Francis Huster, " du genre Rhett Butler ", le héros d'Autant en emporte le vent. " Incapable de faire un couple... " © Yann Bohac/reporters - photomontage : Le vif/L'Express

Le feu aux poudres

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : Francis Huster.

Ils sont peu, les comédiens qui peuvent s’enorgueillir d’avoir bouleversé autant de générations que de répertoires, gonflant de soupirs, au passage, les décolletés des femmes de tous les âges. Francis Huster est de ceux-là. Le rendez-vous est fixé dans un hôtel cinq étoiles : verrière, jardin d’hiver et salons verts dans lesquels s’avachissent des touristes en jogging qui se nourrissent avec les doigts.

Le dilettantisme affiché de ces nouveaux riches en visite dans la vieille Europe n’est pas sans trancher avec la ligne raide et froide du mobilier Second Empire qui les entoure. Arrive alors Francis Huster ou, plutôt, débarque Francis Huster, tant son arrivée fait l’effet d’un déménagement. Traînant une énorme valise d’une main, il tracte, de l’autre, sans ciller, une caisse de livres et un sac rempli d’on ne sait pas trop quoi. D’emblée, il vous fait changer de table tout en commandant un Coca-Cola avant de dérouler le récit de ses dernières aventures à son attaché de presse assis à vos côtés.

Le comédien revient d’Israël où se déroulait le Festival francophone de théâtre dont il est à l’origine et dans lequel il jouait deux pièces en alternance. Sur le chemin du retour, il s’est arrêté à Nantes pour jouer A droite à gauche (au centre culturel d’Uccle le 29 novembre prochain) et en a profité pour signer des dédicaces de son livre N’abandonnez jamais, ne renoncez à rien, publié en septembre dernier (Cherche midi).  » Le public était tellement nombreux qu’on a dû refuser des gens partout, c’était incroyable !  » raconte-t-il, dithyrambique.  » Même si la France n’a pas levé le petit doigt pour l’aider, le festival est un triomphe, qui s’apprête à parcourir le monde !  » reprend-il en réorganisant la table, attribuant au sucrier la place de la France et l’entourant de petits carrés de chocolat (le monde) pour être certain que vous compreniez l’enjeu géoculturel qui se dessine sous vos yeux.

Poursuivant sur ses activités, il vous apprend que bientôt sortiront deux de ses nouveaux ouvrages, Trois minutes pour comprendre les personnages principaux du théâtre et Le Dictionnaire amoureux de Molière. Gavé de bonnes idées, l’attaché de presse lâche d’un air un peu gêné :  » Francis, n’oublie pas que tu dois parler d’art  » et, à votre adresse :  » Parfois, il faut un peu le recadrer tant il a tendance à digresser « , avant de l’embrasser et de tourner les talons pour lancer les nouveaux chantiers. C’est que l’agenda de Francis Huster est plus rempli que le carnet de bal de la plus jolie fille du lycée.

La traversée du miroir

Très élégant dans un costume de sport chic, Huster plante ses yeux dans les vôtres et, de sa voix de velours, précise :  » C’est important, les bons papiers, alors il faut qu’on se dise tout. Et moi, je vais tout te donner !  » Coudes sur la table, il découvre une montre à chaque poignet, l’une pour donner l’heure, l’autre pour lui rappeler qu’il a forcément oublié quelque chose dans la journée. Un pense-bête qui, pour l’heure, lui rappelle qu’il doit parler d’art qu’il confie être  » toute sa vie « .  » L’art, ce n’est pas la réalité mais la vérité du monde, ce n’est pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous le voyons, il agrandit ou diminue certains détails, il nous offre à voir l’intériorité des choses. Et moi, si j’ai voulu faire de la comédie, c’est pour montrer le monde que personne ne voit au départ.  »

Plus de cinquante ans sur les planches, dont dix comme sociétaire de la Comédie-Française, des dizaines de films et de téléfilms… Francis Huster attribue son incroyable longévité à sa capacité à livrer sa propre version du rôle à une époque où l’on se bornait à reproduire les mêmes interprétations.  » Au lieu de jouer le jeu du miroir, je le traverse et c’est pour ça que le public m’a aimé. Du coup, pas de problème pour tenir jusqu’à 80 piges !  » Pourtant, le virage, il aurait pu le rater, tant le théâtre a changé depuis toutes ces années. C’est grâce, dit-il, à l’un de ses anciens élèves, le metteur en scène Steve Suissa, qu’il a évité le déraillement :  » Après une représentation, il est venu me dire que si je continuais à jouer comme ça, j’étais mort !  » Comme ça ? Le genre grandiloquent, celui du grand style où l’on fait du  » théâââtre  » et dans lequel tout le monde joue la même partition.  » Alors, j’ai changé. Grâce à Suissa, je suis passé du docteur Jekyll – stylé, classique, superbe et lumineux – pour devenir Mister Hyde. Un jeu plus discret, centré non plus sur la voix mais sur le regard. En un mot : moins de  » style  » et plus de  » manière « .

S’il confesse n’avoir jamais douté de lui dans sa carrière, il admet que, côté vie privée, il a traversé quelques gros passages à vide. Il a eu sa Scarlett O’Hara (Isabelle Adjani), sa Sarah Bernhardt (Fanny Ardant), son Anna Magnani (Cristiana Reali) ou sa Jeanne Moreau (Clotilde Courau), mais voilà,  » je ne suis pas un homme qu’on épouse. J’assume : je suis à 100 % responsable de mes ruptures. Sans doute parce que je suis toujours un peu ailleurs et, comme elles sont intelligentes, elles l’ont compris avant moi.  » Plus important encore, c’est de réaliser qu’au théâtre et dans la vie, l’autre est une sorte de révélateur de soi-même :  » Au théâtre, Rodrigue n’existe pas sans Chimène, Roméo n’existe pas sans Juliette… Ce qu’il faut comprendre, c’est que les personnages ne jouent enréalité qu’un seul rôle. Dans ma vie privée, c’est pareil : on n’est jamais deux parce que j’absorbe l’autre pour qu’il soit en moi.  »

Portrait de Molière, Pierrre Mignard, vers 1658 (55 × 48,5 cm).
Portrait de Molière, Pierrre Mignard, vers 1658 (55 × 48,5 cm).© Getty Images

Victime, à 11 ans, d’un viol qui faillit lui coûter la vie, Huster a décidé que chaque jour passé depuis serait un jour de plus gagné sur la vie. Et que celle-ci, il la vivrait seul :  » Le problème, c’est que les femmes attendent qu’on leur donne quelque chose, or je pense que les hommes sont faits pour qu’on leur prenne quelque chose. En tout cas moi, je suis plutôt du genre Rhett Butler (NDLR : le héros d’Autant en emporte le vent), donc incapable de faire un couple.  »

La hauteur de Molière, les yeux de Peck

Concernant ses oeuvres d’art préférées, Francis Huster choisit Molière après avoir cité Louis Jouvet et Jean-Louis Barrault, ses pères spirituels. Avec ses mentors, il partage l’expérience peu commune d’avoir échappé à la mort (NDLR : Jouvet dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, Barrault en chutant d’une passerelle au théâtre) et, surtout, le grand secret de la mort de Molière qui – selon Jouvet qui le disait à Barrault qui le disait à Huster – avait été assassiné :  » Molière, c’est le seul à s’être élevé contre la dictature religieuse, le seul à avoir défié la censure et c’est pour ça qu’ils l’ont tué. Où sont les Molière aujourd’hui ? Une pièce comme « Tartuffe contre Daech » nous semble impensable, or c’est justement le genre de choses dont le monde a besoin !  »

D’origine juive, le comédien précise pourtant ne connaître qu’une seule religion, celle des hommes :  » Ceux qui ne regardent ni le ciel ni la terre, mais ne voient que leur prochain.  » Mais le théâtre étant la religion du verbe, s’il n’avait pas été juif, Huster pense qu’il aurait sans doute fait de la politique. Et c’est avec véhémence qu’il vilipende ceux qui avaient le pouvoir d’agir contre le mal d’aujourd’hui et qui, au final, s’écrasent lamentablement :  » Au lieu d’affronter le mal de face, il faut élever la société. Utiliser la science et la culture pour amener les hommes à prendre de la hauteur ; c’est la seule solution possible. Mais ça, personne ne le fait. Obama avait quand même la plus grande armée du monde et il s’est couché devant le mal, finalement c’est le Ponce Pilate de notre siècle. Macron, par contre, c’est sans doute notre dernière chance.  »

Pour son deuxième choix, Francis Huster hésite entre l’oeuvre de Rachmaninov et Le Mur invisible d’Elia Kazan, chef d’oeuvre du 7e art et Oscar du meilleur film en 1948. Ce n’est pas tant pour l’histoire (chargé d’enquêter sur l’antisémitisme, un journaliste se fait passer pour juif), qui le fascine au demeurant, mais pour le  » regard  » de Gregory Peck.  » Jusque-là, les acteurs masculins n’étaient appréciés que pour leur présence physique, seules les femmes avaient droit aux émotions. Jusqu’à ce regard de Gregory Peck. Moi, ça me bouleverse !  » A ses yeux, il n’est pas toujours facile d’être acteur car, nous dit-il, sur trente rôles, seuls deux sont véritablement intéressants, alors que pour une femme, c’est l’inverse.

Côté jardin, il confie qu’être comédien relève carrément de l’épouvante :  » Soit on est une star et on doit se comporter comme un héros, soit vous lisez dans le regard des autres que vous n’êtes qu’un raté, un ringard. J’ai toujours eu la prétention de penser que j’étais une star, c’est une sorte de folie qui me protège.  » Loin de ceux qui restent en rang, lui préfère aller plus vite et devancer le peloton des bien-pensants :  » Vivre à leur rythme serait un mensonge, moi je veux devancer, et tant pis si je n’ai pas le temps d’analyser les choses…  » Une confiance en lui dont il ne retire aucune fierté. Au contraire, elle serait plutôt son talon d’Achille :  » Si j’étais plus humble, je serais plus ouvert et je recevrais bien plus de choses des gens. Pauvre con que je suis ! Finalement, je ne prends rien et c’est toujours moi qui donne, c’est épuisant, mais au moins j’ai le sentiment d’être utile.  »

Même si, considère-t-il, l’art est la seule chose au monde qui ne sert à rien. Ce n’est pas parce qu’il y a eu Roméo et Juliette qu’il n’y a plus de suicide, ce n’est pas parce qu’il y a eu Hamlet qu’il n’y a plus de guerre, et ce n’est pas parce qu’il y a eu Othello qu’il n’y a plus de jalousie. Non, l’art n’a pas d’utilité car l’art est une profondeur :  » Comme un sexe d’homme dans le corps d’une femme, quelque chose qui s’enfonce et qui fait ressortir des choses que nous n’imaginions pas. D’une certaine manière, l’art extrait le pétrole de nos âmes. Et le théâtre est sans doute le plus grand des arts parce que rien ne sauve un acteur qui joue faux ; sur les planches, le mensonge ne pardonne pas. Je ne connais que cette vérité-là. « 

Dans notre édition du 24 novembre : Alexandre Brasseur.

Pierre Mignard (1612 – 1695)

Grand rival de Charles Le Brun, le peintre officiel de Louis XIV, Pierre Mignard, c’est tout autant l’histoire d’un talent que d’une grande ambition démarrée dans les ateliers de deux grands peintres de son temps, Jean Boucher et Simon Vouet. Alors que ses contemporains délaissent le voyage italien – grand classique dans l’apprentissage d’un peintre – Mignard exerce son art en Italie et emprunte tant aux maîtres de la couleur que de la ligne. On admire autant ses portraits de madone,  » les mignardes « , que ses portraits italiens. Louis XIV le rappelle en France et lui confie quelques belles commandes tout en réservant les plus importantes à Charles Le Brun, son favori. Mignard entre alors en campagne pour détrôner Le Brun, trop occupé à construire la légende du Roi-Soleil et délaissant, du coup, les portraits des femmes et des favorites. Mignard occupe le terrain et devient vite la coqueluche de ses dames. Mais ce n’est qu’à la mort de son concurrent qu’il le remplace à la cour du roi avant de s’éteindre lui aussi, cinq ans plus tard.

Sur le marché de l’art. Tout dépend du sujet. Louis XIV caracole à 150 000 euros, les madones plafonnent à 10 000 tandis que les scènes mythologiques naviguent dans les 50 000 euros.

Le feu aux poudres

 » Le Mur invisible  » (1947)

Ce film  » coup de poing « , en anglais Gentleman’s Agreement, le premier du genre qui explore l’antisémitisme dans la société américaine au sortir de la guerre, est l’un des chefs-d’oeuvre du cinéma américain. Oscarisé, son réalisateur, Elia Kazan, est cependant déçu, tant l’implication de son producteur, Darryl F. Zanuck, fut importante. Au final, Kazan ne reconnaît plus son film devenu selon lui  » une illustration pour magazine « . Il se rattrapera ensuite avec UnTramway nommé Désir et Viva Zapata ! dans lesquels il fera éclater son talent.

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622 – 1673)

Après des débuts poussifs en province, il devient l’auteur favori du Roi Soleil et de sa cour. Irrévérencieux, il écrit de nombreux spectacles et donne vie à des personnages tellement puissants qu’ils deviennent de véritables archétypes. Si le rire est souvent le ressort de ses oeuvres, leur essence n’en reste pas moins une véritable critique sociale et politique de la société humaine. Vieux de quatre siècles, le théâtre de Molière n’a pourtant pas pris une ride et reste, grâce à ses sujets intemporels, plus moderne que jamais.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire