Bleu II, Joan Miró, 1961 (270 cm × 355 cm). © Pompidou Metz - photomontage : le vif/l'express

Le dynamot

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : l’humoriste Bruno Coppens.

Un quartier plus bohème que bourgeois, une maison plus petite que grande et un intérieur plus baroudeur que tasse de thé et parquet ciré. Bruno Coppens reçoit chez sa compagne, la reporter de la RTBF Françoise Wallemacq, à Bruxelles. Lui, il est de Tournai mais il n’y campe presque plus jamais. Les enfants sont grands et comme il travaille tout le temps dans la capitale, il en est presque devenu Bruxellois.

Ici, ça sent un peu le couple France Inter, qui dévore les livres, voyage aux quatre coins du monde sans avoir jamais réservé un all-in et qui, le dimanche, tapote plus volontiers sur le piano que sur la télécommande. La télé est d’ailleurs plus petite que le minifeu ouvert au-dessus duquel elle est posée, sans prudence, face à une table en pichepin et un tapis mexicain. Pantalon lie-de-vin, pull foncé à grosses mailles et souliers de cuir, Bruno Coppens fait tour à tour penser à un vieil ado ou un jeune adulte ; un doux mélange de lettres et de sketchs, la candeur et la juvénilité imprimées sur le visage ou l’enthousiasme chevillé au corps. Monté sur ressort, il rappelle un beau lutin magique, du genre qui vient de sortir de sa boîte et qui s’agite au milieu du salon avant d’atterrir dans le canapé ou de courir préparer un café. En passant, il décroche son téléphone portable et rassure un attaché de presse qui se demande à quelle sauce son politique sera mangé dans l’émission hebdomadaire Un samedi d’enfer, que l’humoriste enregistre deux jours plus tard. Ce matin, comme chaque semaine, il servait son Café serré, sur La Première. Et ce soir, comme tous les soirs, il grimpera sur les planches pour son dernier seul-en-scène, Loverbooké, au théâtre Le Public. Comme dans tous ses spectacles, comme dans toutes ses chroniques, comme dans tous ses livres, il y darde l’actualité, il y lance des piques mais surtout, surtout, il y balance des vérités en déjouant les maux avec les mots.

Les elles du désir

Une fesse au bord du canapé, le bras sur l’accoudoir, c’est en équilibre sur des coussins bigarrés que l’humoriste confie, des flammes dans les yeux que, pour lui, l’art c’est avant tout la littérature. Des pages dévorées dès son plus jeune âge pour écourter le temps perdu à l’internat où, comme ses sept frères et soeurs, il poursuivait sa scolarité.  » Notre-Dame de la Tombe, ça ne s’invente pas, non ?  » s’exclame-t-il, mort de rire, avant de confesser avoir suivi le schéma familial sans s’être même posé la question de savoir s’il ne préférait pas rester à la maison. L’intégrale de Bob Morane a 14 ans, Prévert à 16 et Boris Vian à 17 : les maîtres absolus dans son panthéon des belles lettres auquel il ajoutera Raymond Devos ou le clown Sol, en intégrant la troupe de théâtre de l’école.

Une double révélation pour le garçon qui, non content de découvrir les planches ou le répertoire classique, réalise qu’il peut faire rire aussi. Faire rire, c’est bien. Mais faire rire les filles, c’est mieux. Surtout que dans cette école pas mixte, on n’en voit pas souvent.  » C’est très bateau de le dire mais derrière un besoin de se produire sur scène, il y a toujours une fêlure, une soif d’être aimé. Je me disais que si j’arrivais à faire rire les filles, elles étaient déjà dans mon lit ! lâche-t-il en brassant l’air de ses belles mains. D’ailleurs, les femmes ont toujours joué un grand rôle dans ma carrière. Elles m’ont toujours fait confiance et, ce faisant, j’étais encore plus créatif. Avec elles, je n’ai pas de rapport de méfiance comme je peux en avoir de prime abord avec les hommes.  »

La scène, le média du retour immédiat où le public exprime sans filtre ses émotions :  » Sur trois cents personnes, si une ne rit pas, j’en fais une affaire personnelle et je me concentre sur elle. C’est terrible de devoir être aimé à ce point « , ajoute-t-il, s’enfonçant dans un coin du canapé.

Un papa pharmacien, une maman qui  » aurait bien aimé  » être artiste, une fratrie où il faut jouer des coudes pour  » exister « … Pour Bruno Coppens, qui ne veut pas faire de la  » psychologie à deux balles « , le théâtre, c’était aussi la voie royale pour se démarquer dans une famille où tous excellaient dans les sciences ou le sport.

Les îles du plaisir

Bon, et ses oeuvres d’art préférées, alors ? L’acrobate des mots est un peu embarrassé. S’il apprécie aujourd’hui beaucoup les expositions, l’art est arrivé très tard dans son existence, concède-t-il. Sans doute pas avant la rhéto et plus que probablement au musée de Villeneuve d’Ascq, où l’école avait emmené quelques classes. Un souvenir plutôt mitigé et une impression désagréable que l’art est une chose aussi inaccessible que les musées qui l’hébergent.  » J’avais le sentiment que l’art m’était interdit, que les oeuvres se dérobaient sous mes yeux et que je ne pouvais pas les comprendre « , dit-il, toujours déçu. Mais, se reprend-il très vite, c’est sans doute de là que vient son envie de désacraliser la musique (ses mises en scène pour les Jeunesses musicales) et la langue française (ses dictionnaires ludiques). Comme ses créations de contes pour enfants, qui élargissent leurs univers.

Son premier choix, c’est Bleu II, l’une des toiles du triptyque phare de Miró.  » Vu d’en haut, on dirait des îles ; ça pourrait être une plume aussi, qu’accompagnent quelques petites taches d’encre. Une écriture qui serait peut-être du braille, du morse, qui sait ? En tout cas, c’est pour cette immense liberté d’interprétation que ce tableau me touche autant.  » Une liberté chérie et constamment poursuivie par un Bruno Coppens qui clame haut et fort son indépendance. Il faut dire que, jeune, il aurait presque raté le coche lorsque, sa licence en philo romanes en poche, il s’apprêtait à s’engager dans l’enseignement. Heureusement, un de ses sketchs au festival de Rochefort n’eut pas l’heur de plaire au directeur de l’école qui finit par lui refuser le poste ; une belle claque mais, en définitive, une chance extraordinaire ! Finalement, être prof de français, c’était surtout pour rester dans le bain de la littérature d’autant que la réalité de l’enseignement vécue durant ses stages ne l’avait pas franchement emballée non plus.  » Je ne crois pas à la fatalité, je pense qu’on se retrouve tous devant des carrefours et qu’on a le choix de prendre tel chemin plutôt qu’un autre. J’ai observé que certains préféraient renoncer à un rêve ou un projet juste pour pouvoir se dire : « Tu vois, la vie, c’est injuste ! »  » Coppens, lui, s’est lancé et n’a pas hésité à se réapproprier les mots que l’école s’emploie à confisquer dès la scolarité commencée :  » Depuis qu’ils ont 6 ans, les gens ne se sentent plus libres de jouer avec leur langue, c’est le Larousse ou le Robert qui décide. S’ils ne sont pas libres de « dire », ils ne le sont pas plus de « vivre » et c’est sans doute ce qui explique le succès des seuls-en-scène. Parce que quand on voit un mec raconter ce qu’il veut sur une scène pendant deux heures, on envie sa liberté.  »

La vie étoilée

Pour sa seconde oeuvre, le comédien révèle un gros coup de coeur : Edward Hopper. Et son New York Movie, un tableau moins connu que le célèbre bar américain de Nighthawks.  » Bon, on ne peut pas dire que c’est joyeux, c’est même plutôt triste mais quelles couleurs quand même !  » Qui font évoquer par Bruno Coppens le théâtre quelque peu endormi avant les représentations, la solitude glaciale de la salle avant que la scène s’anime. Et les deux heures qui lui sont nécessaires pour atterrir après ses spectacles. Mais cette oeuvre, c’est le symbole de la vie privée d’un côté et la vie professionnelle de l’autre, deux univers qui pour lui ne peuvent être distingués.  » Avant de me séparer de la mère de mes trois enfants, je n’arrivais pas à gérer de front boulot et famille. Je pensais pouvoir tout concilier et j’étais constamment mal de ne pas me consacrer à l’un quand je m’occupais de l’autre. Finalement, c’est quand mon couple a explosé que j’ai réussi, des années plus tard donc, à m’apaiser. Enormément de travail pour me rassurer et une thérapie pour réaliser que j’étais encore capable de faire un couple.  » Et puis il y a eu Françoise, sagittaire et reporter dans des zones de conflits (Balkans, Syrie…). Et à l’égard de laquelle l’homme orchestre ne peut cacher son admiration lorsqu’il vante l’ensemble de ses talents, et de ses mérites.

Pour clore sa sélection, Bruno Coppens a opté pour La Nuit étoilée, de Van Gogh :  » C’est très paradoxal. D’un côté, on sent le tourbillon, l’angoisse et le mouvement. De l’autre, l’apaisement du ciel, le calme et une beauté tranquille.  » Poursuivant sa description, le comédien avoue que ce qu’il y préfère le plus, c’est l’expression de la vulnérabilité du peintre.  » Il nous interpelle en nous montrant des réalités différentes de celles qu’entrevoient les gens. Mais contrairement à un Magritte, que je trouve plus « professeur », ou doctoral, Van Gogh exprime sa réalité à travers sa fragilité et ses propres tourments. Et ça me touche !  »

Confortablement installé à présent, le jongleur de mots confie que même si le théâtre et la comédie restent sa vie, il ne peut s’empêcher de placer la littérature au-dessus de tous les arts.  » Les gens sont plus libres avec la littérature, c’est eux qui mettent en scène l’histoire comme ils ont envie de la vivre. Pas de contrainte, pas de timing, elle leur appartient complètement.  » Mais que ce soit la littérature, le théâtre ou la peinture, l’art a surtout vocation à  » sauver les gens  » en répondant aux grandes questions de la vie. A savoir :  » comment faire ?  » ou  » comment vivre ?  »

Une (très très courte) pause. Puis :  » En nous permettant d’accéder à la manière dont l’autre voit et vit les choses, l’art crée de l’empathie. Je pense que c’est exactement ce dont manque le monde aujourd’hui. « 

Renc’Art revient dans Le Vif/L’Express du 11 janvier 2018.

Joan Miró (1893 – 1983)

Particulièrement peu doué pour le dessin, il n’en est pas moins l’un des plus grands artistes de son temps, peinant tant à traduire la réalité qu’il lui substitue la sienne. Fauviste et cubiste à Barcelone, dadaïste et surréaliste à Paris, Miró embrasse tous les grands courants de son temps avant de succomber à la peinture  » automatique  » – dont le but n’est autre que de libérer l’onirique qui sommeille en lui -,  » sauvage  » lui permettant de traduire les grandes angoisses de son siècle (guerres nationales ou mondiales) ou encore  » monumentale  » dès les années 1950.

Sur le marché de l’art. Des  » pochoirs  » aux environs de 1 000 euros, des petites toiles à partir de 100 000 et des records au-delà de 15 millions.

Nuit étoilée, Vincent Van Gogh, 1889 (73 cm × 92 cm).
Nuit étoilée, Vincent Van Gogh, 1889 (73 cm × 92 cm).© MoMa, New York – Getty Images

Vincent Van Gogh (1853 – 1890)

Peintre à 27 ans, mort à 37. Dix années de production artistique (dont huit d’apprentissage) et deux seulement pour réaliser les 350 toiles pour lesquelles il est adulé. Maître de la couleur et d’une lumière presque spirituelle, virtuose des formes expressives et précurseur du fauvisme, Van Gogh n’en a pas moins vécu une vie de tourments. Ultrasensible, dépressif à tendance suicidaire, charitable jusqu’au sacrifice, se sentant constamment rejeté dans sa propre solitude, il ne trouve l’apaisement que dans la mort. Qu’il se donne un jour d’été, dans un grand champ de blé.

Sur le marché de l’art. Celui qui, officiellement, n’aurait vendu qu’une toile de son vivant fait aujourd’hui le bonheur des amateurs et chercheurs d’or. Pour les oeuvres les plus emblématiques, à savoir les françaises et colorées, comptez entre 50 et 70 millions d’euros. Pour les plus sombres (belges et hollandaises), en centaines de milliers. Mais jusqu’au million tout de même.

New York Movie, Edward Hopper,  1939 (81,9 cm × 101,9 cm).
New York Movie, Edward Hopper, 1939 (81,9 cm × 101,9 cm).© MoMa, New York – BELGAIMAGE

Edward Hopper (1882 – 1967)

 » Je crois que l’humain m’est étranger. Ce que j’ai vraiment cherché à peindre, c’est la lumière du soleil sur la façade d’une maison.  » Ainsi parlait le peintre new-yorkais, observateur silencieux de son temps et source d’inspiration de nombreux artistes tels qu’Hitchcock, Wenders ou les frères Coen. Né à New York dans une famille plutôt ascétique de merciers baptistes, Hopper connaît la gloire dans l’entre-deux-guerres et voit son talent consacré, dès 1933, par une grande rétrospective au MoMa. A sa mort, son épouse et unique modèle – Jo – lègue l’ensemble de son oeuvre au Whitney Museum of American Art.

Sur le marché de l’art. Considéré comme le père du réalisme américain, Hopper reste plus présent dans les musées que sur les marchés. D’où des prix qui s’envolent. En témoigne la récente vente chez Christie’s au cours de laquelle le dessin South of Washington Square a atteint 437 000 dollars. Pour ses tableaux, dont les oeuvres les plus recherchées sont celles des années 1920 et 1930, comptez carrément en dizaines de millions d’euros.

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