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Candidats, financement, signatures… Le contre-la-montre du Collectif citoyen avant les élections

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La fédération des listes citoyennes espère décrocher des élus en mai prochain. Pour y arriver, elle devra réaliser un tour de force. Coulisses d’une naissance, dans la douleur.

En Belgique francophone, sur fond de scandales à répétition et dans le sillage du modèle d’En marche ! en France ou du Mouvement 5 étoiles en Italie, plusieurs formations citoyennes ont vu le jour depuis deux ans. Fortes de 80 élus décrochés, à l’arrachée et en ordre dispersé, lors des élections communales et provinciales d’octobre 2018, ces petites listes se sont fédérées sous le label de Collectif citoyen. Pour obtenir quelques sièges lors du scrutin régional, fédéral et européen du 26 mai prochain.

L’aventure démarre en novembre dernier. Après les communales, deux responsables de listes citoyennes de la région liégeoise, Michel Beaufays à Sprimont et Edouard Marchand à Hamoir, lancent un appel à l’union francophone de ces listes.  » Nous voulons prolonger notre action communale par une dynamique régionale pour avoir plus de poids, explique Michel Beaufays. La participation citoyenne est notre cheval de bataille.  » Avec l’environnement et la justice sociale. Le 18 novembre, vingt-cinq personnes se réunissent à Hamoir pour désigner un comité de pilotage.  » Il a été décidé de faire une union de personnes plutôt qu’une fédération de listes, précise Walter Feltrin, l’un des coprésidents du Collectif. Une charte de sept pages en jette les fondements. Nos priorités : la gouvernance, la transparence, l’éthique et une plus grande efficacité sur le plan socio-économique, notamment.  » Deux assemblées générales, les 20 janvier et 3 février, constituent l’asbl et façonnent l’organigramme de base en présence de plus de cent personnes, chaque fois. Aux côtés de Walter Feltrin, fondateur d’Oxygène, la coprésidente est Muriel Denis, du mouvement Plan B. Un homme et une femme, un Wallon et une Bruxelloise : l’une des nombreuses similitudes avec Ecolo. Comme les verts, le Collectif se donne d’ailleurs pour objectif de  » repolitiser la société  » et de stimuler la participation de tous.

La participation citoyenne est notre cheval de bataille.

 » Fondamentalement, un tronc de valeurs communes nous réunit, insiste Stéphane Michiels, qui a rejoint le Collectif pour prolonger une réflexion de fond sur la gouvernance menée avec Belvox. C’est vraiment une fédération de gens qui partagent les mêmes objectifs et disposent du même droit à la parole. Notre mission est de maintenir ce tronc jusqu’aux élections, pour faire notre place. Ensuite, nous pourrons nous structurer en profondeur et intégrer davantage de mécanismes participatifs.  »

Cédric Sougnez (Stop & Change Aywaille) et Walter Feltrin (Oxygène) : le Collectif fédère des initiatives locales nées partout en Wallonie et à Bruxelles.
Cédric Sougnez (Stop & Change Aywaille) et Walter Feltrin (Oxygène) : le Collectif fédère des initiatives locales nées partout en Wallonie et à Bruxelles.© MAXIME ASSELBERGHS/ISOPIX

Certains ne montent pas à bord

Tous les mouvements se revendiquant  » citoyens  » n’ont pas rejoint le navire amiral.  » Un élagage s’est fait « , reconnaissent ses responsables. Pour des questions idéologiques, parfois. Une réunion a eu lieu avec le Mouvement citoyens libres (MCL). Là où le Collectif citoyen est ouvert, progressiste en matière climatique ou sociale et large dans ses préoccupations, le MCL se focalise sur des préoccupations plus radicales comme le retrait de la Belgique de l’Union européenne ou le référendum d’initiative citoyenne. Incompatible. A Bruxelles, Agora a choisi de rester à quai pour se concentrer sur la désignation d’une assemblée citoyenne.

Les questions de personnes et les luttes d’ego jouent leur rôle aussi, forcément. Ainsi, Jean-Yves Huwart ne sera pas de la partie. L’ancien journaliste avait créé en-marche.be, en surfant sur la vague Macron. Pour une question de droits, il avait rebaptisé l’initiative C-Vox. Puis rejoint le mouvement paneuropéen Volt, dont il occupait la vice-présidence.  » J’ai démissionné, dit-il au Vif/L’Express. Dans certains pays, ce mouvement fonctionne plutôt bien mais, en Belgique, il est surtout le fait d’expatriés, au discours assez technocratique. Je me suis senti déconnecté. J’ai repris l’écriture pour mettre à jour le livre rédigé il y douze ans pour analyser le déclin de la Wallonie. Depuis, aucun indicateur n’a évolué favorablement. J’essaie d’analyser pourquoi. Je suis peut-être davantage fait pour un tel travail, qui peut avoir plus d’impact que la structuration d’un mouvement.  » Le Collectif citoyen ?  » Je n’ai pas été contacté, regrette Jean-Yves Huwart. Ce rassemblement a l’air de prendre forme. C’est positif parce que le paysage politique francophone, comme son paysage économique, manque d’un renouveau convaincant. Le risque, c’est le syndrome patchwork, la naissance d’un mouvement comme 5 étoiles en Italie, qui est surtout le reflet d’une colère.  »

Les vicissitudes liées au combat citoyen pourraient empêcher d’autres de s’investir pleinement. Jean-François Mitsch, ex-Ecolo et exclu du PS, élu à Genappe sur la liste citoyenne Ensemble, voit d’un oeil favorable la naissance du Collectif.  » Notre liste a adhéré à cette initiative constructive, lancée avec beaucoup de bonne foi, qui a énormément de potentialités. Il y a des sensibilités différentes à fédérer et des particularismes locaux, mais l’intérêt c’est que ça vient de la base.  » Depuis son rôle de lanceur d’alerte dans l’affaire Ores/Electragate, classée par la justice, Jean-François Mitsch n’affronte que difficultés sur le plan professionnel : il a démissionné de sa coopérative Enercoop, dans la tourmente en raison de querelles d’actionnaires et de représailles de ceux qu’il avait critiqués.  » Je compte soumettre ma candidature au Collectif pour les élections. J’aimerais apporter mon expertise des questions énergétiques et culturelles. Mais je risque de payer ces difficultés infligées pour des raisons politiques.  »

Stéphane Michiels (Belvox) :
Stéphane Michiels (Belvox) :  » Un tronc de valeurs communes nous réunit tous. « © JOAKEEM CARMANS

Les écueils d’une structuration

Le Collectif citoyen a pourtant l’intention de bousculer ce paysage qui se protège. A 29 ans, Olivier Carlens sait que ce ne sera pas simple. En 2012, il était sur une liste d’entente communale qui a mis fin à quarante ans de règne socialiste à Remicourt, en province de Liège.  » Après, des querelles d’ego ont éclaté autour de la répartition des postes. Puis, le MR a renoué avec le PS pour le faire revenir au pouvoir. Alors j’ai pris du recul. L’an passé, avec un autre déçu de la politique, nous avons créé une initiative citoyenne pour défendre l’intérêt général. En octobre, il y avait sept listes en présence pour 4 000 votants. Nous n’avons obtenu qu’un siège, avec 12 % des voix, à cause de la clé de répartition. Nous nous sommes dit que c’était au niveau supérieur qu’on pourrait le mieux oeuvrer au bien-être des gens. Voilà pourquoi j’ai rejoint ce Collectif. Les partis traditionnels n’ont pas fait que des mauvaises choses, mais nous voulons réagir face aux dérives du système, engendrées par des élus déconnectés des réalités une fois installés au pouvoir…  »

Le risque, c’est la naissance d’un mouvement patchwork comme cinq étoiles en Italie.

L’important, ce n’est pas de changer les hommes, mais les mécanismes.  » Le pouvoir corrompt, glisse Walter Feltrin. Dans le système actuel, tôt ou tard, même de très bonnes personnes risquent de basculer. Il faut changer de cadre, mettre fin à l’entre-soi, aux conflits d’intérêts, aux influences des lobbies, au pouvoir des chefs de parti…  »  » Les règles internes que le mouvement s’est fixées sont très strictes, complète Stéphane Michiels. Tout ce qu’on revendique au niveau de l’éthique – décumul des mandats, plafonnement des rémunérations… -, nous nous l’appliquons en interne. Nous défendons l’idée que la politique n’est pas un métier, mais un passage. Cette conception figure dans les gênes du Collectif. Il faut expérimenter d’autres manières de fonctionner pour donner la parole aux gens. Le problème du monde politique, c’est qu’il s’y refuse. Il met en place un mécanisme de défense, comme si nous étions des virus. En ouvrant le système aux citoyens, on amènera des gens moins intéressés par leur carrière et davantage par l’intérêt général.  »

Plus de cent personnes ont participé aux deux premières assemblées générales du Collectif citoyen.
Plus de cent personnes ont participé aux deux premières assemblées générales du Collectif citoyen.© DR

D’ici au 29 mars, le Collectif doit composer ses listes. Dans chaque circonscription, un responsable a été désigné pour prospecter dans le vivier des listes citoyennes et susciter des vocations.  » Nous devons trouver des candidats épousant notre philosophie et prêts à s’y consacrer à plein temps s’ils sont élus, dit Walter Feltrin. Gros défi : les gens doivent avoir une vue sur la gestion de leur carrière. Or, nous ne leur proposons qu’un passage. On devrait mettre en place une sorte de « service politique », d’une durée déterminée.  » Un comité de déontologie veillera à éviter les couacs au niveau de la sélection des candidats. Difficulté déjà perceptible : obtenir suffisamment de femmes, tant le milieu a développé des codes machistes… Et les signatures nécessaires pour pouvoir se présenter ? Soit entre 200 et 500 par circonscription pour les régionales et fédérales, 5 000 dans toute la Communauté française pour les européennes.  » Comme le Collectif se base sur des mouvements locaux ayant déjà une assise, ce ne devrait pas être impossible, mais il faut quand même y arriver, reconnaît Stéphane Michiels. C’est une procédure qui vise à freiner l’émergence de nouveaux mouvements.  »  » Nous avons écrit aux présidents des partis, lundi 18 février, pour solliciter leur soutien, enchaîne Walter Feltrin. L’appui d’élus requiert moins de signatures. Et c’est une façon de les placer devant leurs responsabilités, de tester leur volonté d’ouverture.  »

Alors, il s’agira de mener campagne… sans le moindre euro.  » Nous comptons sur les réseaux sociaux, un crowdfunding, des actions relayées dans la presse. Nous mettons de l’argent de notre poche pour la moindre photocopie mais on franchit chaque étape. Nous sommes près du but.  » Dans leurs rêves, les responsables du Collectif se voient composer un groupe politique au parlement de Wallonie, soit cinq députés.  » Mais si on pouvait décrocher un financement public pour pouvoir poursuivre notre structuration, ce serait déjà formidable.  » Pour changer le système, de l’intérieur.

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