Le grand pardon

Après le scandale de l’évêque négationniste Williamson, la visite de Benoît XVI en Terre sainte semblait bien mal partie… Mais les artisans du dialogue judéo-catholique ont fait des miracles. Le Saint-Siège comme l’Etat hébreu tenaient trop à ce voyage.

Ce jour-là, David Rosen, chargé du dialogue interreligieux au grand rabbinat d’Israël, zappe sur la chaîne de télévision internationale France 24. Soudain, son visage se fige : un journaliste annonce que Benoît XVI vient de lever l’excommunication pesant sur quatre évêques intégristes, dont Mgr Williamson, un prélat dont les propos niant la Shoah font depuis deux jours le tour des médias de la planète. Le rabbin décroche aussitôt son téléphone :  » Allô, cardinal Kasper ? Vous connaissez la nouvelle ?  » L’Eminence en question, à la tête, au Vatican, du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, tombe des nues. Non, il n’était pas au courant. Lui, l’un des principaux acteurs concernés, informé par un rabbin résidant à des milliers de kilomètres de la place Saint-Pierre ? C’est le monde à l’envers, a dû penser David Rosen. Touche finale au tableau, le décret du Vatican tombe le 24 janvier, trois jours avant la Journée de la mémoire de l’Holocauste. Le grand rabbinat d’Israël suspend ses relations avec Rome. Le ministre des Affaires religieuses du pays, Itzhak Cohen, demande la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. La venue de Benoît XVI en Israël s’annonce mal, très mal.

A peine quatre mois plus tard, le souverain pontife est en route vers Jérusalem. Huit jours d’un voyage en Terre sainte qui le mènera de la Jordanie à la Palestine. Huit jours d’un périple compliqué, à la fois pèlerinage spirituel sur les lieux de naissance du christianisme, visite d’Etat et main tendue aux chrétiens, aux juifs et aux musulmans de cette région saignée par les combats et les attentats. Que s’est-il passé ? Un signe du ciel, l’£uvre de la Providence ? L’explication est plus prosaïque : l’Etat hébreu et plus encore le Vatican tenaient bien trop à ce voyage pour envisager sérieusement de l’annuler.

 » L’Etat israélien n’a aucun intérêt à se brouiller avec le Vatican, car le pape est son premier interlocuteur dans le monde chrétien et il ne peut pas s’en priver « , explique Jean-Marie Allafort, fondateur du site Un écho d’Israël. A fortiori lorsque ledit interlocuteur, soucieux du sort des chrétiens vivant dans les territoires occupés, est réputé  » diplomatiquement  » plus proche des Palestiniens. Après l’opération Plomb durci lancée en décembre et janvier dernier dans la bande de Gaza – et condamnée par plusieurs responsables catholiques – la venue de Benoît XVI tombe donc à point.

Aussi le nouveau gouvernement israélien, qui compte pourtant nombre d’ultras sionistes en son sein, veille-t-il ostensiblement à ne pas indisposer son futur hôte. Exemple : le 20 avril dernier, lors de la conférence de l’ONU sur le racisme à Genève (Durban II). Alors que plusieurs représentants internationaux quittent la salle, ulcérés par les philippiques prévisibles du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, contre l’Etat hébreu, l’observateur du Saint-Siège reste dans son fauteuil. On aurait pu s’attendre à une protestation bien sentie d’Avigdor Lieberman, le ministre des Affaires étrangères aux ruades légendaires. Silence total.

Le scandale Williamson ? Il semble déjà loin. Le mea culpa du pape, condamnant tout révisionnisme, a rassuré la communauté juive.  » Ce dossier est une question interne à l’Eglise, déclare le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ygal Palmor. L’affaire est close.  » Bénis soient les artisans du dialogue judéo-catholique ! Dès le début de la tempête, ils ont tout fait pour éviter la rupture. Pendant un mois, David Rosen, à la tête du Comité juif international pour les consultations interreligieuses, est resté pendu au téléphone avec son interlocuteur à Rome, le cardinal Walter Kasper. Début février, une cinquantaine de grands rabbins américains étaient reçus par Benoît XVI en audience exceptionnelle. Un mois plus tard, le 12 mars, les grands rabbins d’Israël retrouvaient leurs  » homologues  » au Vatican, au cours d’une réunion qui avait été repoussée à l’annonce de la levée des excommunications.  » Les discussions n’ont jamais cessé « , confie David Rosen.

 » Le pape, il faudra qu’il mette la pression sur Israël « 

Pour Benoît XVI, le contraire eût été catastrophique. Ce voyage, le pape le souhaitait au point d’en faire l’annonce une année à l’avance aux rabbins américains, puis de l’évoquer à deux autres reprises. Une insistance  » peu habituelle « , note-t-on à Rome. Neuf ans après le voyage historique de Jean-Paul II en Terre sainte, en 2000, le pontife allemand veut prouver que l’Eglise poursuit le dialogue entamé par le concile Vatican II (1962-1965). Un message devenu plus opportun encore après l’erreur Williamson.

Il y a des raisons à cela. En libéralisant la messe en latin, en 2008, Benoît XVI a remis au goût du jour la prière du vendredi saint associée à ce rituel d’avant Vatican II, dans laquelle les juifs sont appelés à se convertir. Sous la pression, le pape a légèrement modifié le texte, mais insuffisamment aux yeux de ses homologues juifs. Last but not least, la tension autour du  » dossier Pie XII  » – pape auquel la communauté juive reproche son silence sur la Shoah – est montée d’un cran à l’automne dernier, lorsque Benoît XVI a publiquement souhaité la béatification de son prédécesseur. Le décret requis par la procédure est prêt, le pontife n’a plus qu’à le signer. Mais tout porte à croire qu’il n’en fera rien, conscient de la charge explosive de son paraphe. Quitte à désarçonner un peu plus les observateurs, le Vatican semble même aujourd’hui vouloir collaborer davantage avec les juifs sur le  » cas  » Pie XII. C’est de Rome qu’est venue l’idée du colloque inédit organisé en mars dernier à Jérusalem entre historiens juifs et catholiques, dans l’enceinte de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah.

Au fond, les plus réticents à ce voyage auront été les chrétiens de Terre sainte eux-mêmes. A l’annonce de la visite,  » Mgr Fouad Twal, le patriarche latin, a sauté dans le premier avion pour Rome afin d’obtenir des explications du pape « , raconte un intime du clergé à Jérusalem. Difficile, en effet, d’envisager la venue de Benoît XVI, alors que les contentieux qui empoisonnent les relations des communautés chrétiennes avec l’administration israélienne sont loin d’être réglés, telles la taxation du capital foncier des Eglises, ou la liberté de circulation des fidèles, obligés de quémander un permis pour visiter leurs lieux saints depuis l’Intifada. » Israël se comporte comme le maître de Jérusalem, grince Nizar, un marchand de souvenirs de la vieille ville. Le pape, il faudra qu’il mette la pression sur Israël. Hors de question qu’il se contente de prêcher la paix avec des formules bidon. S’il n’est pas prêt à se remonter les manches, il fera aussi bien de rester à Rome.  » Nizar risque d’être déçu, surtout s’il espère du Saint-Père une condamnation de l’occupation israélienne.  » Il n’y a aucune prise de position politique à attendre de Benoît XVI « , estime le chercheur Frédéric Encel, auteur d’un Atlas géopolitique d’Israël (Autrement). De cette visite les chrétiens de Palestine – 130 000 personnes sur une population totale de 2 millions d’Arabes – retiennent surtout le passage du pape au mémorial de Yad Vashem et sa rencontre avec le président Shimon Peres. Leur crainte? Que l’évêque de Rome, tout à son désir d’apaiser les esprits, n’apparaisse comme l’ami d’Israël. Après l’hécatombe de Gaza, ce serait, pensent-ils, un terrible faux pas.

B. B. et C. C.

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