Le  » ministre de la Guerre  » monte au front

Nouvelle réduction des effectifs militaires belges, nomination de généraux flamands, renforts en Afghanistan, retour en Somalie, touche religieuse à l’armée… Pieter De Crem (CD&V) défend son bilan après dix-huit mois passés à la tête de la Défense.

Le Vif/L’Express : Compte tenu du budget, le général Charles-Henri Delcour, patron de l’armée, vient de prôner une nouvelle réduction des effectifs à 34 000 hommes et la fermeture de 30 à 40 % des casernes. L’armée est-elle en train de devenir un corps plus petit que la police fédérale, comme le craint Delcour ?

> Pieter De Crem : Les effectifs militaires sont déjà inférieurs à ceux de la police, qui compte 40 000 membres. Mais ce n’est pas le nombre qui compte. On peut assurer nos missions à l’étranger avec 34 000 hommes. L’objectif fixé par le gouvernement de limiter le nombre de soldats à 37 725 en 2015 sera atteint dès la fin de cette année. En dix-huit mois, pas moins de 4 000 hommes ont quitté la Défense.

Pour quelles raisons ?

> Beaucoup ne trouvent pas leur place dans les nouvelles missions attribuées aux forces armées. D’autres sont séduits par les conditions offertes à ceux qui s’en vont. Cela permet de réduire le poids du coût du personnel dans le budget de la Défense. Il représentait 64 % du budget à mon arrivée au département. Il est tombé à 58 % et doit descendre à 55 %.

Vous venez de nommer une brochette de généraux néerlandophones à la tête de l’armée. André Flahaut, votre prédécesseur à la Défense, parle d’un  » coup de flamandisation « .

> Je n’ai fait que suivre les propositions de l’état-major. De nombreux officiers francophones ne réussissent pas l’examen linguistique. Le déséquilibre entre Flamands et francophones s’accentue en fait depuis 1999.

Plus de 1 300 soldats belges sont en mission à l’étranger : Afghanistan, Liban, Kosovo, RD Congo… Voulez-vous en envoyer d’autres en opérations, malgré la fréquence déjà élevée des rotations ?

> Le Danemark dispose d’une armée comparable à la nôtre, soit à peine 40 000 hommes, et est en mesure d’en déployer en permanence 2 000 à l’étranger. Pourquoi pas nous ? Ces missions sont la vocation même des forces armées au xxie siècle.

Où la Belgique enverra-t-elle encore des hommes ?

> Dès septembre, des militaires belges patrouilleront le long des côtes somaliennes dans le cadre de l’opération européenne Atalante. Nous aurons alors quelque 1 550 hommes en mission dans le monde. L’an prochain, notre rôle dans la lutte contre la piraterie maritime devrait encore s’accroître. Nous allons sans doute déployer une seconde frégate au large de la Corne de l’Afrique.

Tout cela a un coût. Or le budget de la Défense est plafonné depuis dix-sept ans. Comment faire ?

> Les opérations à l’étranger coûtent 70 millions d’euros, soit à peine 6 % du budget total de la Défense. Il n’est pas dans mes intentions de demander une rallonge. Certes, la Belgique a le plus petit budget Défense de toute l’Europe, le Luxembourg et les pays Baltes mis à part. Mais un ministre belge de la Défense qui se présenterait devant le Conseil des ministres pour réclamer une hausse de son budget perdrait toute crédibilité pour le reste de son mandat. Même s’il n’y avait pas de crise économique, il n’y aurait pas d’accroissement du budget de la Défense.

Est-il indispensable d’envoyer dans le nord de l’Afghanistan un deuxième groupe de 69 soldats belges d’ici à la fin de 2009 ? Au total, cela fera près de 600 Belges déployés en Afghanistan et 8 F-16 basés à Kandahar. Des experts estiment pourtant que la guerre d’Afghanistan est sans issue.

> L’avenir du monde se joue dans un demi-cercle qui va de l’Iran au Pakistan en passant par l’Afghanistan. Plus de 40 pays participent aux opérations en Afghanistan. Nous n’y faisons pas la guerre. Mais la menace représentée par les talibans nous concerne tous et le commerce afghan du pavot finance le terrorisme international. La situation est-elle simple ? Non. Sans dangers ? Non. Mais les précédents de la Bosnie et du Kosovo montrent qu’au bout de dix ans de présence militaire on obtient des résultats et on peut préparer une stratégie de sortie, que j’appelle une  » stratégie de succès « .

Certains assurent que la présence de la force internationale en Afghanistan est un élément plus nuisible que favorable à la sécurité du monde occidental ?

> C’est le raisonnement des anti-Otan. Les ONG humanitaires elles-mêmes nous supplient de rester sur place, car elles craignent d’être balayées si nous nous en allons.

Le magazine Knack vous a surnommé, en couverture, le  » ministre de la Guerre « . Choqué ?

> Arrêtez de croire que Pieter De Crem décide tout seul ! Les choix sont faits après de longues discussions au sein du cabinet restreint, des partis qui composent le gouvernement, du Conseil des ministres et du Parlement. Pendant une décennie, notre armée est apparue comme une force de protection civile améliorée, doublée d’une agence humanitaire. Ce n’est plus le cas.

Entre votre vision de la Défense et l’  » armée de paix  » voulue par André Flahaut, il y a un gap stratégique, mais aussi une rupture idéologique, non ?

> Une rupture ? Sûrement. Il a fallu réveiller les esprits pour que notre armée se transforme en vraie force expéditionnaire. Notre petit pays, fondateur de l’Otan, est enfin redevenu un partenaire fiable pour nos alliés. Le refus de laisser les Américains utiliser le port d’Anvers et notre espace aérien lors du déclenchement de la guerre d’Irak nous a coûté énormément en crédibilité.

Vous avez dit avoir rendu leur fierté aux militaires belges. Ils n’en avaient plus quand Flahaut avait vos responsabilités ?

> Il fallait en revenir à l’essence même du métier militaire. Les soldats ont retrouvé une motivation. Lors de mon déplacement, cette semaine, au Kosovo, mon chauffeur, un para, m’a dit :  » Maintenant, on sait pourquoi on fait ce métier.  »

Après votre arrivée à la Défense, certains ont été troublés par le retour du religieux au sein de l’armée : présence au pèlerinage de Lourdes, retour des aumôniers militaires…

> Dans les casernes, surtout à l’étranger, les militaires vivent parfois des moments de doute, loin de leur foyer. Ils se posent des questions sur leur vie, le sens de leur mission. L’aide d’un conseiller religieux ou laïque peut se révéler précieuse. Ma présence à Lourdes fait suite à une invitation de la ministre de la Défense de la France, pays où la séparation de l’Eglise et de l’Etat est la plus haute valeur républicaine. Catholique, je ne fais pas pour autant de prosélytisme et je n’ai pas l’intention de lancer une nouvelle évangélisation à l’armée !

Vous avez connu votre heure de gloire en novembre 2007 lors du vote de la scission de BHV, bloc linguistique flamand contre francophones. Bizarrement, depuis que vous êtes ministre fédéral, on ne vous entend plus sur les thèmes communautaires. Pourquoi ?

> Je n’irais pas jusqu’à dire que l’habit fait le moine, mais j’estime néanmoins qu’un ministre de la Défense n’a pas à se mêler de l’institutionnel. Je trouverais tout aussi curieux que le ministre des Réformes institutionnelles intervienne dans nos opérations militaires à l’étranger. Cela dit, je soutiens à 100 % les positions du CD&V en matière communautaire.

Entretien : Olivier Rogeau

Je n’ai pas l’intention de lancer une nouvelle évangélisation à l’armée !

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