Le Far West en procès

Les assassins de l’inspecteur vétérinaire Karel Van Noppen vont – enfin – être jugés. Et, à travers eux, un système mafieux aux tentacules inquiétants

Le ventre, le dos et la nuque. Trois balles à bout portant. Le soir du 20 février 1995, l’inspecteur vétérinaire Karel Van Noppen est sauvagement abattu à proximité immédiate de son domicile, à Wechelderzande, près de Turnhout (province d’Anvers). Celui qui, plus tard, avouera le meurtre, Albert Barrez, devait percevoir, pour « gages » de son odieux forfait, la somme de 600 000 francs des mains de la mafia des hormones.

Sept ans après les faits et au terme d’une enquête marquée par de nombreux rebondissements (errements initiaux, inculpations erronées, rétractations d’aveux, « achat » de silence entre protagonistes, etc.), Barrez comparaît, depuis le 15 avril, devant la cour d’assises d’Anvers. Il n’est pas seul sur le banc des accusés. A ses côtés, Carl De Schutter. Déjà connu pour divers vols et trafics d’armes, il est l’intermédiaire, l’homme qui a fourni l’arme au tireur. Pour sa défense, il prétend qu’il lui aurait juste demandé d' »intimider » le vétérinaire… A côté de ces hommes de main, on trouve aussi – et surtout – Germain Daenen, un ancien exploitant d’abattoir, et Alex Vercauteren, un engraisseur de Wetteren, bien connu dans tous les marchés du pays, y compris celui de Ciney. Soupçonnés d’être les commanditaires, tous deux nient farouchement.

Karel Van Noppen n’était pas un tendre. Inflexible, il était résolu dans sa lutte contre l’utilisation d’hormones de croissance pour le bétail. Depuis 1988, il faisait partie de la « cellule hormones » de l’Institut d’expertise vétérinaire (IEV), chargée de surveiller l’état sanitaire des animaux dans les abattoirs. Son intransigeance et sa combativité lui avaient taillé une réputation d’homme honnête et incorruptible. Il se savait menacé. Il avait acheté un gilet pare-balles, fait augmenter la couverture de son assurance-vie et tenté de protéger son domicile privé. Délirant? Loin de là. Ses collègues inspecteurs en avaient déjà vu de toutes les couleurs: véhicules incendiés, façades de maison criblées de balles, menaces en tout genre. Un vrai Far West, en pleine Flandre profonde.

La pointe de l’iceberg

Le procès des quatre hommes est appelé à durer de six à sept semaines. Dès son ouverture, lundi dernier, il a été entaché de sérieux incidents de procédure. On en attend, évidemment, des éclaircissements sur les responsabilités respectives des protagonistes. Mais on en saura peut-être plus, aussi, sur les pratiques douteuses de la mafia des hormones. Par exemple sur l’étrange proximité entre certains dirigeants de l’IEV et les trafiquants notoires. Ainsi, peu avant le meurtre, Gery Germonpré, le supérieur hiérarchique de Van Noppen (décédé par suicide, à la suite d’une incarcération pour une autre affaire), avait été vu en compagnie de Vercauteren lors d’un voyage en Afrique du Sud. Autre question: que se passait-il exactement à l’abattoir de Rekkem, dont Vercauteren était, à une époque, un bon client? Van Noppen avait clairement cet établissement dans son collimateur et Germonpré, étrangement, semblait en nourrir beaucoup de courroux. Comment expliquer qu’à Rekkem – et dans d’autres points chauds du contrôle du bétail – les éleveurs étaient souvent avertis de l’arrivée des services de contrôle? Bref, les quatre inculpés ne forment peut-être que la pointe d’un iceberg.

Une époque révolue? On aimerait le croire. Depuis cet assassinat, véritable traumatisme en Flandre et bien au-delà, les sanctions à l’égard des éleveurs peu scrupuleux se sont nettement renforcées. Eleveurs et engraisseurs véreux semblent se tenir à carreau. Dans quelques dossiers, la justice a eu l’occasion de frapper lourdement et les résultats positifs des analyses sur les résidus d’hormones dans la viande ont spectaculairement chuté. Mais les plus pessimistes estiment que la tête de ce réseau criminel – quelques dizaines d’hommes tout au plus, identifiés dans des cercles assez précis – sévit toujours. Plus discrètement, peut-être via de nouveaux produits ou des cocktails non identifiables. Ou via des fraudes massives à l’exportation hors Union européenne, corruptions à l’appui. Les enjeux sont énormes, comme à l’époque maudite.

Philippe Lamotte

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