Le Hainaut sinistré

Que sont devenus les milliards injectés dans la province la plus pauvre par le programme européen de l’Objectif 1 qui ambitionne de faire décoller les régions les plus faibles ?

Au détour d’un rond-point, dans ce coin reculé du Borinage, surgit la haute tour du charbonnage du Crachet (…) A l’extérieur, le terril tout proche invite à la balade. Comment détester un tel endroit, si plaisant, bon enfant et bien entretenu ? Vraiment, si l’endroit n’était pas désert, il serait formidable. (…) Au total, le Pass a englouti 70 millions d’euros en moins de dix ans (…). La perte en 2006 avoisine 10 millions d’euros.

En retard, le Hainaut l’est assurément. Il s’agit de loin de la province la plus économiquement délabrée de Wallonie. Ironie : la province se porte plus mal en 2006 qu’en 1994, année du démarrage de l’assistance des fonds structurels européens au Hainaut. Malgré 3 milliards d’euros d’aides publiques spécifiques, la province n’a pas quitté la zone rouge du déclin (…). C’est que le Pass n’est pas une exception. Beaucoup d’argent européen s’est perdu dans une foultitude de projets caractérisés par leur grandiloquence ou leur médiocrité. Mais surtout, trop souvent, par leur inutilité dans le cadre d’un programme de redéploiement.

Ces douze années de programme Objectif 1 en Hainaut trahissent une absence complète de vision globale. Chacun a travaillé dans son alvéole.

(…) Le gouvernement wallon a vu le programme Objectif 1 simplement comme une source additionnelle de revenus financiers. Il n’a pas saisi l’opportunité de bâtir une vision pour le développement de la province à travers la façon dont les projets ont été choisis (…). On a examiné trop souvent la disponibilité des moyens plutôt que l’existence d’une demande réelle pour ceux-ci. (…) Chaque sous-bourgmestre, chaque notable de patelin a pu tirer sur le robinet européen pour de gros ou de microscopiques dossiers (…).

Un peu pour tout le monde

(…) Au lieu d’un document sériant les priorités, la province a hérité en 1993 d’un patchwork désarticulé donnant à tout un chacun la possibilité de s’abreuver à la tétine européenne. Aucun opérateur local n’a été oublié. Les graines de la dispersion étaient donc semées.

Entre 1994 et 1999, les responsables wallons ont secoué la salière européenne au-dessus de… 700 projets différents. Le Hainaut a mis de la dentelle aux fenêtres, repeint les bacs de fleurs, avec la bonne conscience tirée du postulat que le redémarrage de l’économie hennuyère devait commencer par un coup de torchon sur la devanture. Les ministres wallons n’ont lésiné ni sur l’eau de Javel ni sur l’acrylique : l’aménagement du centre historique de Fontaine-l’Evêque (2,6 millions d’euros)(…) aménagement d’une maison de pépiniéristes à Lesdain (225 000 euros) ; atelier rural et maison de village à Wasmes-Audemez-Briff£il (525 000 euros) ; création d’un centre d’interprétation de la poterie (875 000 euros) ; (…) parc naturel de la Plaine Escaut (600 000 euros) ; chaudière de cogénération pour piscine communale (1,49 million d’euros) ;  » embellissement  » d’une maison de village à Dergneau (430 000 euros) ; etc.  » Au milieu de ce torrent de projets décousus, une bouffée d’oxygène, croyait-on : le développement de la recherche en Hainaut (…). Les entreprises du Hainaut sont à la traîne en ce qui concerne les efforts de recherche. Elles dépensent deux fois moins en R&D que la moyenne des entreprises belges. Le nombre de brevets déposés par habitant est, lui, en 2006, 55 % inférieur à la moyenne du royaume.

(…) Une nouvelle fois, les autorités ont pris le problème à l’envers. Au lieu d’analyser les besoins du Hainaut, ou la meilleure approche pour favoriser le développement et l’innovation, stimulant ainsi le tissu économique de la province, le gouvernement wallon a découpé le gâteau en trois portions égales de 67,5 millions d’euros… Une pour les universités de Mons, l’autre pour l’Université catholique de Louvain (UCL) et la troisième pour l’Université libre de Bruxelles (ULB) (…).

L’hécatombe

Au cours des cinq premières années d’aides Objectif 1, la richesse produite par habitant s’est affaissée de près de 10 %… (…)

(…) En 1994, le document de programmation de l’Objectif 1 s’était fixé une cible, en 1999, au terme de la première période d’aide, de 79,2 % du PIB/habitant. Aujourd’hui, l’économie hennuyère est aux antipodes de cet objectif. C’est l’hécatombe. Au lieu de se relever, le PIB/habitant déjà asthmatique du Hainaut s’est effondré. En 2006, il gît à 69 % de la moyenne des Quinze… Il faut se rendre dans les Länder d’ex-Allemagne de l’Est, dans les Pouilles italiennes ou les régions les plus pauvres d’Espagne pour dénicher d’aussi piètres performances.

Fin 2006, le taux de chômage de la province dépassait 25,1 %. Un Hennuyer sur quatre en âge de travailler reste chez lui toute la journée. Un quart vit d’indemnités de chômage. En dix ans d’Objectif 1, le taux d’emploi dans le Hainaut n’a augmenté que de 2 %. Deux fois moins rapidement que dans le reste de la Wallonie (3,5 %) (…) « . En Belgique, ne reste-t-il rien des 2,6 milliards d’euros d’argent public déversés dans le Hainaut aux fins de son redressement économique ? Il demeure une série d’acquis tangibles. L’aéropôle de Gosselies, financé par les fonds européens, appartient à ceux-ci. Il s’agit aujourd’hui d’une zone de développement attractive. Tout comme le parc Initialis à Mons.

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