Le marigot d’une succession

Omar Bongo fut, pendant quatre décennies, le maître d’un pays dont il confisqua le pouvoir et les richesses. Il fut aussi l’homme clé des réseaux de la Françafrique. Qui lui succédera ?

Le  » doyen  » a donc rejoint le pays des ancêtres. Omar Bongo Ondimba, alias OBO, vétéran des chefs d’Etat africains et seul maître à bord du rafiot gabonais depuis 1967, a rendu l’âme le 8 juin,  » des suites d’un arrêt cardiaque « , dans sa chambre de la clinique Quiron de Barcelone. Il s’est éteint à 73 ans, après avoir beaucoup brûlé, et quitte la scène non pas balayé par une révolte populaire, un putsch ou une révolution de palais, ni désavoué par les urnes, mais terrassé, semble-t-il, par un cancer intestinal.

Feutrée mais féroce, la guerre de succession s’est engagée bien avant le dernier soupir du patriarche. Voilà des mois, sinon des années, que dans la coulisse s’aiguisent les dagues. Une saga à la Borgia, version tropicale.

Dans la famille d’Omar, le fils, Ali Bongo, ministre de la Défense, tiendrait la corde. D’autant qu’après avoir conquis l’an dernier la vice-présidence du Parti démocratique gabonais (PDG) ce fêtard repenti, trapu et obstiné, a su placer une poignée de fidèles aux postes clés de l’appareil sécuritaire : l’état-major de l’armée, la gendarmerie, le Conseil national de sécurité, le renseignement militaire et la Garde républicaine. En cas de tempête, un tel aréopage peut servir. Sur le front civil, Ali, prénommé Alain jusqu’à la conversion paternelle à l’islam, peut tabler sur le rugueux savoir-faire de l’actuel ministre de l’Intérieur, André Mba Obame (1).

Pour autant, rien n’est acquis. Si la succession se joue au fond des urnes, l’aîné des garçons, ancien élève du collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, devra déjouer diverses embûches, à commencer par son impopularité et l’aversion qu’inspire, au sein d’une société civile pugnace, le scénario dynastique. Au sein même du PDG, une intense guérilla oppose depuis plus d’une décennie les  » rénovateurs  » – Ali-Alain en tête – aux  » appellistes « , partisans du statu quo, emmenés par Paul Toungui, titulaire du maroquin des Affaires étrangères après avoir longtemps détenu celui, ô combien stratégique, des Finances. Il se trouve qu’à la ville l’ancien grand argentier du régime est aussi l’époux de Pascaline Bongo, directrice de cabinet et femme de confiance du  » boss « . Lequel aurait volontiers, pour peu que le Gabon fût mûr pour une telle audace, transmis le sceptre à cette énarque bosseuse et d’un abord austère. C’est du moins ce qu’il chuchotait au soir de sa vie à ses confidents.

A en croire les gabonologues les plus aguerris, Ali et Pascaline auraient scellé au chevet du patriarche agonisant un pacte de non-agression. Union sacrée dictée par l’intérêt supérieur du clan familial et l’impérieuse nécessité de préserver le fragile Meccano ethnique et régional laissé en héritage par  » papa Bongo « . C’est que plus d’un vétéran du marigot librevillois guigne un trône qui ne devait se libérer qu’en 2012. Les opposants, bien sûr, tels Pierre Mamboundou, le leader de l’Union du peuple gabonais (UPG), ou Zacharie Myboto, ex-baron de la planète Bongo saisi sur le tard par les démons de la dissidence et fondateur de l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD). Reste qu’au sein même de la mouvance présidentielle d’autres poids lourds rêvent le matin en se rasant du Palais du bord de mer : citons le sécurocrate Idriss Ngari, Jean Ping, diplomate chevronné, actuel président de la Commission de l’Union africaine età ex-conjoint de Pascaline, le vice-Premier ministre Paul Mba Abessole, un rallié de longue date, ou le ministre d’Etat Casimir Oyé Mba, chargé  » des Mines, du Pétrole, des Hydrocarbures, de l’Energie, des Ressources hydrauliques et de la Promotion des énergies nouvelles « .

Des énergies nouvelles : voilà bien ce dont le pays a le plus besoin. De là à imaginer un après-Bongo sans Bongoà

(1) La Lettre du continent, du 14 mai 2009.

V. H.

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