Benny Gantz, leader de la coalition centriste Bleu Blanc, doit-il gouverner avec Benjamin Netanyahou, du très droitier Likoud, ou tabler sur une alliance précaire ? Les deux options ne sont guère confortables. © AHMAD GHARABLI/belgaimage

En Israël, le dilemme de Benny Gantz

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Entre une union nationale piégeuse avec le Likoud pour faire face à la crise sanitaire et un gouvernement soutenu par des forces aux intérêts opposés, le dirigeant centriste ne voit pas l’avenir en rose. Tandis que son rival Benjamin Netanyahou s’accroche au pouvoir.

L' » union nationale « , qui n’a pas été possible en Belgique entre les deux plus grands partis, la N-VA et le Parti socialiste, est une des solutions étudiées en Israël par le Likoud de Benjamin Netanyahou (de droite) et par la coalition Bleu Blanc de Benny Gantz (centriste) pour faire face à la crise du coronavirus. Elle semble cependant tout aussi difficile à mettre en place. Elle met en jeu à la fois la survie politique du Premier ministre sortant et la pérennité de l’alliance de l’ancien chef d’état-major de l’armée.

Une victoire sans concrétisation

Le 2 mars, les Israéliens ont été convoqués dans les bureaux de vote pour la troisième fois en un an, après les scrutins d’avril et de septembre 2019. Contre toute attente, Benjamin Netanyahou, pourtant en instance de comparution en justice pour des accusations de corruption, fraude et abus de confiance (la première audience de son procès a été reportée au 24 mai), en est sorti vainqueur. Le Likoud a remporté 36 des 120 sièges de la Knesset contre 33 à Bleu Blanc. Mais l’entente que le chef du gouvernement sortant a réussi à forger avec les partis religieux ou d’extrême droite Shas, Judaïsme unifié de la Torah et Yamina, ne rassemble toujours que 58 députés.

Netanyahou peut difficilement encore prétendre faire figure de sauveur providentiel de la nation.

L’alliance de l’eau et du feu

Car il lui manque l’apport de Israël Beytenou, le parti ultranationaliste et laïque d’Avigdor Lieberman, celui-là même qui a provoqué en novembre 2018 par sa démission du poste de ministre de la Défense en raison d’un accord de cessez-le-feu avec le Hamas palestinien jugé capitulard face au terrorisme, la chute du gouvernement Netanyahou IV et la succession des élections. Avec ses six députés à la Knesset, le leader radical et antiarabe est devenu le  » faiseur de rois  » provisoire de la politique israélienne.

Il se disait disposé à approuver la formation d’un gouvernement dirigé par le centriste Benny Gantz dont la survie dépendrait pourtant du soutien de la Liste arabie unie, le parti des Arabes israéliens, un autre gagnant surprise, grâce à une unité retrouvée, du scrutin du 2 mars avec ses quinze sièges… Pour convaincre Avigdor Lieberman, le candidat Premier ministre se serait engagé à revoir les relations entre l’Etat et la religion. C’est alors qu’est survenu l’emballement de la crise sanitaire mondiale et que Benjamin Netanyahou a appelé, au vu de ces circonstances exceptionnelles, à former un gouvernement  » d’union d’urgence  » avec son principal rival, Bleu Blanc.

L'ultranationaliste laïque Avigdor Liberman (à g. de Netanyahou), ancien ministre des Affaires étrangères et de la Défense : fâché avec Benjamin Netanyahou, il peut consacrer Benny Gantz premier ministre
L’ultranationaliste laïque Avigdor Liberman (à g. de Netanyahou), ancien ministre des Affaires étrangères et de la Défense : fâché avec Benjamin Netanyahou, il peut consacrer Benny Gantz premier ministre© getty images

Alliance en péril

Ce projet conditionne l’avenir de deux stratégies de la politique israélienne. Après avoir dirigé le pays pendant quatorze ans et dépassé ainsi la longévité au pouvoir du fondateur de la Nation David Ben Gourion, Benjamin Netanyahou pourrait s’offrir une prolongation de carrière. Les tractations évoquent un partage de la charge de Premier ministre avec Benny Gantz selon une rotation au terme de deux ans de mandat.

Et, conséquence qui n’est pas sans rapport avec les ambitions de Netanyahou, l’alliance Bleu Blanc pourrait ne pas survivre à ce marchandage avec le Likoud. Ses cofondateurs Yair Lapid, à la tête du parti Yesh Atid, et Moshe Ya’alon, dirigeant de la formation Telem, ont exprimé leurs réserves à l’idée de servir de bouée de sauvetage à un Netanyahou potentiellement mis en cause par la justice. Sans compter que malgré le partage du pouvoir, celui-ci ne renoncerait sans doute pas à tenter d’affaiblir la hiérarchie judiciaire qu’il accuse d’arrière-pensée politique pour justifier ses déboires. Les discussions pour désigner le titulaire du poste de ministre de la Justice en traduisent clairement l’enjeu. Deux hypothèses sont étudiées. La première évoque une personnalité neutre, sans doute issue de la société civile et adoubée par les deux camps. La seconde une complexe cohabitation où le ministre, issu du Likoud, serait cornaqué par un vice-ministre, de Bleu Blanc, avec nécessité d’un accord conjoint pour les décisions importantes et inversion des rôles entre les deux  » partenaires  » à mi-mandat.

Le dilemme de Benny Gantz

Benny Gantz se trouve donc face à un dilemme. Faire le pari que l’union temporaire avec le Likoud répond à la volonté d’une majorité d’Israéliens et qu’elle le servira à terme parce qu’elle assiéra son image de dirigeant responsable. Mais au risque de tensions permanentes. Ou embarquer dans un gouvernement du centre à l’assise précaire dont le sort dépendra de forces aussi hétéroclites que l’ultranationaliste Israël Beytenou et la communautaire Liste arabe unie. Sous peine d’apparaître comme un traître aux yeux de certains juifs.

Un incident ayant pour cadre la Knesset a révélé le climat délétère de la politique israélienne. Le président de l’assemblée, le Likoud Yuli Edelstein, a refusé, le mercredi 18 mars, qu’elle siège en séance plénière pour procéder au vote sur son remplacement et constituer la nouvelle commission des arrangements qui permet dans la foulée le contrôle des autres commissions. Il a invoqué le crise sanitaire. Mais voulait en réalité peser sur la conclusion d’un accord entre Likoud et Bleu Blanc.

Cherche homme d’Etat

Quelle que soit en définitive la réponse aux incertitudes sur le futur gouvernement, les Israéliens pourraient méditer les deux enseignements de cette longue séquence d’instabilité. Benjamin Netanyahou aura échoué par deux fois à former un gouvernement et, si les négociations avec Bleu Blanc aboutissent finalement, il n’aura transformé la troisième tentative en succès que par la grâce du coronavirus. Il pourra difficilement encore prétendre faire figure de sauveur providentiel de la nation. Et, faute d’avoir réussi à séduire les militants modérés du Likoud, Benny Gantz devra constater qu’il n’a pas su capitaliser sur la nouveauté de son offre politique et qu’il n’a pas davantage su tirer profit de la tendance mondiale au dégagisme pour s’imposer comme un vrai leader. Un profil dont aurait assurément besoin Israël.

Une division de plus, entre « centre » et « périphérie »

Tel-Aviv, ville mondialisée acquise à l'électorat du centre et de gauche
Tel-Aviv, ville mondialisée acquise à l’électorat du centre et de gauche© Gil COHEN-MAGEN/belgaimage

Une étude des résultats des élections législatives du 2 mars réalisée par le spécialiste du Moyen-Orient Pascal Fenaux pour La Revue nouvelle (1) met en lumière une nouvelle ligne de fracture au sein de la société israélienne au-delà de celles avancées habituellement entre juifs et Arabes, et, parmi les premiers, entre laïques et religieux ou entre Ashkénazes (originaires d’Europe centrale et de l’Est) et Orientaux (issus du monde arabe et d’Asie). Sur le fond, elle rappelle l’opposition entre les bénéficiaires de la mondialisation heureuse et ses laissés-pour-compte qu’a traduite le mouvement des gilets jaunes en France. La  » périphérie  » évoquée dans l’étude sur Israël pour distinguer une population votant majoritairement à droite et à l’ultradroite d’un centre séduit par les options centristes et de gauche (cette dernière étant réduite depuis trois décennies à  » une minorité assiégée « ) n’a pas de caractère géographique comme la France périphérique des révoltés des ronds-points ; elle est sociologique et  » ethno-confessionnelle « . Mais elle exclut en tout cas les villes libérales de Tel-Aviv, Haïfa, Netanya et un tissu de villages israéliens fondés par  » des pionniers politiquement affiliés à la gauche « . Celle-ci y a été supplantée dans les suffrages par le bloc du centre, Bleu Blanc. La  » périphérie « , elle, qui comprend notamment des villes nouvelles, abrite une majorité de partisans d' » une « révolution » arc-boutée sur la défense de l’identité juive et la défiance d’un Etat de droit considéré comme ashkénaze et défaitiste « . Pour eux, souligne Pascal Fenaux, le  » centre  » incarne  » tous les maux de la société israélienne : le mépris de classe de la  » Bulle « , le complexe médiatico-militaire, la  » bien-pensance  » des  » nantis  » de Tel-Aviv (et autres villes assimilées), la société juive mondialisée  » hors-sol  » et le risque de  » déjudaïsation  » ou de  » post-sionisation  » de l’identité juive israélienne « . En vertu de certains de ces griefs, l’auteur en conclut qu' » Israël, dans le fond, vit une lutte similaire à celles que mènent actuellement de nombreuses sociétés arabes à feu et à sang « . Interpellant.

(1) bit.ly/39k4WqZ

Le président de la Knesset Yuli Edelstein, du Likoud, a engagé un bras de fer avec la Haute Cour de justice qui l'enjoint de réunir l'assemblée en séance plénière.
Le président de la Knesset Yuli Edelstein, du Likoud, a engagé un bras de fer avec la Haute Cour de justice qui l’enjoint de réunir l’assemblée en séance plénière.© YIN Dongxun/belgaimage

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