Jonathan Holslag, professeur à la VUB, conseiller spécial auprès du vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans. © PABLO GARRIGOS/BELGAIMAGE

S’inspirer du modèle chinois ? « Le futur de l’Europe ne peut être le modèle d’un Etat autoritaire »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Sinologue à la VUB et conseiller spécial auprès du vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans, Jonathan Holslag  » ne voit aucune raison d’idôlatrer le modèle chinois  » à ses yeux stérilisateur et répressif.

Le made in China fait rêver certains. Vous aussi ?

Des milieux économiques, commerciaux et même politiques manifestent effectivement de plus en plus d’intérêt et de respect pour le modèle chinois. J’avoue avoir du mal à comprendre l’effet de séduction que peut exercer la Chine qui reste à mes yeux une puissance suiveuse et nullement innovante. Je ne vois donc personnellement aucune raison de se montrer tellement positif envers ce modèle, jusqu’à l’idolâtrer.

Au fait, c’est quoi ce modèle économique chinois ?

Ce n’est que  » l’implémentation  » du modèle européen issu de la révolution industrielle du xixe siècle. A la différence que cette révolution industrielle, à ses débuts, était beaucoup plus innovante et créative sur les plans culturel, philosophique, urbanistique. Il est décevant de constater que près de quarante ans après l’ouverture du régime chinois sous Deng Xiaoping, on n’ait vu émerger ni innovations significatives ni bouleversements scientifiques ou technologiques qui contribueraient à rendre le monde plus prospère.

Comment expliquer alors un tel engouement ?

Notre société occidentale se trouve toujours au sommet de la hiérarchie économique mais la Chine et les autres pays émergents, lentement mais sûrement, sont en train de nous rejoindre en suivant ce que le modèle occidental a produit. Nous sommes donc désorientés ; nous ne savons pas dans quelle direction il faut faire évoluer notre modèle économique ; il nous manque une vraie réflexion sur la prochaine étape de notre projet civilisateur. C’est le défi majeur à relever et il est trop facile pour des économistes de conseiller de se laisser inspirer par la Chine. Ce pays n’est pas le futur mais puise simplement dans notre propre histoire pour combler son retard. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réflexion philosophique sur les critères de progrès : est-ce d’avoir davantage d’apps sur notre smartphone Huawei et de nouveaux petits gagdets ou est-ce de s’engager dans une quatrième révolution industrielle plus verte, plus durable et plus humaine ?

Votre choix est vite fait…

Oui, ce n’est pas choisir la voie de la facilité mais c’est refuser d’adopter une mentalité d’esclaves et de se comporter en poule mouillée par manque cruel d’imagination et de créativité. Je refuse d’admettre que le futur de l’Europe puisse être le modèle d’un Etat autoritaire, d’un capitalisme d’Etat où les habitants sont sans doute devenus plus riches mais sont quasi traités comme des robots. Où sont la fierté et l’ambition européennes dans la recherche d’un nouvel avenir ? Nous devons venir avec un modèle qui nous élève dans la trajectoire de développement économique. Nous devons comprendre qu’une vraie croissance économique contribuera à une croissance civilisatrice. Ce dont nous avons besoin, c’est davantage de philosophie économique à côté de techniciens économistes.

L’économiste Bruno Colmant fait du modèle chinois la troisième voie vers un capitalisme éclairé et de coopération…

Ce point de vue n’est pas du tout neuf, il ramène au nationalisme économique, à ce capitalisme d’Etat que nous avons abandonné. Quand vous écoutez des entrepreneurs et des chercheurs chinois, ils émettent toujours la même critique : le capitalisme d’Etat les empêche d’être innovateurs, de concurrencer les entreprises d’Etat et d’être correctement valorisés pour leurs inventions. Attention, je ne dis pas que notre capitalisme est idéal avec cet oligopole des Gafa qui tue aussi la créativité. Mais plutôt que de suivre le modèle chinois et ses oligopoles financés par l’Etat, il faut restaurer un marché européen diversifié.

Si le monde occidental devait s’inspirer des recettes chinoises, où cela le mènerait-il ?

A une surcapacité industrielle générale qui conduira à l’étouffement du marché dans sa propre production. L’Europe ne doit pas chercher à préserver notre économie actuelle mais elle doit créer les conditions d’un marché qui permette aux entrepreneurs d’investir dans des productions qui répondent aux aspirations des citoyens en faveur d’ un environnement préservé. Le rôle d’un gouvernement n’est pas de reprendre le contrôle du marché mais d’établir les conditions de l’innovation.

Le modèle économique chinois serait-il compatible avec notre cadre démocratique et nos normes sociales ?

Pas du tout. Le capitalisme d’Etat chinois repose sur la répression du capital. Les citoyens chinois travaillent beaucoup, sont obligés de transférer le fruit de leur épargne aux banques d’Etat qui investissent à des fins stratégiques et politiques fixées par le gouvernement. Cela a créé un surinvestissement dans le secteur immobilier et public avec, à la clé, des travaux d’infrastructures inutiles. Ce capitalisme d’Etat a aussi un effet stérilisateur puisqu’il repose sur une prise de risque liée à l’orientation de l’épargne des citoyens vers des secteurs qui ne sont pas toujours très lucratifs. Le modèle chinois, très fragile, ne peut se concevoir que dans le cadre d’un parti unique. Nous devons, partout dans le monde, nous battre contre le développement de l’autoritarisme. Sinon, ce sera trahir les combats et les sacrifices consentis par les générations antérieures pour développer et défendre les libertés.

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