Le matchdes gros salaires

En plafonnant la rémunération des CEO d’entreprises publiques, le gouvernement fédéral a pris une mesure symbolique forte. Mais qui accroit l’écart entre public et privé. Comparaison.

Palais d’Egmont, dimanche 1er septembre. A la surprise générale, les vice-Premiers ministres fédéraux aboutissent à un accord sur deux sujets épineux : les noms de cinq nouveaux patrons d’entreprises publiques et la réduction conjointe de leurs rémunérations. Une règle d’airain désormais : 290 000 euros bruts par an maximum. Avec la possibilité toutefois, pour leur ministre de tutelle, d’accorder un rab de 10 % en fonction de la position concurrentielle de l’entreprise, de son chiffre d’affaires, du nombre d’employés ou encore de  » circonstances exceptionnelles « . Soit 319 000 euros au grand maximum. Une décision sans impact budgétaire, guidée uniquement par un souci d’équité salariale en temps de crise. Les comptes de ces entreprises publiques autonomes ne sont pas inclus dans ceux de l’Etat, qui n’est qu’actionnaire.

On peut considérer ce plafond de deux manières. Comme aussi somptueux que celui de la Chapelle Sixtine. Ou, pour certaines personnes concernées, comme la chute d’une plaque de plâtre sur la tête.

Luc Lallemand, qui rempile à la tête du gestionnaire de réseau ferroviaire Infrabel, perd ainsi au minimum un tiers de sa rémunération. Même situation à peu près pour Frank Van Massenhove par rapport à son prédécesseur Marc Descheemaecker. L’actuel président du SPF Affaires sociales prend pourtant la tête d’une SNCB qui fusionnera en janvier prochain avec la SNCB-Holding. Et encore, ce calcul part du principe que les deux bénéficieront des 10 % supplémentaires, comme la taille et le chiffre d’affaires de leurs entreprises les autorisent à l’espérer.

L’ancien patron de la SNCB-Holding, Jannie Haek, devenu CEO de la Loterie Nationale, passera pour sa part de 513 000 euros par an (rémunération variable comprise) à 290 000. Pratiquement moitié moins. Comme on peut le voir dans l’infographie en page 43, à chiffres d’affaires similaires, sa rémunération sera près de six fois inférieure à celle de Duco Sickinghe, l’ancien boss de Telenet – la rémunération de son successeur, John Porter, n’est pas encore connue. Quant aux deux nouveaux patrons du rail, il en faudrait huit comme eux pour atteindre la rémunération de Jef Colruyt, qui cumule la présidence et la direction du groupe familial.

Comparaison n’est pas raison. Des secteurs soumis à aussi forte concurrence que les télécoms ou la grande distribution ne sauraient être mis sur le même pied qu’un monopole d’Etat. Mais enfin, ne risque-t-on pas d’assister à un exode des talents vers le privé ? C’est l’épouvantail que certains détracteurs du projet ont agité au nez du ministre des Entreprises publiques, Jean-Pascal Labille (PS), porteur de la réforme. Résultat :  » Nous avons nommé en tout six personnes et aucune n’a refusé le poste « , résume-t-on à son cabinet.

Il faut dire que des comparaisons internationales incitaient à l’optimisme. En France, le décret présidentiel de juillet 2012 qui limite à 450 000 euros la rémunération des patrons d’entreprises publiques a entrainé des chutes de salaires plus spectaculaires encore. Le patron d’EDF Henri Proglio, qui a gagné 1,59 million en 2011, a vu ses revenus réduits à près d’un quart. Ce qui ne l’a pas dissuadé de rempiler.

En sera-t-il de même lorsque viendra le tour de Didier Bellens et de Johnny Thijs ? Le mandat du premier, administrateur délégué de Belgacom, arrivera à échéance en mars 2015. L’an dernier, sa rémunération totale s’élevait à près de 2,14 millions, répartis dans un fixe de 963 000 euros bruts, 515 000 euros de rémunération variable à court terme, 535 000 euros de stock-options et 127 000 euros d’avantages divers. Si le plafond devait lui être appliqué, son train de vie serait divisé par sept.

Plus près de nous, le CEO de bpost devrait être reconduit en janvier prochain pour six ans, comme le réclame à l’unanimité son conseil d’administration. Mais Thijs l’a déjà fait savoir, pas question de travailler pour 290 000 euros alors qu’il a touché dernièrement près de 1,4 million.

 » Hormis la loyauté envers l’Etat, je vois mal ce qui pourrait les pousser à accepter, estime Georges Hübner, professeur de Finances à HEC-ULg. Les plafonds dont on parle sont élevés dans l’absolu, mais faibles comparés au marché. Il faut s’interroger sur les motivations de ceux qui ont gardé leur poste malgré un salaire raboté. Certains sont peut-être simplement contents de rester grands patrons, en sachant que si l’on ouvrait le marché des CEO, ils se feraient dégommer par d’autres moins politisés.  »

Une chose semble sûre : les grands patrons publics n’ont aucune raison de se réfugier au sein des entités fédérées. En Wallonie et en Communauté française, les gouvernements ont décidé en décembre dernier de plafonner à 245 000 euros les rémunérations des managers et hauts dirigeants d’organismes publics régionaux (Forem, TEC, SRIW…). Aucun n’atteint un tel montant cela dit, même si le patron de la Société régionale d’investissement de Wallonie le frôle. Cette décision de principe devra toutefois être coulée dans un décret.

La Flandre, de son côté, planche sur un texte semblable qui limitera la rémunération annuelle de ses top managers à 242 000 euros (le salaire du ministre-président, Kris Peeters), assortis éventuellement d’une prime de 20 %. On en revient au 290 000 euros du fédéral. Sauf exceptions motivées.

Par Ettore Rizza

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