Le Club de Bruges. No stock-market launch, no glory. © GETTY IMAGES

Le Club de Bruges a perdu

Fin mars, une première tentative d’introduire le Club de Bruges en Bourse échouait. Raison invoquée: un intérêt très tiède pour les actions ‘Blauw en Zwart’. Le football serait-il un investissement intelligent ou émotionnel?

Le Club de Bruges avait annoncé son entrée en Bourse pour ce printemps. Grizzly Sports, un véhicule boursier regroupant les intérêts du président du Club Bart Verhaeghe, du CEO du Club Vincent Mannaert, du patron de Lotus Bakeries Jan Boone et de Peter Vanhecke du fonds d’investissement Castel Capital, prévoyait la mise sur le marché de 3,25 millions d’actions du champion belge en titre, soit 28,3% du total des actions. Mais au lieu de faire sonner la cloche d’ouverture à Euronext Bruxelles le vendredi 26 mars, les initiateurs ont annulé l’introduction en Bourse à la dernière minute. Et ce, en raison du manque d’intérêt constaté a-t-on pu entendre. « C’est un report, pas un abandon », soulignait Bart Verhaeghe quelques jours plus tard.

Les performances boursières des clubs de foot font pâle figure face aux valeurs de l’Euro Stoxx 50.

Une grande volatilité

L’introduction en Bourse du Club aurait été une première, jamais encore une équipe de foot belge n’avait été cotée. À l’étranger en revanche, cela fait belle lurette que des clubs de foot sont entrés en Bourse. Le premier a été Tottenham Hotspur, en 1983. Il a ensuite été suivi par Manchester United (1991), l’Ajax et la Lazio Roma (tous deux en 1998). En 2021, on dénombrera en Bourse une vingtaine d’équipes européennes: des clubs de haut niveau comme Arsenal, l’AS Roma, le Borussia Dortmund, l’Olympique Lyonnais, mais aussi de nombreuses équipes beaucoup moins connues des championnats danois et turc. Tottenham Hotspur a pour sa part quitté la Bourse en 2012. Selon Daniel Levy, le président des Spurs, la présence en Bourse compliquait le financement du nouveau stade…

Est-ce intéressant d’investir dans son équipe de foot favorite? Nous avons analysé le rendement de certains clubs du top sur les 12 derniers mois et force est de constater que la plupart des chiffres sont dans le rouge. L’AS Roma a vu son action chuter de 28% et les investisseurs n’ont pas non plus dû être heureux des performances du Borussia Dortmund (-16%), de la Lazio Roma (-7%) ou de la Juventus (-2%). Manchester United s’est révélé être le meilleur élève de la classe, avec un gain de près de 10%, tandis que l’Ajax a aussi réalisé un petit bénéfice. Quoi qu’il en soit, les performances boursières des clubs de foot font quand même pâle figure face aux valeurs de l’Euro Stoxx 50, l’un des indices boursiers européens les plus populaires basé sur un panier d’actions de 50 grandes entreprises européennes. Sur la même période, le cours de cet indice a en effet bondi de pas moins de 36%.

Les actions d’équipes de foot sont à tout le moins volatiles. Un ballon qui arrive sur le poteau, une décision discutable de l’arbitre, la blessure d’un joueur… Autant de faits qui peuvent avoir un impact sérieux sur les résultats sportifs et financiers d’une équipe. Il y a 2 ans, au lendemain de la défaite d’Ajax contre Tottenham en demi-finale de la Ligue des Champions, l’action du club néerlandais plongeait de 20%. Cela fonctionne naturellement aussi dans l’autre sens: une simple rumeur de transfert peut suffire à faire bondir le cours d’une action. Lorsqu’il y a 3 ans, une fuite a laissé présager un possible transfert de la star portugaise Cristiano Ronaldo à la Juventus, l’action du club turinois a bondi de près de 50% en quelques jours.

Au cours des douze derniers mois, Manchester United a obtenu les meilleurs résultats sur le marché boursier.
Au cours des douze derniers mois, Manchester United a obtenu les meilleurs résultats sur le marché boursier.© GETTY IMAGES

Capitalisation boursière et liquidité limitées

De nombreux clubs de foot ont réussi leur introduction en Bourse. La raison de l’échec du Club de Bruges pose toujours question. Pour Bart Verhaeghe, cette période a été instructive et il admet que certaines erreurs ont probablement été commises. La principale étant sans aucun doute que l’opération portait exclusivement sur la vente d’actions actuelles. Tout l’argent récolté serait donc allé aux actionnaires existants, ce qui a probablement donné aux investisseurs potentiels l’impression que leur contribution allait juste enrichir encore plus Verhaeghe & Co. Un investisseur est beaucoup plus facile à convaincre quand son argent va à un projet novateur et prometteur.

Deuxième point délicat: l’opération boursière ne concernait qu’une partie limitée des actions. De plus, le Club de Bruges avait introduit le double droit de vote. Les voix des nouveaux actionnaires recevaient ainsi moins de poids que les voix des actionnaires à bord depuis plus de 2 ans. Avec une capitalisation boursière attendue de 200 à 250 millions d’euros, où la majorité des actions ne changeraient pas de main, beaucoup d’investisseurs craignaient qu’il y ait peu de mouvements sur l’action. Les investisseurs professionnels, en particulier, préfèrent les actions à forte liquidité où ils peuvent entrer et sortir rapidement sans provoquer de grandes fluctuations de cours.

Quand l’intention de l’investisseur est de conserver des actions en portefeuille pendant longtemps, le dividende a une grande importance. Cette participation aux gains est en effet considérée comme une récompense pour le capital mis à disposition. Or, le Club de Bruges était très clair sur ce point dans son prospectus. « La politique de dividende du Club de Bruges est de conserver les bénéfices futurs pour l’avenir proche afin de poursuivre la croissance et le développement de ses activités et, par conséquent, le Club de Bruges ne prévoit pas de verser des dividendes à ses actionnaires dans un avenir proche. » Bien que cela ne soit pas si courant dans le secteur, il est déjà arrivé par le passé que des équipes versent des dividendes, notamment le Borussia Dortmund (Allemagne) et l’Ajax (Pays-Bas).

Imprévisibilité des droits médiatiques et des revenus de transferts

Il existe de nombreux modèles différents pour valoriser une entreprise traditionnelle mais l’évaluation d’un club de foot est encore plus difficile en raison des nombreuses incertitudes inhérentes au secteur. Pour son introduction en Bourse, le Club de Bruges avait fixé une fourchette de prix entre 17,50 et 22,50 euros, ce qui correspondait à une valorisation comprise entre 200 et 258 millions d’euros. Ce prix est élevé mais acceptable si le Club de Bruges génère des revenus stables. Les droits médiatiques et les gains sur les transferts sont cependant difficilement prévisibles. Cela fait partie des attraits du foot.

Ces trois dernières années, les ‘Blauw en Zwart’ ont chaque fois réussi à se qualifier pour la phase de groupe de la Ligue des Champions, ce qui a rapporté au club un total d’environ 40 millions d’euros par an en droits médiatiques. Lors de la saison 2017/2018, le Club de Bruges n’avait pas réussi à se qualifier et avait dû se rabattre sur l’Europa League. Cette année-là, le Club avait perçu moins de 10 millions d’euros en droits médiatiques. Manquer la Ligue des Champions serait donc presque par définition sanctionné d’un revers boursier.

Les revenus des transferts sont encore moins prévisibles. La fourchette proposée donnait pour le Club de Bruges une valorisation en ligne avec celle de l’Ajax mais l’institution néerlandaise réussit beaucoup mieux ses transferts. Les plus gros transferts du Club de Bruges, historiquement, sont les transferts sortants de Wesley (à Aston Villa pour 25 millions d’euros) et de Krépin Diatta (à Monaco pour 16,7 millions d’euros). Il y a 2 ans, Matthijs de Ligt a troqué le maillot rouge et blanc de l’Ajax pour celui de la Juventus pour un montant de transfert de 85,5 millions d’euros. Son coéquipier Frenkie de Jong a encore fait mieux, avec 86 millions d’euros pour son transfert au FC Barcelone.

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