Le goulot

Un doute plane sur la récupération des emballages. Trop recycler, c’est parfois tuer le recyclage. Tempête autour du point vert

Cocorico! Le tri des déchets ménagers, en Belgique, ça marche. Et, particulièrement celui des emballages, symbolisé par la généralisation du « point vert » et des sacs bleus de Fost Plus, l’association qui orchestre chez nous la récupération, le tri et le recyclage d’une partie de nos déchets. Flacons, récipients pour boissons, boîtes de conserve ou canettes: pour tous ces emballages, la Belgique se situe dans le peloton de tête des pays qui pratiquent cette vaste opération de récupération. En effet, tous les taux de revalorisation imposés en 1994 par l’Union européenne sont, aujourd’hui, atteints chez nous. Et même dépassés. Il faut dire que la Belgique a été, dans la foulée de l’Allemagne, l’un des premiers pays européens à s’être lancée dans l’aventure. Au nombre de ses atouts, on peut certainement compter l’étroitesse de notre territoire. Allez donc collecter, à un coût raisonnable, les milliers de tonnes d’emballages abandonnés dans les îles grecques ou au fin fond de l’Andalousie!

Bravo les Belges? Oui, mais la médaille a son revers. Des voix inquiètes tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme – paradoxalement – devant les progrès enregistrés par les filières de revalorisation. Trop de recyclage, en effet, pourrait tuer le recyclage. En Inde, il y a quelques années, les fabricants de sacs en plastique ont brutalement réduit l’épaisseur de ceux-ci de 25 à quelques microns. Mais ce gain significatif en consommation de matières premières a rapidement abouti à une catastrophe environnementale et sociale. Pourquoi? Les nouveaux sacs, trop fins et trop légers, ne se prêtent plus, comme autrefois, au recyclage sous la forme de semelles et de mobilier urbain. Abandonnés, des millions de ces fins contenants se sont retrouvés dans la nature. Des dizaines de milliers de personnes ont, par ailleurs, été soudainement privées des petits revenus que générait l’économie de la récupération.

Plus près de chez nous, les gigantesques flux de verre blanc récupérés dans les bulles à verre pourraient bien, sous peu, conduire les opérateurs du déchet dans l’impasse. En effet, chose peu connue du grand public, le recyclage de ce type de verre n’aboutit pas à du verre blanc mais, le plus souvent, à du verre légèrement coloré. Le marché de la boisson, lui, n’est pas demandeur: quel consommateur de limonade ou de lait acceptera-t-il, demain, d’acheter sa boisson dans une bouteille bleuâtre ou grisâtre? Les habitudes alimentaires, c’est bien connu, ne se changent pas d’un coup de baguette magique. Or une future réglementation européenne envisage de faire grimper le taux de recyclage du verre à 70 %. En Belgique, Fost Plus est serein: ce palier est déjà atteint et le marché s’en porte bien. Mais qu’arriverait-il, s’inquiètent les responsables nationaux du « point vert », si, demain, ce cap devait être atteint partout en Europe?

Réunis récemment à Madrid, les 14 organismes qui – comme Fost Plus – sont les garants des systèmes de collecte et de recyclage en Europe ont dit tout le mal qu’ils pensaient d’une telle directive. Argument clé: il y aurait beaucoup mieux à faire. Il faudrait, par exemple, s’inquiéter – et vite – des millions de tonnes de déchets « verts » ou des montagnes de rebuts issus des activités de construction ou de démolition. En effet, tôt ou tard, la mise à la décharge sera interdite ou, comme chez nous, tout simplement impossible, faute d’espace disponible. L’écologiste français Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement, n’a pas hésité à plaider dans ce sens. Il propose une autre piste: penser à l' »éco-conception » des emballages. Comprenez: prévoir, dès la conception des emballages plastiques perdus, de leur donner le meilleur potentiel possible de combustion dans les incinérateurs, au lieu de les considérer comme des résidus gênants. Du boulot en perspective pour la recherche!

Mais voilà, certains ne l’entendent pas de cette oreille et veulent continuer à mettre le paquet sur la prévention. Car, malgré tous les efforts, la quantité brute d’emballages mis sur le marché, en Europe et dans tous les pays riches, semble continuer à augmenter inexorablement. Attention: non pas leur poids total, qui semble se stabiliser petit à petit, mais le nombre d’unités produites. Or c’est bien lui qui alourdit la facture à payer par nous tous. Autre argument de ces détracteurs: pour financer leurs opérations, les organismes comme Fost Plus ont besoin de « flux » importants de déchets, ce qui semble contradictoire avec l’idée d’une production parcimonieuse à la source. Enfin, pour avoir une idée correcte du prix à payer pour se débarrasser des déchets d’emballage (1), il faut tenir compte des milliards de francs engloutis dans les filtrages des fumées d’incinérateurs, à charge de la collectivité. Donc, de nous tous.

Que faire? Freiner les efforts de recyclage? Ou, au contraire, viser toujours plus haut et imposer des taux plus élevés? On peut en tout cas rappeler qu’il y a dix ans à peine, personne n’aurait misé un franc sur le succès, partout en Europe, des organismes de collecte comme Fost Plus. De même, qui aurait cru, à l’époque, que le nombre de bouteilles en PET (polyéthylène téréphtalate) récoltées sur le continent allait être multiplié par 20 (!) en six ans à peine? Si de tels progrès ont été opérés, c’est – bien sûr – grâce aux consommateurs. Mais, aussi, grâce à des réglementations contraignantes ou à la menace de voir celles-ci imposées par « l’Europe ». On verra, bientôt, qui l’emportera des deux thèses, recyclage bien dosé ou prévention à tout prix.

(1)Chaque Belge paie environ 400 francs (9,9 euros) par an pour la prise en charge du contenu des sacs bleus.

Philippe Lamotte

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