Le flamboyant fonds de pension du PS liégeois

Du nationalisme flamand à la galaxie laïque de la finance, Ogeo, le très médiatique fonds de pension de l’intercommunale liégeoise Tecteo, brasse large. Un puissant instrument dominé par le PS, qui a engrangé de plantureux résultats en 2012.

Depuis sa création en 2007, Ogeo Fund, le fonds de pension de Tecteo, a rarement quitté les feux de l’actualité. Sa proximité avec le monde politique liégeois lui ôte toute chance de couler des jours paisibles dans la discrétion à laquelle aspire ce type de structure. Avec Ogeo, le PS liégeois dispose d’un outil financier qui accroît considérablement son influence et peut aussi servir de levier dans l’économie réelle, en privilégiant des investissements à long terme, pour peu qu’ils soient sûrs. Le revers de la médaille ? La méfiance. Ogeo Fund a réalisé dans l’immobilier principautaire des opérations qui n’étaient pas complètement désintéressées sur le plan politique, ni dénuées de risque au plan économique. Exemple : son intervention dans la future réhabilitation du site de l’ancien hôpital de Bavière, à Liège, un dossier pourri depuis vingt ans. Le flamboyant fonds de pension a même failli devenir à moitié propriétaire de l’aéroport de Liège, grâce à un prêt de 130 millions d’euros consenti par ses prédécesseurs à Michel Daerden (PS), du temps où celui-ci faisait la pluie et le beau temps dans les intercommunales de la région. L’argent a finalement été apporté par Tecteo.

Ogeo s’est aussi projeté en Flandre, comme le montre sa prise d’intérêt dans une opération immobilière menée par l’un de ses anciens employés, Joeri Dillen, devenu le chef de cabinet de Bart De Wever (N-VA), à Anvers, en partenariat avec Optima Bank. Du nationalisme flamand à la galaxie laïque de la finance, Ogeo brasse donc large.

La proximité d’un fonds de pension avec un parti dominant est très atypique. Le patron de Tecteo, Stéphane Moreau, numéro 2 de la fédération liégeoise du PS et bourgmestre d’Ans, est aussi le président du comité de direction d’Ogeo Fund. Le président du conseil d’administration de celui-ci, André Gilles (Province), est également celui de Tecteo. Quant au CDH Dominique Drion (Province), il est vice-président dans les deux configurations. Si le libéral bruxellois François-Xavier de Donnéa apparaît dans le tableau, c’est comme  » administrateur indépendant « , mais sans l’aval du MR. Ce dernier n’a jamais accepté la transformation du légendaire bas de laine de l’Association liégeoise d’électricité (ALE, devenue Tecteo) en un instrument financier relativement opaque, contrôlé par le PS et susceptible de mettre en péril le paiement des retraites des travailleurs par des opérations risquées. A l’époque, les députés libéraux Olivier Hamal (qui a quitté la politique sur cet échec), Christine Defraigne et Pierre-Yves Jeholet, soutenus par Didier Reynders, avaient protesté publiquement.

De belles performances

Cinq ans ont passé depuis la création d’Ogeo Fund. Avec ses huit sociétés d’affiliation (c’est-à-dire les employeurs, principalement des intercommunales), il est devenu  » multi-entreprises « , ce qui est plutôt rare dans le monde des fonds de pension. Il n’a pas quitté son périmètre liégeois, alors qu’il ambitionnait de séduire au-delà de la Principauté et, même, de la Belgique. Avec plus de 900 millions d’actifs sous gestion, dédiés à 4 020 bénéficiaires présents et à venir, il se classe en cinquième position. Indéniablement serein.  » Chaque entreprise d’affiliation d’Ogeo Fund participe à la définition et à la mise en place de la politique de placement au travers de l’assemblée générale « , lit-on dans sa luxueuse plaquette de présentation. Le fonds liégeois se targue de son double contrôle actuariel, de son commissaire agréé, ainsi que de la supervision d’un comité financier. Il s’est entouré de spécialistes, dont la Banque Degroof, qui cornaque plus de 30 % des fonds de pension d’entreprise en Belgique. Interrogée par Le Vif/L’Express, la FSMA, l’autorité des services et marchés financiers, souligne que  » le taux de couverture d’Ogeo Fund est très largement supérieur à la moyenne du secteur « .

Après des débuts difficiles, le fonds liégeois a, en effet, acquis de belles couleurs. En 2012, il a obtenu, dans le premier pilier (pensions légales), un rendement de 9,17 % pour un bénéfice de 212 millions d’euros. Ogeo 2 Pension, qui s’occupe des pensions complémentaires, a, lui, dégagé du 7, 29 %. Selon Ogeo, son rendement moyen, ces cinq dernières années, a dépassé celui de ses homologues durant la même période.  » Il dépasse ce que peut garantir actuellement une société d’assurance, à savoir plus ou moins 2,25 % « , ajoute le comité de direction dans son rapport annuel 2012. Cette pique n’est pas surprenante. Les fonds de pension et les entreprises d’assurance, plus corsetées, se disputent le marché des pensions complémentaires. En Belgique comme sur le terrain européen.

La spécificité de cette forme d’épargne ? Dans un système de fonds de pension, le garant ultime est l’employeur. C’est la grande différence avec les compagnies d’assurance, responsables sur leurs fonds propres, et astreintes à une obligation de résultat.  » L’obligation de moyen d’un fonds de pension est de gérer ses capitaux le mieux possible, sans garantie de résultat ni au niveau du rendement ni au niveau des capitaux investis, relève l’ancien ministre CDH Jean-Pierre Grafé (NDLR : administrateur du groupe d’assurance Ethias). L’obligation de résultat de l’assureur porte sur un taux technique minimum de rendement et des capitaux. Dans le cadre d’une assurance-pension, un rendement est généralement garanti en  » branche 21 « , ce qui n’est pas le cas des fonds de pension. L’entreprise d’affiliation ne bénéficie d’aucun effet de cliquet sur le rendement net réalisé. En période de forte volatilité des marchés, cela peut l’entraîner à verser des contributions complémentaires au-delà du plan de financement.  »

Ces différences expliquent pourquoi, dans un fonds de pension, la relation de confiance entre l’employeur et son personnel est primordiale. Dans 73 % des institutions belges de retraite professionnelles, les travailleurs ou leurs représentants siègent au conseil d’administration. Là aussi, Ogeo Fund se distingue. Lorsque le PS liégeois l’a créé, en 2007, avec la bénédiction du CDH, il avait la volonté d’agréger d’autres fonds de pension publics à celui de Tecteo (ex-ALE), déjà doté de 500 millions d’euros. Ce petit pactole était alors déposé à la Smap, la compagnie d’assurance publique devenue Ethias. De façon surprenante, le syndicat socialiste CGSP, qui cogérait le fonds de l’ALE, a accepté de se délester de son pouvoir dans Ogeo Fund. Certes, rien n’obligeait Ogeo à être paritaire, à la fois parce qu’il s’occupe du  » premier pilier « , entièrement régi par la loi, ce qui est rare dans l’univers des fonds de pension (à peine 7 sur 201), et que le  » deuxième pilier  » (Ogeo 2 Pension) n’exige la parité que si une convention collective le prévoit, ce qui n’était pas le cas. Mais, inexplicablement dans une citadelle socialiste, les organisations de travailleurs ont été éjectées au bénéfice du management.

La question de la gouvernance et de la transparence des fonds de pension ne se pose pas qu’en Belgique (lire l’encadré ci-dessous). Elle fait l’objet d’un projet de directive européenne, attendu pour ce mois-ci.  » La législation belge répond déjà aux nouvelles exigences qui découleront sans doute d’une nouvelle directive « , rassure la FSMA. Mais le commissaire européen pour le Marché intérieur et les Services, le Français Michel Barnier, aurait voulu aller plus loin et appliquer aux fonds de pension les mêmes critères de sécurité que ceux qui vaudront pour les assurances en 2016. Il a dû rebrousser chemin. Jusqu’à présent, c’est la FSMA qui contrôle ce secteur sensible, la Banque nationale de Belgique s’occupant des assurances et des banques, qui ont donné des sueurs froides aux épargnants en 2008. Cette répartition des rôles est précaire. La question de savoir si les fonds de pension ne doivent pas être supervisés également par la Banque nationale est d’une brûlante actualité. En attendant un arbitrage politique, les fonds de pension disposent d’une marge de manoeuvre dont Ogeo Fund profite. En toute légalité.

Par Marie-Cécile Royen

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