» Le high-tech, c’est un risque en plus « 

Dans Sex@mour, le sociologue Jean-Claude Kaufmann, directeur de recherche au CNRS, plonge dans le monde des relations amoureuses sur le Net. Une enquête vertigineuse qui prend la mesure de la révolution en marche depuis dix ans. Interview.

LeVif/L’Express : Internet sème-t-il la zizanie dans les couples ?

Jean-Claude Kaufmann : Je dirais plutôt que le Net et les réseaux sociaux sont devenus, pour les couples, un risque supplémentaire. Autrefois, quand il y avait des bas dans un couple, l’un ou/et l’autre avait tendance à faire le dos rond. Aujourd’hui, il est très facile d’aller faire un tour sur la Toile pour se  » rééquilibrer « , avec l’illusion que c’est sans enjeu.

Tout de même, ça ressemble à une petite séduction ordinaire, comme au bureau, non ?

Sur le Net, le problème est qu’on franchit très facilement les degrés : on entame une conversation sans penser à mal, on batifole, on va juste boire un verre, puis on s’enflamme. En fait, au départ, l’individu s’était imaginé que c’était sans risque, sans enjeu : il n’a pas le regard de l’autre, il n’est pas vraiment lui, il peut débrancher à tout moment… Et il n’a pas conscience de trahir. L’autre problématique à laquelle sont confrontés les couples, c’est l’idée que chacun a droit au bonheur et au plaisir personnel. Dès lors, lorsque le couple n’est plus jugé satisfaisant, on se dit qu’on passe à côté de ce bonheur, on croit s’être trompé de partenaire ou ne pas avoir le max… Dans le cas extrême, le couple se sépare. Sinon, l’un des membres peut envisager une petite infidélité de passage. Les hommes, et de plus en plus de femmes, entrent dans cette logique.

Peut-on parler d’égalité homme/ femme en matière d’infidélité ?

Nous observons un changement au niveau des attitudes féminines. Traditionnellement, le sexe pour le sexe a toujours été une affaire d’hommes. Aujourd’hui, les femmes revendiquent elles aussi le plaisir pour le plaisir. Là, on peut noter une augmentation d’infidélités ponctuelles. Il demeure, pourtant, un déséquilibre. Face à l’insatisfaction, les hommes vont prendre une petite distance : passer plus de temps avec les copains, aller très souvent au foot, ou avoir une petite aventure. En revanche, les femmes, particulièrement les mères, ont moins cette possibilité d’infidélité, dans la mesure où elles assument très souvent l’essentiel des charges familiales. Mais elles n’hésitent pas à partir : dans trois cas sur quatre, ce sont elles qui sont à l’origine des séparations.

Mais la fidélité demeure, pourtant, une valeur très forte…

On assiste, d’un côté, à une dédramatisation de la sexualité ; elle est banalisée, débarrassée de son aspect transgressif : elle serait un loisir comme les autres. De l’autre, les individus rêvent très fort à l’amour avec un grand A et à l’engagement. Cela présuppose la fidélité. D’ailleurs, lorsque l’on sonde les individus, on note des réponses hallucinantes. A la question  » Comment réagiriez-vous à l’infidélité de votre partenaire ? « , une majorité d’entre eux répondent qu’ils prendraient leurs cliques et leurs claques, sans même entamer une discussion avec leur partenaire !

Au fond, où commence désormais l’infidélité ?

La question est énorme ! Le hic : les couples n’en parlent pas entre eux. Pour beaucoup, la ligne rouge demeure l’acte sexuel, mais la réalité est plus nuancée. Lorsqu’un(e) collègue appelle votre partenaire sur son portable et que ce dernier se montre soudain plus pétillant, vous pouvez déjà vous posez des questions, non ? Plus profondément, nous vivons dans une société de séduction généralisée. Il faut sans cesse défendre une image de soi positive, brillante, même dans le monde du travail. Sans oublier que cela vient conforter l’estime de soi. Tout cela s’oppose à l’engagement unique !

Propos recueillis par Soraya Ghali

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