© Colin Delfosse

Le Daladier des villes et le Chamberlain des champs

Luc Delfosse
Luc Delfosse Auteur, journaliste

Max Ernst, qui ne fut pas le dernier des dadaïstes, avait mille fois raison :  » Le hasard est le maître de l’humour « . Une rencontre improbable ; le cabot de la duchesse qui tombe éperdument amoureux de la jambe gauche du cantonnier ; le royal lapsus de la présentatrice du JT ; la divine contrepèterie à la page X du Dialogue des Carmélites ;le petit dernier plongé dans le Larousse médical à la page où ne figure évidemment pas le mot  » roubignole  » ; la bignole qui pousse l’Air des bijoux en effeuillant le trottoir ; un viaduc prétendument pourri du fondement miraculeusement rouvert… Il y a décidément matière à gloussements imprévus dans ce monde de brutes.

En politique, si ce n’est dans l’arnaque des sondages, il n’y a pas de hasard. Pas plus que de sentiments. Il n’y a que rapports de force et crocs-en-jambe. L’an 17, en matière de coups tordus, comptera comme un grand cru bourgeois. Tiens, récemment, nous avons d’abord assisté au putsch à moitié avorté du  » Félon de Bastogne  » puis à l’affaire des barbouzes soudanaises invitées à marquer le cheptel des damnés de la Terre par un gouvernement plus enclin à prêcher la paix en Catalogne qu’un peu d’humanité à sa porte. Nous avons enfin entendu les soudains borborygmes du Landerneau dans le cas Moreau. A croire que l’inoxydable DG de Nethys tient en joue son petit monde avec un arsenal de dossiers et de minutes qui pourraient ruiner quelques carrières.

Parfois, même dans cet Olympe, le hasard pointe le bout de son nez de clown. Ou de Pinocchio. Un exemple ? N’y voyez donc pas d’attaque ad hominem, une coïncidence, vous dis-je…

Je ne connais de Pierre-Yves Dermagne que ce que j’en ai lu depuis que le président à vie du PS a dropé ce nouveau petit Jésus sur la scène aux détours des affaires. L’était en quelque sorte vierge, garanti  » pur  » à 100 %, pour tout dire : providentiel. On allait voir ce qu’on allait entendre… bingo ! Le mois dernier, j’enfournais dans ma boîte à mots précieux cette phrase de l’éphémère ministre wallon :  » Les absences de réaction du MR vis-à-vis de (Theo) Francken, ce sont des petits Munich.  »

Face aux provocations, à la brutalité et aux imprécations du secrétaire d’Etat national populiste (de ses collègues et de son président), la saillie de Dermagne m’apparaissait d’une justesse absolue, d’une cruauté chirurgicale, d’un parfait dépouillement. Le hic, c’est que moins d’une quinzaine plus tard, je surprenais… par hasard à la radio l’interview du même jeune monsieur annonçant urbi et orbi la création d’une liste commune – commune ! – PS – MR dans sa ville de Rochefort. Qui plus est : avec… François Bellot, ministre libéral de la Mobilité dans le gouvernement N-VA – MR en guest star. Quoi ! coeur-coeur et love-love avec l’un des  » Daladier « , l’un des  » Chamberlain « , l’un des  » Munichois  » de la rue de la Loi ? De peur d’en pleurer, j’ai beaucoup ri de cette démonstration fortuite de cynisme politique ordinaire. Et qu’on ne vienne pas minauder que l’éthique politique des villes n’a pas cours aux champs…

A mes yeux, Dermagne, digne héritier de Janus – encore un ! – est politiquement grillé avant d’avoir vraiment vécu. On parie qu’il ne sera pas de cet avis ? Pour ma part hélas, bien obligé de m’en tenir encore et toujours à Balzac (un prédadaïste à ses heures, l’Honoré ! ),  » tous ces prétendus hommes politiques sont les pions, les cavaliers, les tours ou les fous d’une partie d’échecs qui se jouera tant qu’un… hasard ne renversera pas le damier.  »

Luc Delfosse

 » Il y a décidément matière à gloussements imprévus dans ce monde de brutes  »

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