Le jeu, un grand art

Guy Gilsoul Journaliste

Retour sur l’opération  » 100 sexes d’artistes  » proposée par le Liégeois Jacques Charlier et refusée par la Biennale de Venise. Avec le parti pris d’en rire avec lui en jouant à un petit quiz testant notre branchitude à l’art contemporain.

C’est vrai, il y a la crise… et alors ? Je m’en fous, moi, j’sais tricoter.  » Le héros de cette bande dessinée signée par Jacques Charlier en 1982 ( La Route de l’art, éd. Moretti) est un artiste d’avant-garde. Il ne sait quoi faire.  » Tout a été fait, tout a été racheté « , poursuit notre génie en mal d’originalité. Suit alors une énumération des trouvailles récentes :  » les détritus les plus divers, de la merde en boîte, des boîtes de soupe vides, des paquets non déballés, des tas de margarine, des tas de planches, de briques, du vent, du vide…  » Et tout ça, note-t-il, est entré dans les musées et les collections prestigieuses à grand renfort de baratins.

Oui, très vite, Jacques Charlier s’en prend au petit monde de l’art actuel, voire aux artistes eux-mêmes mais contrairement à d’autres caricaturistes qui jouent la carte du populisme réducteur, il enquête, observe, compare. Et démontre. Quatre exemples et autant de proies. D’abord, le narcissisme exacerbé des amateurs. Il le met en lumière en proposant, à la manière d’une £uvre conceptuelle, une exposition où sont accrochées en file indienne des dizaines de photographies de vernissages où  » il fallait être « . Le succès est total. Le piège a fonctionné. Ensuite, il cible l’armada des  » suiveurs  » qui, au moment d’émergence de  » La nouvelle peinture  » (années 1980) font tous de la peinture. Sa série pointe avec astuce les références. Il nomme ses toiles des  » plinthures  » de garage, tape-à-l’£il ou pour friture de luxe.

Il lui arrive aussi de mener plus avant l’enquête. Ainsi quand, en 1999, il parodie une série de portraits des hommes les plus recherchés des Etats-Unis réalisés par Andy Warhol dont les expositions font alors le tour du monde et des éloges sans faille. Côté enquête, le Liégeois relevait que cet ensemble de sérigraphies réalisées à la manière de la police (face, profil et numéro) était redevable à l’extraordinaire capacité de plagiaire de Warhol puisque l’idée venait directement d’un autoportrait de Marcel Duchamp daté de 1913, que le pop artiste avait vu lors de la rétrospective du dadaïste quelque temps auparavant. En plus, l’ensemble des portraits faisant suite à une commande de l’Etat américain, Warhol avait accepté de colorer légèrement chacune de ses images afin d’en atténuer l’effet jugé trop brutal. Comment Charlier allait-il exposer cela ? Il plagierait à son tour la série warholienne mais en plaçant, en lieu et place des hommes les plus recherchés, un seul bien connu de notre police belge, le célèbre Noël Godin, dit l’entarteur, lui aussi rebelle à toutes les mascarades du pouvoir.

Qu’allait-il alors proposer le jour où, enfin (alors que son £uvre circule aux quatre coins de la planète des arts), lui serait proposée la consécration vénitienne ? En réalité, un peu comme Magritte lorsqu’il exposa enfin à Paris, Charlier, le septuagénaire toujours vert, proposa quelque chose de  » vache « . Soit une suite de cent affiches représentant, chaque fois sous la forme d’un aspect emblématique d’une £uvre déguisée en sexe, le travail d’une des stars actuelles ou non déjà couronnée par la Sérenissime. Cette fois cependant, le monde de l’art ne lui pardonna pas et Charlier s’en revint bredouille. Mais heureux. Heureux aussi de pouvoir proposer quelques images de son  » jeu  » aux lecteurs du Vif/L’Express. A vous donc de jouer à l’amateur  » éclairé « …

GUY GILSOUL

venise ne lui a pas pardonné sa dernière audace

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