Le François de Rome et le François d’Assise

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le pape François s’élève contre l’exclusion, le fétichisme de l’argent, la séduction de la puissance. Une attitude qui rappelle celle du saint dont il a choisi de porter le nom. Portraits croisés.

En bon jésuite, le cardinal Bergoglio aurait pu choisir  » Ignace  » comme nom de pape, en souvenir d’Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus. Il a préféré  » François « . Non pas François-Xavier, pilier des missions jésuites en Inde et en Extrême-Orient, mais François d’Assise, symbole incontesté d’un christianisme simple et fraternel, synonyme de dialogue avec l’islam et d’impératif écologique. Selon ses propres dires, rapportés par l’archevêque de New York, Timothy Dolan,  » Padre Jorge  » a pris le nom de François en référence au dépouillement vécu par saint François et à son combat pour la paix. Le premier pape latino-américain se fait l’avocat d’une  » Eglise pauvre pour les pauvres « , qui doit aller  » vers la périphérie « .

 » La doctrine, si importante pour ses prédécesseurs, laisse la priorité à un discours et surtout à des actes qui disent la préférence de Dieu pour les petits, les pauvres et les plus faibles « , remarque le père Charles Delhez, aumônier à l’Université de Namur, où il enseigne aussi les sciences religieuses. Au Vatican, le pape a adopté un style informel inhabituel, qui renforce son image de pontife atypique et soucieux des humbles.  » Il a toujours été un grand admirateur de François d’Assise « , confirme le père Guillermo Marco, son plus proche collaborateur à l’archevêché de Buenos Aires. Dans la capitale argentine, Bergoglio avait délaissé la pompeuse résidence des archevêques pour vivre seul dans un petit appartement, près de la cathédrale. Il avait refusé la voiture avec chauffeur, préférant se déplacer en bus et en métro. De même, à Rome, il n’a pas voulu occuper le spacieux appartement pontifical du Palais apostolique. Il reçoit dans son petit bureau de la chambre 201 de la maison Sainte-Marthe, où il réside.  » François a réussi à distiller du coeur dans le protocole si strict de cette cour vaticane encore moyenâgeuse « , note le père Delhez.

Ce penchant pour la simplicité se manifeste aussi dans son apparence : le pape François ne porte ni la mozette pontificale rouge, ni la croix d’or, ni les chaussures rouges. Il loue avec insistance la modestie et appelle les cardinaux ses  » frères « . Il téléphone à des anonymes qui lui ont écrit pour les réconforter,  » un geste tellement incroyable, limite risible, mais qui envoie un message fort « , estime l’abbé Eric de Beuckelaer, doyen de Liège rive-gauche. Le pape serre dans ses bras des enfants malades, donne l’accolade à un homme défiguré, lave les pieds de détenus romains, comportement qui rappelle celui du Poverello. Une âpreté se mêle à la douceur du ton papal quand François évoque la figure du Christ crucifié ou celle du diable qui  » pousse à céder au pessimisme, à l’amertume « . Pour autant, une vie évangélique ne doit pas être, selon lui, une triste obligation.  » Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche et rendez grâce en toute circonstance « , martèle-t-il. Un programme que ne désavouerait pas François d’Assise.

Populaire chez les non-catholiques

Surtout, le nouveau pape a, comme le  » petit pauvre d’Assise « , le sens de la communication et des symboles forts.  » Saint François avait le sens des gestes qui font signe, confirme l’historien médiéviste Jacques Dalarun : en 1206, en présence de son père et de l’évêque Gui d’Assise, il n’hésite pas à se dépouiller de tous ses vêtements. Formé aux affaires comme pourrait l’être aujourd’hui un jeune sorti d’une école supérieure de commerce, il renonce à prendre la succession de son père, riche marchand de drap. Il finit par opter pour le dénuement total.  »

En prenant pour nom François, le pape n’ignore pas qu’il établit une  » filiation  » entre lui et le plus populaire des saints catholiques. François d’Assise est même le saint le mieux accueilli parmi les chrétiens non catholiques et les non-chrétiens. Le saint des pauvres est aussi, bonus non négligeable, le saint patron de l’Europe et, en 1979, Jean-Paul II l’a proclamé patron de ceux qui se préoccupent de l’écologie. Dès sa messe d’intronisation et à plusieurs reprises depuis lors, le nouveau souverain pontife s’est déclaré partisan d’un mode de vie moins consumériste.  » La nourriture que l’on jette, c’est comme si elle avait été volée à la table du pauvre, a-t-il affirmé. Ecologie de l’environnement et écologie humaine vont de pair. C’est en combattant la culture du rejet et du gaspillage qu’il est possible de devenir attentif à chacun.  » Le pape dénonce aussi avec force les inégalités économiques et les injustices croissantes.

Le 4 octobre dernier, jour de la Saint-François, le pape François s’est rendu à Assise accompagné de son  » G8 « , les huit cardinaux avec lesquels il élabore la réforme de la curie. Jamais il ne s’était rendu dans la cité médiévale italienne, lieu de naissance et de mort de saint François et point de rencontre, depuis le pontificat de Jean-Paul II, de toutes les traditions religieuses. La visite a été soigneusement planifiée, mais  » Papa Francesco « ne s’est pas privé de s’attarder ici ou là. Surtout, il a tenu à visiter chacun des lieux marquants de la vie du  » petit pauvre  » d’Assise, comme aucun de ses prédécesseurs ne l’avait fait avant lui.

Dès avril 2013, le pape François a commencé à renouveler la haute administration de l’Eglise, afin de la rendre plus opérationnelle et plus à son service. Pour sa première nomination au  » gouvernement  » de l’institution, il a choisi… un franciscain. Et pas n’importe lequel : l’Espagnol José Rodriguez Carballo, 59 ans, est ministre général de l’Ordre des frères mineurs (OFM), appellation officielle des franciscains. Dans une interview donnée lors de sa réélection à la tête de l’ordre, en 2009, il racontait avoir été inspiré dans sa jeunesse par un moine  » simple et proche des gens « , ajoutant :  » Plus que jamais, cette Europe laïque a besoin de valeurs franciscaines et évangéliques.  »

La fonction attribuée par le pape au chef de file de la famille franciscaine est celle de  » numéro 2  » de la congrégation qui supervise tous les ordres religieux pour la curie (la  » Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique « ). En clair, il doit, aux côtés du cardinal brésilien João Braz de Aviz, gérer les relations, pas toujours faciles, entre Rome et 190 000 religieux et 750 000 religieuses à travers le monde. Parmi les dossiers chauds : l’effervescence théologique et pastorale des religieuses américaines. En choisissant Carballo, le pape fait appel à un membre d’un ordre religieux ancien, habitué à affronter les défis de la vie consacrée.

 » Va et répare ma maison  »

Plus largement, on ne peut éviter de faire le rapprochement entre le travail de rénovation de l’Eglise entrepris par le pape François, qui parle de  » purifier  » l’institution, et l’appel intérieur qui a dicté le choix de vie de François d’Assise.  » Va et répare ma maison, mon Eglise qui tombe en ruine « , lui a demandé le crucifix de la chapelle de San Damiano. Le jeune homme prend ces paroles à la lettre : il se fait maçon et se déleste de tout ce qui pourrait le placer dans une position de supériorité, de domination sur un frère ou une soeur. La pauvreté n’est pas pour lui une fin en soi, mais un chemin au service de la fraternité et de la réconciliation. Un combat qui peut s’avérer rude : François a travaillé à la restauration de l’Eglise et à la fraternisation avec d’autres civilisations – le voyage en Orient – jusqu’à éprouver, dans sa chair, sa fidélité à sa foi.  » Il meurt épuisé et tourmenté, à moitié aveugle, ravagé par les maladies, avec un corps en lambeaux « , indique Dalarun.

Fils aîné d’une riche famille marchande, le jeune Francesco a longtemps mené la dolce vita avec ses condisciples. Fait prisonnier lors d’un affrontement armé, il tombe gravement malade durant son année de captivité dans les geôles de Pérouse (sans doute un début de tuberculose). Sa conversion, qui contrarie au plus haut point les espérances de son père, ne se réalisera qu’en plusieurs étapes, au cours d’une affection qui l’immobilisera une grande partie de l’année 1204. De même, la vocation religieuse de prêtre de Jorge Bergoglio n’est pas issue du cadre familial. Elle est survenue d’un coup, à l’âge de 17 ans, quand le jeune Argentin a découvert, un 21 septembre,  » la miséricorde du Christ « . Suivront des années de mûrissement dans le secret et d’apprentissage de la souffrance, car il risque à l’époque de mourir d’une infection pulmonaire. Ces événements ont forgé le message évangélique du futur pape.

Olivier Rogeau

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire