» Le jury est un tabou politique « 

Professeur de droit pénal à l’ULB, Marc Preumont est l’un des rares avocats pénalistes du pays à plaider pour la suppression du jury populaire. Il y voit une nostalgie romantique désuète.

Le Vif/L’Express : Pouvait-on prévoir l’arrêt Taxquet et ses conséquences ?

Marc Preumont : Quand un système de procédure tel que celui des assises comporte des défauts majeurs, il ne faut pas s’étonner que ces défauts soient, à un moment donné, critiqués par une juridiction supérieure. Donc, pour moi, c’était parfaitement prévisible. Pourquoi cela n’est-il pas intervenu plus tôt ? Tous les procès d’assises n’aboutissent pas à Strasbourg. Et puis, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme évolue, devenant, au fil des ans, de plus en plus exigeante quant à la qualité des procédures.

Pour la motivation de la décision, le Conseil supérieur de la Justice (CSJ) propose un système où le jury délibérerait seul et les magistrats professionnels rédigeraient la motivation sur la base des arguments des jurés. Faisable ?

Oui. Mais je reste tout de même préoccupé par la difficulté de l’exercice, car nous aurons affaire à une succession de filtres déformants. Ce système prévoit un habillage juridique des arguments du jury, par des magistrats professionnels. Les juges, qui ne participent pas à la délibération, se baseront sur la synthèse faite par le chef des jurés. Quelle acrobatie ! Le plus simple n’est-il pas d’abandonner le système des assises et de professionnaliser la Justice dans sa totalité ?

Pourquoi la Belgique ne fait-elle pas le pas ?

C’est purement idéologique. Le CSJ et le groupe de réflexion mis sur pied par Laurette Onkelinx se sont prononcés pour la suppression du jury populaire. Mais les politiques y sont farouchement opposés. Sans expliquer pourquoi d’ailleurs. Le jury est un tabou politique.

C’est aussi le dernier lien entre les citoyens et le pouvoir judiciaire…

Quand le jury populaire est né au lendemain de la Révolution française, il avait une raison d’être démocratique puisqu’à l’époque, les tribunaux étaient au service du roi. Les juges ne représentaient pas la population. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai. Les magistrats sont issus de toutes les classes sociales. La Justice est un service public. Le lien avec les citoyens est devenu obligatoire. Dès lors, maintenir le dernier exercice direct de pouvoir par les citoyens ne me paraît pas indispensable pour la démocratie.

Cela dit, selon les études, les Belges se montrent largement favorables au maintien du jury populaire.

D’accord, mais quelle est leur base de réflexion ? Disposent-ils de tous les arguments ? Le jugement des affaires criminelles est devenu de plus en plus complexe. Le droit a beaucoup évolué. Pour moi, juger est un métier qui requiert une formation. Il est hasardeux de confier cette responsabilité à des personnes qui sont, certes, animées par une volonté de très bien faire les choses mais qui, tirées au sort, ne sont absolument pas préparées à cela. Pourquoi confier les affaires de roulage à des professionnels et les affaires criminelles les plus graves à un jury ? Est-il raisonnable de mobiliser douze jurés pendant plus de six mois pour le procès Habran, à Liège, et de les faire répondre à des centaines de questions à l’issue des débats ? Sans parler de ce que cela coûte…

Beaucoup de démocraties en Europe conservent le jury populaire. N’est-ce pas révélateur ?

C’est vrai. Mais prenez nos deux voisins les plus proches : les Pays-Bas et le Luxembourg. Ces deux pays amis, avec lesquels nous avons formé le Benelux, ont aboli le jury populaire au lendemain de la période française et ne l’ont jamais rétabli. La justice criminelle de ces Etats est-elle considérée comme barbare ou honteuse ? On peut très bien vivre en démocratie sans cour d’assises.

Entretien : Th.D.

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