Le géant aux yeux bleus

Paul Newman avait le plus beau regard de Hollywood et encore mieux : l’acteur sut se glisser dans tous les rôles ; le réalisateur porte la marque des grands.

Il reste les images. Evidemment. Sur lesquelles s’accrochent les souvenirs. Ainsi fonctionne le cinéma, qui n’oublie jamais ceux qui l’ont nourri et les transforme en des fantômes qui viennent hanter les rêves des spectateurs éveillés. C’est un cow-boy au sourire dé-sarmant et glaçant, un joueur de billard et une tête brûlée, un prisonnier avaleur d’£ufs, un arnaqueur sur le retour, un vieil homme marié, un mafieux irlandais. Ils s’appellent Billy the Kid, Eddie Felson, Luke Jackson, Henry Gondorff, Walter Bridge, John Rooney. C’est un seul homme, Paul Newman, mort à 83 ans dans sa maison de Westport, Connecticut, à la suite d’un cancer du poumon.

Lee Strasberg, mythique professeur de l’Actors Studio, que Paul Newman fréquente assidûment au début des années 1950 après avoir abandonné une prometteuse carrière de vendeur d’articles de sport dans la boutique de son père, a dit de lui :  » Il aurait pu être un aussi grand acteur que Marlon Brando s’il n’avait pas été aussi beau.  » Regrettant que les yeux bleus les plus célèbres de Hollywood enchaînent trop facilement les rôles qui lui tombaient tout cuits dans la besace. C’est une façon de voir. Dont l’ironie cache sans doute une grande admiration pour un type au talent trop facile, qui se transforme d’un claquement de doigts en un autre que lui-même. Mais, si l’on peut se permettre d’écorner la pensée strasbergienne, on fera remarquer que Paul Newman a peu interprété les tombeurs de jeunes filles enamourées et davantage un boxeur, un alcoolique, un névrosé ou un enfoiré de salopard de juge dans l’Ouest américain vieillissant. L’homme est beau, soit, il n’y a pas un garçon qui le conteste, et ne parlons pas des filles, mais il n’a pas eu forcément le beau rôle. Même s’il s’en sortait à chaque fois avec une classe folle.

Marlon Brando a brisé menu les codes du jeu hollywoodien et y a apporté une sorte de liberté anarchique faite de ruptures de ton et de dérapages que lui seul savait contrôler. Si Paul Newman marche sur les traces fraîchement creusées par Brando, il le fait avec un tempérament moins casse-cou. Et profite, comme son pote Robert Redford, de onze ans son cadet, d’un environnement propice à la nouveauté, à une époque où les grands studios disparaissent peu à peu, laissant place à une nouvelle génération de réalisateurs et de comédiens, qui n’hésite pas à arpenter le bitume en insufflant de la réalité là où il n’y avait que de la mythologie. Redford se tourne vers l’écologie et la défense du cinéma indépendant. Paul Newman, lui, endosse, entre deux courses de voitures, les habits d’un businessman vendeur de sauces cuisinées à son nom afin de mieux financer sa fondation, Newman’s Own, créée en 1982 pour venir en aide aux enfants en difficulté.

Un mot sur Newman réalisateur, alors qu’il en faudrait dix. Et pardon de terminer par une £uvre que peu, sans doute, ont vue : L’Affrontement (Harry and Son, en VO). L’histoire d’un père en conflit avec son fils. Un film sec, dur, émouvant, droit. Paul Newman le tourna cinq ans après la mort, par overdose, de son fils Scott. Newman le pudique confiait sa douleur au monde. Newman les yeux bleus devenait un grand artiste. Pas uniquement beau, cher Lee Strasberg. Juste grand.

Eric Libiot

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