voyages ensemble. Mais chacun à sa place. Dans l’Airbus tricolore qui se rend à Washington, le 14 novembre dernier, Nicolas Sarkozy est assis à l’avant, avec ses collaborateurs ; le président de la Commission de Bruxelles reste dans la partie réservée aux ministres, au côté de Christine Lagarde. Et, quand le Portugais critique, au Grand Jury RTL- Le Figaro– LCI du 30 novembre, le plan de sauvetage des banques françaises, il reçoit, dès le lendemain, un coup de fil peu aimable du président français.

Pour lui, l’image et le verbe ont un rôle crucial

 » Ne pensez pas qu’on ne vous regarde pas « , répète sans cesse Nicolas Sarkozy aux dirigeants européens pour souligner l’importance de l’image et du verbe. Le 11 octobre dernier, dans l’avion qui le ramène de Colombey, il donne ses instructions pour le sommet exceptionnel de l’Eurogroupe, le lendemain. La conférence de presse se déroulera dans la salle des fêtes de l’Elysée, la séance de travail dans le jardin d’hiver. Un coup de fil aérien est immédiatement passé pour que les lieux soient réaménagés en urgence. Le décor est aussi crucial que les dialogues. Le 6 novembre, à la veille d’un sommet européen extraordinaire destiné à s’accorder avant le G 20 de Washington sur la crise financière, l’Elysée finalise un document, transmis aux autres dirigeants, avec des éléments de langage pour les conférences de presse. Chacun doit émettre le même message.

Pour Nicolas Sarkozy, la politique internationale est ainsi faite : de grandes mises en scène et de petites attentions. Parce qu’il garde un bon souvenir d’un moment passé avec Tony Blair aux Chequers, la maison de campagne des Premiers ministres britanniques, il invite à la Lanterne (une résidence officielle de l’Etat français, située à Versailles) son successeur, Gordon Brown, seul dirigeant international à avoir bénéficié de cet égard. Il reprochera même à ses collaborateurs de ne pas avoir prévu un gâteau d’anniversaire lors d’une cérémonie organisée, à Bruxelles, pour les 50 ans de la Commission.  » Je dessine les traits du dessin, ensuite il faut mettre la couleur « , commente-t-il en guise de mode d’emploi de sa pratique diplomatique.

Sa méthode et sa communication tous azimuts heurtent certains de ses homologues. Les tergiversations de Paris envers Pékin ont agacé Hu Jintao, peu sensible aux démonstrations physiques.  » C’est sûr qu’il ne lui tape pas dans le dos !  » remarque un conseiller élyséen. Nicolas Sarkozy se hasarde à d’autres ruses : à la fin de 2007, il emmène sa mère lors de la visite d’Etat ; en août 2008, au président chinois qui  » remercie la France de son amitié, et particulièrement M. Raffarin d’être venu quand nous étions en difficulté [au moment de l’épidémie de Sras] « , il réplique virilement :  » Moi, je viens pendant les Jeux olympiques ! « 

Le seul qu’il n’ait jamais croisé ? Le Tchèque Vaclav Klaus

Lui non plus ne recevra pas de petites tapes amicales : s’il respecte la fonction et l’intelligence de Benoît XVI, le président cerne encore mal la personnalité du pape.  » C’est un Allemand « , souligne un proche, pour justifier que la connivence ne puisse pas être spontanée. Comme toujours, le chef de l’Etat français contourne alors la difficulté par des gestes. Il va le chercher à l’aéroport lors de sa visite en France, en septembre – seul Nelson Mandela eut droit au même accueil – et lui présente sa famille à l’issue de leur tête-à-tête.

L’ancienneté dans les relations personnelles est souvent gage d’une meilleure compréhension – Nicolas Sarkozy s’entend ainsi bien avec le chef du gouvernement socialiste, José Luis Zapatero, grâce à des efforts communs pour lutter contre ETA, quand il était ministre de l’Intérieur. Mais inciter Nicolas Sarkozy à enrichir son carnet d’adresses n’est pas simple. Le 22 septembre dernier, il s’envole pour les Etats-Unis. Jean-David Levitte, son conseiller diplomatique, lui a suggéré un entretien avec Timothy Geithner.  » Qui ça ? » L’homme dirige alors la Banque de la Réserve fédérale de New York.  » Mais je suis chef de l’Etat !  » Levitte ne regrettera pas d’avoir insisté : Geithner sera le secrétaire au Trésor d’Obama.

Il est un dirigeant que Nicolas Sarkozy n’a jamais rencontré : Vaclav Klaus, le très eurosceptique président tchèque. Mais ses oreilles ont déjà sifflé, et plutôt deux fois qu’une. Au Conseil des ministres du 26 novembre dernier, le chef de l’Etat français observe que les Chinois tentent de lui dicter son agenda, en s’opposant à sa rencontre avec le dalaï-lama.  » Qu’est-ce que ce sera quand il [Klaus] sera à la tête des Vingt-Sept ! « 

Au revoir le monde ? En 2009 se tiendront des élections législatives en Allemagne, et cela n’a pas échappé à Nicolas Sarkozy. Il a aussi noté qu’en Grande-Bretagne elles auront lieu dans les dix-huit mois. De quoi occuper Angela Merkel et Gordon Brown. A ceux qui, dans les médias ou la classe politique, pronostiquent sa relégation de la scène planétaire par Obama superstar, il répond :  » S’ils le croientà De toute façon, ils n’ont jamais rien compris.  » Pourtant, un autre pays l’attend : bonjour la France en criseà

Eric Mandonnet et Ludovic Vigogne

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