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Le goût des autres

Plusieurs livres de bande dessinée ou de dessin, deux grandes expositions, un roman et même un disque… Emmanuel Guibert poursuit son année faste, à la fois complexe et altruiste.

Emmanuel Guibert n’est pas du genre à se plaindre. D’un côté, , il n’a aucune raison de le faire: après avoir été élu il y a un an, par ses pairs, Grand Prix du festival d’Angoulême, le scénariste et dessinateur français a connu une année éditoriale exceptionnelle qu’on a presque peine à suivre tant elle fut dense (lire aussi l’encadré) tout en ayant été, en septembre dernier, le premier auteur de bande dessinée à être exposé aux Beaux-Arts de Paris. De l’autre, l’année écoulée ressemble à la nôtre – plus sombre et marquée par la pandémie et le confinement.

Au moment de se parler au téléphone, Emmanuel Guibert mettait ainsi la dernière main à la grande exposition que son Grand Prix lui a donné l’opportunité de monter au Musée de la ville d’Angoulême. Une exposition presque entièrement tournée vers les autres, comme l’est en grande partie son travail d’auteur, mais qui restera, jusqu’à nouvel ordre, interdite au public. « Le festival proprement dit devrait avoir lieu en juin, peut-être que les musées pourront rouvrir plus tôt en France, on verra bien… Mais on ne se laisse pas abattre et il y a quand même une information qui fait chaud au coeur: les gens n’ont pas arrêté de lire. Dès qu’ils ont pu, ils sont allés massivement en librairie, on n’a donc pas l’impression de prêcher dans le désert ou de travailler en pure perte. Et j’ai beaucoup bossé cette année, ça aide à passer l’obstacle. »

Une peinture à l'huile, encre et argile d'  Emmanuel Guibert, reprise dans l'exposition et le catalogue En bonne compagnie.
Une peinture à l’huile, encre et argile d’ Emmanuel Guibert, reprise dans l’exposition et le catalogue En bonne compagnie.© Alain TENDERO – Divergence

Et que les amateurs se rassurent, tout en rongeant leur frein: si l’exposition En bonne compagnie (1) est pour l’instant inaccessible, on peut déjà s’en offrir le catalogue, que l’éditeur belge Les Impressions nouvelles a la chance de publier. Soit plus de 150 pages grand format de bonheur pour les yeux, qui en disent long sur l’univers de ce grand auteur de bédé… Sans y montrer, ou presque, la moindre planche de BD.

Arts et amitiés multiples

« J’avais déjà eu l’occasion de présenter une rétrospective de mon travail il y a trois ans ici même, à l’occasion du Prix Goscinny (NDLR: qui récompense un scénariste pour l’ensemble de sa carrière)« , explique le Parisien de 56 ans. « Et l’exposition qui vient de se tenir à l’Institut de France, aux Beaux-Arts de Paris, étant déjà axée sur mes deux grandes séries biographiques (NDLR: Le Photographe et La Guerre d’Alan ), je me suis dit que les visiteurs avaient droit à de l’inédit, à une exposition architecturée, écrite. Il y a donc une première partie où je montre des choses à moi jamais exposées, mais pas de la BD ; plutôt de la peinture, des estampes, du croquis, des dessins d’observation. Et puis, une deuxième partie où j’invite une vingtaine de personnes à exposer, que ce soit ou non dans un dialogue avec moi. L’expo s’appelle En bonne compagnie, mais un de ses titres de travail était « Un auteur de bande dessinée n’est pas fait que de bande dessinée ». Il y a plein de modes d’expression qui ne sont pas les miens, et qui me passionnent. » Ainsi les photographies d’Alain Tendero, les estampes de Cécile Reims et les sculptures de Jean-Louis Faure côtoient-elles des portraits et des croquis de l’artiste, quand le travail ne s’effectue pas à quatre mains, telles ces grandes toiles commises avec l’artiste autiste taïwanais Leland, sans oublier une bande sonore constituée des disques du label jazz Vision fugitive dont Guibert assure les couvertures et parfois le contenu, avec La Musique d’Alan, bande-son de ses albums consacrés à Alan Ingram Cope sur laquelle on peut entendre des bribes de leurs conversations.

(1) Emmanuel Guibert en bonne compagnie : au Musée d'Angoulême, jusqu'au 27 juin.
(1) Emmanuel Guibert en bonne compagnie : au Musée d’Angoulême, jusqu’au 27 juin.

Des arts et des amitiés multiples, au fondement de son propre art. Ce goût des autres est décidément central dans l’oeuvre d’Emmanuel Guibert, à son corps presque défendant: « Assez tôt dans l’existence, j’ai eu l’occasion d’admirer et d’aimer, parce que j’étais entouré de gens plutôt intelligents et sympathiques. Et je suis toujours entouré de personnes que j’apprécie, que j’admire et qui m’inspirent. J’aime bien travailler avec et pour quelqu’un, j’aime que les témoignages des gens que j’aime puissent circuler. »

Le goût des autres

Guibert tous azimuts

Il est partout. Petit tour non exhaustif de ses dernières parutions, qui ne se limitent pas à la BD contemporaine.

Le goût des autres

LITTÉRATURE – Mike

Si le verbe fait depuis toujours partie de ses talents de scénariste, Mike est son premier récit sans images à être publié (chez Gallimard, dans la collection Sygne, « créée pour mettre à la littérature générale des auteurs qui ont d’autres champs d’expression »). Soit, à nouveau, le récit d’une bouleversante amitié, que Guibert a entretenue avec Mike, un architecte américain avec lequel il a partagé, jusqu’à la mort, le goût et la pratique du dessin d’observation.

DESSIN – Le Pavé de Paris

Le dessin d’observation, à nouveau, à l’honneur de ce bien nommé Pavé (400 pages petit format), la réédition augmentée d’inédits (dans la collection Aire libre de Dupuis) d’un livre déjà atypique et publié pour la première fois il y a quinze ans, réunissant plus de 400 dessins et croquis pris sur le vif à travers Paris, agrémentés de digressions sur la ville, son âme, ses habitants et ses artistes. Un goût du dessin non narratif qui s’exprime également dans Dessiner dans les musées, là encore chez Dupuis, premier tome d’une série, « Légendes », consacrée à ce principe – dessiner les oeuvres des autres pour en retrouver la substantifique moelle.

Le goût des autres

BD – Le Smartphone et le balayeur

Un balayeur tombe un matin sur un smartphone… qui ne supporte plus qu’on le touche. L’homme et la machine entament dès lors un long dialogue à même la rue. Vingt-six siècles après Socrate et sa maïeutique, aux cotés de ses concitoyens, Guibert, son smartphone et son balayeur ont pris le relais « pour traiter de l’actualité sans l’indexer à l’actualité brûlante. Je me suis dit qu’un smartphone qui s’évadait et était livré à lui-même aurait sans doute beaucoup de choses à dire sur lui et sur nous. » Aux éditions Arènes BD.

Le goût des autres

JEUNESSE – Ariol

C’est une part importante de son travail de créateur et de scénariste, rarement mise en valeur dans les commentaires, et on a bien tort: la série Ariol (éditée dans la collection BD Kids de Bayard), qu’il mène depuis vingt ans avec le surdoué Marc Boutavant au dessin, est une perle et un énorme succès, déjà adapté en animation. Le 16e tome est sorti fin 2020, tout comme son autre série jeunesse, Sardine de l’espace, lancée avec Joann Sfar et poursuivie avec Mathieu Sapin.

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