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Le djihad des steppes

Pouvoir autoritaire, radicalisation islamique, stagnation économique, migration massive… Pourquoi l’Ouzbékistan fournit son lot de terroristes islamistes, jusqu’à New York.

Comme d’autres imprévisibles terroristes avant lui, le djihadiste qui a ensanglanté New York, le 31 octobre, est originaire d’Ouzbékistan. Son geste extrêmement conscient jette une lumière crue sur la complexité de l’idéologie radicale, qui se joue des frontières.

Avec sa guirlande de cités parées de légendes – Khiva, Boukhara, Samarkand -, l’Ouzbékistan convoque spontanément l’imaginaire des Mille et Une Nuits. Dès le règne du calife omeyyade Abd al-Malik (646 – 705), l’Asie centrale réserve le meilleur accueil à la foi de Mahomet. Des noms prestigieux surgissent et vont rayonner dans tout l’Islam. Al-Khwarizmi (né dans les années 780) fut un mathématicien remarquable ; il est considéré comme le père de l’algèbre, mot qui a été forgé à partir de l’abréviation (al-jabr) du titre d’un des traités qu’il a écrits. L’imam Boukhari (810 – 870) se signala comme un des deux principaux compilateurs de hadiths (les  » dits  » du Prophète). Tamerlan, au xive siècle, se tailla un empire et orna Samarkand de monuments et de mosquées inoubliables. Ce décor – quoique beaucoup trop ripoliné, depuis une vingtaine d’années – n’en abrite pas moins des réalités politiques nettement moins enchanteresses.

Après la période soviétique, caractérisée par la promotion de l’athéisme et la russification, puis à partir de son indépendance (1991), l’Ouzbékistan devient un Etat particulièrement répressif à l’endroit de la religion. Le très autoritaire leader Islam Karimov, au pouvoir de 1989 à sa mort, en septembre 2016, fait de la chasse aux islamistes l’axe principal de son action : l’année même de l’indépendance se constitue un Mouvement islamiste d’Ouzbékistan (MIO), qui se fixe dans l’est du pays, dans la vallée de Fergana, territoire miséreux qui est disputé par les républiques du Kirghizistan et du Tadjikistan. Des dizaines de milliers de sympathisants islamistes sont emprisonnés, torturés ou maltraités ; l’éducation religieuse est restreinte au savoir minimal. Le sommet est atteint en mai 2005, à Andijan où, après une série de troubles sociaux exploités par des fondamentalistes, le pouvoir se livre à un bain de sang (plusieurs centaines de morts).

Ambiguïté stratégique

Il serait trop simpliste d’en conclure qu’un tel serrage de vis est de nature à provoquer en retour une radicalisation islamique. En réalité, le MIO, après avoir organisé une série d’attentats dans la vallée de Fergana et tenté d’y instaurer la loi coranique, est contraint de s’exiler en Afghanistan, où il rejoint les talibans. De là, en 2015, certains de ses membres prêtent allégeance à Daech et fournissent au califat un contingent de recrues (entre 500 et 1 500 sur les 10 000 non arabes du califat). Mais à cela s’ajoute l’effet d’une migration massive, en raison d’une absence de perspectives économiques : de 2 à 3 millions d’Ouzbeks vivent et travaillent en Russie, des dizaines de milliers en Turquie et 300 000 aux Etats-Unis. Parmi eux, certains déracinés se sont sans doute radicalisés  » en ligne « . C’est par l’addition de ces causes que l’on retrouve des Ouzbeks impliqués dans l’attentat de la boîte de nuit d’Istanbul, dans celui du métro de Saint-Pétersbourg ou dans l’attaque à la voiture-bélier de Stockholm.

Enfin, l’Ouzbékistan, qui a immédiatement offert sa coopération aux autorités américaines après l’attentat de New York, est aussi au coeur d’une ambiguïté stratégique majeure qui explique pourquoi il ne figure pas sur les listes noires des Etats suspects. Entre 2001 et 2005, Tachkent a permis aux Etats-Unis d’établir une base aérienne sur le sol ouzbek, afin de disposer d’un appui arrière par rapport à l’Afghanistan. Le Royaume-Uni et l’Allemagne ont également eu besoin de l’hospitalité des Ouzbeks dans le même cadre. Le propre de l’idéologie de Daech est de parvenir à combiner tous les facteurs de passage à l’acte.

PAR CHRISTIAN MAKARIAN

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