Le coûteux lifting d’un colosse aux pieds d’argile

A Tournai, on le surnomme le  » chantier du siècle « . Pour le coût des travaux de rénovation de la cathédrale Notre-Dame et de l’hôtel des anciens prêtres adjacent, mais aussi pour leur durée. Objectif à la fois patrimonial, muséal et touristique.

Environ 700 tonnes de matériel, 170 kilomètres de tubes, 17 000 mètres carrés d’échafaudage, 50 kilomètres de planches en bois… Il a fallu pas moins de six mois aux ouvriers pour installer cette armature métallique qui culmine à près de 80 mètres. Sans oublier le montage de l’impressionnante grue qui côtoie l’édifice depuis juillet dernier. Surplombant la cité tournaisienne avec ses 90 mètres, elle a dû être assemblée au départ de pièces détachées venues d’Allemagne.

Le chantier de la cathédrale Notre-Dame est décidément hors norme.  » L’un des plus grands d’Europe, voire peut-être du monde ! « , s’enthousiasme Serge Hustache (PS), président du Collège provincial de Hainaut. Pas seulement à cause de ses aspects techniques. Sa durée, elle aussi, défie l’ordinaire.

Les premiers travaux de rénovation firent en effet suite à la tornade qui s’était abattue sur la ville, la soirée du 14 août 1999, provoquant d’importantes fissures et de considérables problèmes de stabilité au sein du bâtiment religieux. Ce colosse qui domine la place de l’Évêché depuis le XIIe siècle avait alors révélé ses pieds d’argile.

Ce fut d’abord à la tour Brunin (l’une des cinq de l’édifice, qui présentait un dévers de 80 centimètres) de faire l’objet d’une stabilisation, bientôt complétée par une opération globale de sécurisation. En 2008, la signature d’un accord-cadre entre tous les partenaires impliqués (l’évêché qui occupe les lieux, la Province qui en est propriétaire, la Région wallonne qui finance majoritairement et la commune) marqua le début de la réhabilitation de la nef romane, qui s’est achevée début 2013.

 » Encore 20 ans, au bas mot  »

Depuis un an, la troisième phase du chantier a donc commencé, cette fois autour du transept et des cinq tours, qui resteront emmurés dans cette immense cage métallique pour au moins quatre ans encore. Le temps de nettoyer et remettre d’aplomb murs, vitraux et autres colonnettes.

Le  » chantier du siècle « , comme on le surnomme à Tournai, n’est pas près de s’achever. Une quatrième phase devrait venir clôturer la restauration. Celle consacrée au choeur gothique, lifting particulièrement délicat puisqu’il doit s’attaquer à la partie de la cathédrale qui présente le plus d’inconnues au niveau de la stabilité.  » On en a encore pour 20 ans de travaux, au bas mot « , prédit Marie Christine Marghem, Première échevine en charge du Patrimoine (MR).

Le temps de venir à bout de cette rénovation délicate, qui doit être effectuée à l’aide de techniques et matériaux identiques à ceux utilisés à l’époque. Le temps aussi de trouver les fonds nécessaires. Car si l’accord-cadre de 2008 prévoyait une enveloppe de 21 millions (augmentée de 6 millions en 2012) pour la nef romane et le transept, rien n’a (encore ?) été octroyé pour le choeur gothique.

Inquiétant, à l’heure où les deniers publics ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval ?  » L’accord-cadre sera renégocié en 2017 « , annonce l’échevine libérale.  » À chaque jour suffit sa peine, enchaîne Serge Hustache. Il nous faudra encore une histoire d’au moins 15 millions d’euros. On se tournera vers la Région. Ce ne serait pas cohérent de ne pas assumer la dernière partie. Puis nous espérons que notre bourgmestre (NDLR : le socialiste Rudy Demotte) soit toujours ministre-président. Il s’agit tout de même d’un bâtiment historique majeur, qui peut être un outil touristique important pour la Wallonie.  »

Un outil touristique qui est mis en sourdine depuis la fameuse tornade, et qui le restera donc pour un bout de temps. Difficile de concilier visites et sécurité durant les travaux.  » Même si le chantier en lui-même est déjà un pôle d’attractivité intéressant « , pointe Marie Christine Marghem. La fréquentation actuelle stagne autour des 200 000 visiteurs annuels. La Cathédrale n’a finalement pas encore profité de l’émulation qui découle habituellement d’une reconnaissance au patrimoine mondial de l’Unesco, consécration obtenue en 2000.

Mais cela va changer, promettent les élus.  » Je suis de ceux qui pensent que cela serait stupide de mettre autant d’argent dans ce projet sans ambition touristique derrière, clame Serge Hustache. En respectant la fonction religieuse des lieux. Même si certains ont une vision patrimoniale plus stricte.  »

Adieu, hôtel 4-étoiles

L’outil qui doit contribuer à attirer en masse les touristes n’est autre qu’un futur pôle muséal, qui regrouperait tout ce qui s’expose le mieux dans la cité des cinq clochers sous un même toit, à savoir celui de l’hôtel des anciens prêtres. Un vaste et vide édifice qui jouxte la cathédrale. Il appartient aujourd’hui au CPAS – pour des raisons historiques -, tandis que l’ancienne bibliothèque qui le surplombe a toujours la Ville pour propriétaire.

Il y a un an et demi à peine, transformer l’ensemble en hôtel de luxe à destination d’un tourisme d’affaires était toujours l’option privilégiée, malgré la demande de l’UCL d’y implanter sa faculté d’architecture. Mais ces deux idées ont bel et bien été enterrées par la majorité communale PS-MR en place depuis les élections de 2012.

A la grande satisfaction du monde associatif.  » Cela fait des années que nous estimions que le lieu se prêtait beaucoup mieux à cette fonction muséale « , rappelle Benoît Dochy, administrateur de l’ASBL Pasquier-Grenier et membre d’Ecolo.  » Puis, l’entretien de sept musées en ville, comme c’est le cas actuellement, est non seulement coûteux mais nuit aussi à la visibilité de l’offre « , ajoute Marie Christine Marghem.

Reste que ce pôle muséal nécessite de repartir d’une page blanche. Et qu’il subsiste des  » zones floues  » selon Benoît Dochy, à propos de la place exacte de la Région wallonne. En décembre dernier, celle-ci avait fait une offre de 2,5 millions pour racheter le bien au CPAS. Mais l’Ecolo s’interroge : quel rôle jouera la Région exactement ? Qui financera les travaux de rénovation ?  » Nous n’avons pas de réponse pour l’instant. Mais nous pensons que la Région doit s’impliquer, ne fût-ce que pour maintenir un équilibre entre les provinces alors que Liège a eu son Grand Curtius, même si nous préférons une option plus réaliste.  »

Du côté de la Ville, on évoque par exemple la possibilité d’un bail emphytéotique accordé à Tournai une fois que la région wallonne sera devenue propriétaire. Encore faut-il que la transaction se concrétise. Le pôle muséal, comme la fin des travaux de la cathédrale, ce n’est sans doute pas pour demain. ?

Par Mélanie Geelkens

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