Emmanuel Macron

« Le Grand débat, une opportunité gâchée par Macron »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Chercheur doctorant à la VUB et à l’UCLouvain, Julien Vrydagh juge que le pouvoir français a instrumentalisé cet exercice de démocratie participative inédit. Un processus que la Belgique a les capacités de mener, si le politique y consent…

Le Grand débat national organisé en France est-il inédit dans les démocraties occidentales ?

Il est assez inédit par son ampleur – environ 1,5 million de contributions envoyées au gouvernement – et par ses modalités. Des consultations plus vastes ont été organisées il y a quelques années en France, notamment une sur l’éducation qui avait rassemblé quelque deux millions de contributions. La particularité, ici, est la diversité des outils de consultation des citoyens et des politiques : en plus des contributions en ligne, 9 000 réunions locales se sont tenues à l’initiative de citoyens ou de l’exécutif impliquant quelque 630 000 personnes, soit 1,5 % du corps électoral. Je ne connais pas d’autre exemple d’exercice de ce type qui ait réuni autant de citoyens. A cela, il convient d’ajouter les dix-neuf conférences régionales délibératives organisées depuis le week-end dernier sur la base d’un tirage au sort. Cette échelle est à coup sûr inédite. Même si je suis un peu sceptique sur leur qualité. J’en ai observé une à Poitiers. Elle était très courte et la diversité des participants n’était pas idéale, notamment en raison de la surreprésentation des hommes (deux tiers) par rapport aux femmes et des personnes âgées en regard des jeunes.

Les réunions du Grand débat ont surtout mobilisé des personnes âgées. Pouvait-on s’y attendre ?

Lorsque l’on ouvre des canaux de débat sur une base volontaire, on a souvent un  » paradoxe de la participation  » : les personnes désavantagées ne s’en saisissent pas au contraire des personnes plus âgées, de sexe masculin, au capital socio-culturel plus élevé. C’est une constante de presque tous les processus de participation.

Si on avait délibéré avec des citoyens, on ne se serait jamais retrouvé avec quatre ministres de l’Environnement…

Les gilets jaunes, qui étaient indirectement à l’origine du Grand débat, s’en sont détournés. Est-ce paradoxal ou compréhensible ?

Ce sont les autres grands absents de la démarche. Leur non-participation est un gros point négatif du Grand débat. En fait, Emmanuel Macron ne les a jamais inclus. Il n’a d’ailleurs jamais utilisé les mots  » gilets jaunes  » lors de ses prises de parole, à la Nouvelle Année ou lors du lancement de l’opération. Les gilets jaunes ne se sont donc pas sentis acteurs légitimes de la délibération. Cela les a poussés à créer une alternative, avec le Vrai débat.

Sur la base de ce constat et sachant que le débat a été dès le départ fort encadré, diriez-vous qu’il a été instrumentalisé par le pouvoir macronien ?

Oui. Quand Macron a lancé l’idée du Grand débat, le gouvernement a consulté la Commission nationale du débat public (CNDP), une institution indépendante qui organise de vastes consultations participatives et qui est regardée avec beaucoup de respect par les chercheurs en Belgique en raison de son expertise. Le gouvernement lui avait demandé une méthodologie. Il a reçu un rapport en ce sens de la commission pour finalement refuser de prendre celle-ci comme maître d’oeuvre parce qu’il aurait eu beaucoup moins de contrôle sur ses résultats. Il a dès lors opté pour des entreprises privées, comme Res Publica, Cap collectif ou Missions publiques. Ensuite, le gouvernement a imposé quatre thèmes de discussion, ce qui est contraire à la démocratie participative où le choix des thèmes est laissé aux participants. D’ailleurs, via les contributions ouvertes, les Français ont mis beaucoup d’autre sujets sur la table – la santé, le logement… – qui n’avaient pas été pris en compte.

Emmanuel Macron ne les ayant jamais inclus, les gilets jaunes ne se sont jamais sentis acteurs du Grand débat, selon Julien Vrydagh.
Emmanuel Macron ne les ayant jamais inclus, les gilets jaunes ne se sont jamais sentis acteurs du Grand débat, selon Julien Vrydagh.© FRÉDÉRIC SCHEIBER/BELGAIMAGE

L’architecture institutionnelle de la Belgique favoriserait-elle ou compliquerait-elle l’émergence de ce genre d’exercices de démocratie délibérative ?

La Belgique est connue pour avoir un système politique dans lequel les représentants monopolisent le débat. Elle est réputée très peu encline à consulter ses citoyens. Mais depuis une dizaine d’années, pas mal d’initiatives ont été menées : des forums citoyens, des budgets participatifs…, essentiellement à l’échelle régionale et locale. Au niveau fédéral, il n’y a guère que le G1000, mis sur pied à partir de 2012, ou des initiatives de la fondation Roi Baudouin à pointer. Mais ce n’est pas parce que cela n’a pas été fait que ce n’est pas possible. Enormément de chercheurs et d’organisateurs de délibération publique ont développé une expertise pour mettre en place ce genre de débats, par exemple sur des sujets d’intérêt général comme les pensions ou le climat. La participation citoyenne et le débat parviennent à surmonter la myopie démocratique, c’est-à-dire le court- termisme des politiciens. Lorsqu’ils sont tirés au sort, les citoyens sont beaucoup aptes à prendre en compte les intérêts à long terme que les politiques. Une telle démarche pourrait être très bénéfique pour le système politique en Belgique. Si on avait délibéré avec des citoyens de la réforme de l’Etat, on ne se serait jamais retrouvé avec quatre ministres de l’Environnement… Il suffit de dégager les moyens financiers pour le faire. Et je pense qu’on peut les trouver. Si on utilisait beaucoup plus la participation citoyenne, on limiterait l’opposition aux décisions politiques et on réduirait le nombre potentiel de grèves et leur coût.

Les divisions communautaires entre le nord et le sud du pays ne rendent-elles pas l’exercice périlleux ?

Si vous prenez l’exemple du G1000, ses organisateurs ont réussi à fédérer sans souci des néerlandophones, des francophones et des germanophones. Même constat quand j’ai collaboré, en octobre 2018, à un forum citoyen au niveau de l’administration fédérale. Le problème, s’il y en a un, se situe au plan politique.

A l’entame du Grand débat national, Emmanuel Macron avait affirmé qu’il  » inventait une nouvelle forme de démocratie « . En voyez-vous aujourd’hui une concrétisation ou s’agit-il simplement de poudre aux yeux ?

Julien Vrydagh, chercheur doctorant à la VUB et à l'UCLouvain, spécialiste de la démocratie participative.
Julien Vrydagh, chercheur doctorant à la VUB et à l’UCLouvain, spécialiste de la démocratie participative.© ANTOINE DOETSCH

C’est un peu une opportunité gâchée. Il avait tous les outils en main pour mettre en oeuvre un plan de participation citoyenne dans lequel la délibération serait centrale. Or, quand on gratte un peu, on se rend compte que le débat a été assez superficiel. La grande délibération collective espérée n’a pas été au rendez-vous, même au plan local. Dans les réunions auxquelles j’ai assisté, le débat était assez pauvre. Finalement, le Grand débat reste une vaste consultation populaire, de meilleure qualité que ses équivalents classiques, mais encore insuffisante pour poser les jalons d’une nouvelle démocratie. Il faudra aussi analyser la façon dont Emmanuel Macron et le gouvernement vont gérer les résultats. C’est le grand flou. Peut-être vont-ils en faire une restitution magnifique et prendre en compte tous les résultats. Mais j’en doute. Je crains qu’ils ne choisissent, sous forme de propositions, que les sujets qui leur conviennent.

Il y a donc peu de chances que ces résultats apaisent la colère des gilets jaunes ?

Je ne peux que formuler des hypothèses. Peut-être certaines de leurs revendications seront-elles rencontrées. Mais je ne pense pas que la légitimité du gouvernement aux yeux des gilets jaunes pourra être restaurée.

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