Le destin trouble des écotaxes

Après neuf ans de péripéties, le psychodrame de la fiscalité sur les emballages de boissons connaît une phase d’accalmie. Bientôt des bouteilles écotaxées en magasin?

Nos limonades, nos bières, nos eaux, nos vins et nos jus de fruits seront-ils, un jour, frappés d’une écotaxe? Depuis que les écologistes, alors dans l’opposition, ont fait cette proposition (c’était en… 1993), ce dossier n’a cessé de subir des enterrements de première classe. Puis, aussitôt, de resurgir là où on ne l’attendait pas, au gré des nouvelles alliances politiques et du rapport de forces des lobbies en présence: associations environnementales d’un côté, fédérations patronales de l’autre. Un dialogue de sourds, très souvent.

Théoriquement, un nouveau système, un peu éloigné de l’écotaxe initiale, devait entrer en application le 1er janvier dernier. Au lieu de taxer unilatéralement les emballages pour boisson jugés mauvais pour l’environnement, le gouvernement avait décidé, au printemps dernier, d’imposer une « redevance » – une écotaxe déguisée -, mais assortie d’une diminution des accises et de la TVA, enrobée d’une appellation plus séduisante d' »écoboni ». Concrètement, la différence entre une boisson conditionnée dans une bouteille jetable et une autre réutilisable devrait être d’environ 4 francs pour un litre d’eau, de 5 francs pour un litre de limonade, de 10 francs pour un litre de bière, etc.

Pour éviter toute confusion liée au passage à l’euro, le gouvernement a officiellement préféré reporter le changement au mois de mars. En réalité, il s’agissait surtout de se donner du temps pour examiner l’avis de la Commission européenne, qui veut éviter des distorsions de concurrence entre les Etats. Or le dossier est fort complexe. Autant dire que le nouveau projet de loi, également en cours d’examen par le Conseil d’Etat, n’est pas près d’être voté avant de nombreuses semaines. Quant à son entrée en vigueur…

Encore de nouvelles manoeuvres de ralentissement? Non. Apparemment, une énième passe d’armes entre tenants et opposants des écotaxes (appelons un chat un chat) n’est pas à prévoir, du moins à très court terme. Même le cri d’alarme, lancé il y a quelques jours par les minéraliers wallons, n’a pas entraîné – pour le moment? – de gros remous chez les ministres fédéraux. Les minéraliers redoutent que les écobonis pénalisent leurs lignes de production. Pour minorer les prétendus mérites de la bouteille réutilisable, ils invoquent les succès du recyclage, symbolisé par le sac bleu de l’organisme Fost Plus. Relayés par Serge Kubla (PRL), ministre wallon de l’Economie, de tels propos voulaient sans doute ranimer l’éternel débat sur l’utilité des écotaxes/écobonis. A défaut, ils ont au moins démontré que l’aile libérale du monde politique francophone a quelques difficultés à accorder les violons sur ce sujet. Les uns – accord de gouvernement oblige – digèrent tant bien que mal l’idée d’une fiscalité verte. Les autres continuent à prétendre que celle-ci nuirait à des pans entiers de l’économie. Eternelles redites!

Neuf ans après la loi sur les écotaxes, on sent, chez les écologistes, une volonté de calmer le jeu, voire une certaine lassitude. L’écobonus, version édulcorée de l’écotaxe du départ, est officiellement considéré par eux comme « un bon compromis ». En réalité, cette formule leur permettra surtout de sauver l’honneur: ils auront décroché (sauf nouvel aléa politique, toujours possible) une forme de fiscalité verte. Mais sera-t-elle efficace pour l’environnement? Cela, c’est une autre histoire, puisque les écobilans, censés départager les uns et les autres, restent fortement sujets à controverse. Autre question cruciale: les différences de prix seront-elles suffisamment incitatives pour modifier les comportements d’achat? Si la réponse est non, on aura mobilisé beaucoup d’énergie pour un maigre résultat. Il reste à méditer cette réalité: aux Pays-Bas, les bouteilles plastiques réutilisables sont d’utilisation courante. Mais, là-bas, une loi les a purement et simplement imposées et les producteurs de boissons ont dû s’y plier. Moralité: les habitudes de consommation ne sont jamais figées une fois pour toutes. Tout dépend de qui veut les influencer, et comment.

Philippe Lamotte

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