Le mariage des homosexuels et le droit

Les huées qui ont accueilli l’avis négatif du Conseil d’Etat (avant même que le texte en soit connu) à propos du projet de loi autorisant le mariage de personnes du même sexe, seraient négligeables si elles ne venaient de personnalités du calibre de la vice-première ministre Laurette Onkelinx et de la ministre Magda Aelvoet. Personne au demeurant ne semble avoir de mots trop durs pour qualifier les magistrats du Conseil d’Etat qui ont rédigé cet avis dont on ne connaît pas encore la totalité. Ils ne mériteraient que des risées ou même le mépris.

Je suis un peu surpris, pour ma part, de cette réaction qui consiste à dire, en somme, que les conseillers de la 2e chambre du Conseil d’Etat sont nécessairement, soit des imbéciles, soit des gâteux. Ce n’est pas, du moins jusqu’à présent, l’impression qu’ils me donnaient et que, d’une manière générale, ils donnent ou donnaient aux observateurs les plus sérieux.

Pour moi, si demain des gens de leur crédit devaient affirmer que la terre tourne autour du soleil et non le contraire, comme tous les gens de bon sens peuvent le constater, je serais d’abord tenté 1) d’attendre le texte de leur avis et 2) de me dire qu’ils ont à tout le moins le droit qu’on examine plus sereinement leur argumentation qu’on ne le fit avec Galilée.

L’institution du mariage est peut-être dépassée. Sociologiquement en tout cas, elle paraît correspondre de moins en moins aux moeurs, sauf chez les bourgeois style « liste de mariage « .

Nous voyons de plus en plus de couples, bien décidés pourtant à vivre « comme s’ils étaient mariés », ne se mariant pas. C’est très évidemment leur droit, mais si cette attitude devait se généraliser, il en irait des mariages comme des combats qui cessent faute de combattants.

On va répétant que les homosexuels sont des citoyens comme les autres et on a tout à fait raison. Il me trouble néanmoins que le projet de loi dont il s’agit interdirait aux couples homosexuels d’adopter des enfants, opérant ainsi une discrimination avec les couples hétérosexuels, ou réputés tels, qui quant à eux ont le droit de le faire. Les homosexuels ne seraient donc pas tout à fait les mêmes que les couples réputés hétérosexuels ?

A tort ou à raison, une des branches les plus importantes du droit, en matière de mariage, est la filiation. Et, certes, on peut se gausser de l’article 312 du Code civil qui dispose que l’enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari – ce qui achève de ridiculiser les cocus. Tout, au demeurant, est devenu plus incertain en l’espèce. L’adage dont nul ne mettait en doute l’évidence autrefois,  » mater certa est » (nul doute que la mère le soit puisque l’enfant est sorti de son ventre), a beaucoup perdu de son évidence depuis qu’il y a des mères porteuses. C’est ce qui devrait peut-être pousser à réviser quelques idées prétendument fondamentales et, partant, bien des lois.

Le Conseil d’Etat n’est certes pas là pour faire de la morale. A cet égard, l’indignation de Mme Onkelinx et de Mme Aelvoet serait tout à fait justifiée si l’avis qu’elles critiquent, sans en connaître l’argumentation, était moral ou moralisateur. J’en serais pour ma part très étonné, car je ne parviens pas, je l’avoue, à me persuader que les magistrats de la 2e chambre du Conseil d’Etat soient bêtes et ignares au point d’avoir perdu de vue qu’ils sont là pour dire le droit, quelle que soit, le cas échéant, la mésestime qu’ils peuvent avoir en leur for intérieur pour l’état du droit. Ils ne sont pas législateurs et même si des lois stupides devaient être votées et promulguées, ils devraient les respecter dans leurs avis ou leurs arrêts, au seul motif qu’elles ont été votées et promulguées. La réaction de Mmes Onkelinx et Aelvoet me fait penser aux potentats qui tuaient les porteurs de mauvaises nouvelles, et plus banalement à ceux qui ne supportent pas qu’on les mette en contradiction avec eux-mêmes.

Il est clair que le mariage est, en Belgique, une institution dont la finalité spécifique est de fonder une famille, ce qui est devenu éminemment discutable. Mais, ou bien on change la loi, ou bien, tant qu’on n’a pas l’envie ou le courage de le faire, il est inepte de s’en prendre à ceux qui sont là pour dire le droit tel qu’il est dans les textes et non tel que Mmes Onkelinx et Aelvoet, et combien d’autres, dont je suis, souhaiteraient qu’il soit.

Philippe Toussaint, rédacteur en chef du Journal des procès

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