Le bulletin de la honte

Nos élèves sont de très mauvais lecteurs, des scientifiques pitoyables et des mathématiciens fort moyens. Bref, de véritables cancres, surtout à côté des Flamands. C’est l’OCDE qui l’affirme

Triple et cuisant désaveu pour l’école secondaire francophone: en lecture, en sciences et en mathématiques, les élèves de 15 ans affichent des résultats nettement inférieurs à la moyenne des pays industrialisés. C’est, en tout cas, ce qui ressort de la dernière enquête de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), la plus exhaustive à ce jour: elle a touché 250 000 jeunes de 32 pays. En Wallonie et à Bruxelles, 2 813 adolescents de 103 établissements, tous réseaux et filières confondus, ont été soumis à un test de deux heures, au printemps 2000. En lecture, ils se sont classés 25e sur 32, derrière la Pologne et devant la Grèce, alors que la Communauté flamande occupe la 3e position, après la Finlande et le Canada. En sciences, les résultats sont tout aussi catastrophiques: 25e, derrière le Liechtenstein et devant la Grèce; la Flandre atteignant la 8e place. En mathématiques, placés en 20e position, nos élèves suivent les Etats-Unis et devancent l’Allemagne, dans un palmarès emmené par les Japonais, les Coréens et les Flamands.

Les compétences en lecture ont fait l’objet d’une évaluation particulièrement fine et exigeante. Il ne s’agissait pas de mesurer les capacités de décodage des jeunes, mais leurs facultés à comprendre et à analyser des écrits longs et peu familiers. En moyenne, dans les pays industrialisés de l’OCDE, un élève de 15 ans sur dix est un très bon lecteur, capable d’une approche nuancée et critique d’un texte. Mais, en Belgique francophone, à peine plus de 7,5 % des jeunes atteignent ce niveau, pour plus du double en Flandre (15,6 %). A l’autre extrémité, nos établissements recensent deux fois plus de très mauvais lecteurs (15,9 %) que les Flamands (7,6 %). Sans être analphabètes, les francophones en bas de classement ont un niveau fort limité de compréhension qui pourrait entraver leur accès sur le marché de l’emploi. Dans cette catégorie, les garçons issus de milieux sociaux peu favorisés et d’origine immigrée sont surreprésentés. Mais le fait que nos écoles accueillent une proportion d’étrangers supérieure à la moyenne de l’OCDE n’explique pas tout.

Circonstance aggravante: la Wallonie et Bruxelles présentent le système éducatif le plus hétérogène, avec des différences significatives entre une minorité, non négligeable, de bons, voire de très bons lecteurs, et un important groupe d’élèves faibles, voire très faibles. « La Belgique francophone est la région où l’incidence du statut socioprofessionnel des parents sur les performances de leurs enfants se marque le plus fort », explique Dominique Lafontaine, pédagogue à l’Université de Liège (ULg). Ainsi, les jeunes issus des milieux les plus privilégiés obtiennent, en lecture, un score supérieur aux performances moyennes du Canada, 2e dans le palmarès. A l’opposé, les jeunes les moins favorisés ont un résultat inférieur à celui du Mexique, lanterne rouge du classement.

En sciences, 25 % de nos meilleurs élèves se classent, malgré tout, légèrement en dessous de la moyenne de l’OCDE. Le quart le plus faible est, quant à lui, en situation de décrochage total, avec une faiblesse de rendement qui ne s’observe nulle part ailleurs.

Enfin, en mathématiques, le score de nos jeunes se rapproche de la moyenne de l’OCDE. Il est relativement comparable à celui de pays comme la Suède, la Norvège ou la République tchèque. Dans cette branche, les écarts entre les premiers et les derniers de classe sont aussi moins importants.

Mais, de façon générale, l’école francophone ne parvient pas à compenser les inégalités sociales de départ, alors que les différences entre les forts et les faibles sont moindres dans des pays comme la Corée (1re en sciences) ou la Finlande (1re en lecture).

« En Communauté française, le redoublement est considéré, à tort, comme une remédiation aux difficultés scolaires », commente Pierre Hazette, ministre PRL de l’Enseignement secondaire. Or il ne remet pas les élèves à flot. Ainsi, à 15 ans, dans le sud du pays, seulement 57 % des jeunes n’ont jamais doublé et se trouvent au moins en 4e rénové, pour 73 % dans le Nord. Si les élèves francophones sans retard sont capables de lire des textes relativement complexes, les bisseurs de 15 ans, calés en 3e (un tiers des élèves), ne peuvent comprendre que des lectures simples et les trisseurs de 2e (9 %) frôlent l’analphabétisme! En Flandre, les élèves du professionnel obtiennent également des scores supérieurs à ceux de leurs homologues francophones.

La honte? « La situation est grave mais pas désespérée », affirme Hazette, même si ces résultats confirment des mauvaises performances, déjà relevées dans d’autres enquêtes internationales: en 1995, par exemple, les élèves de 2e secondaire avaient décroché la dernière place en sciences. « J’y vois la conséquence d’une décennie difficile, poursuit le ministre. Dans les années 90, l’enseignement a connu deux périodes de grandes grèves et une importante démotivation des professeurs, liées au sous-financement. Depuis, nous avons défini les missions de l’école et les socles de compétences, entrepris de réformer la formation des enseignants, de renforcer le programme de sciences… Mais toutes ces mesures sont trop récentes pour avoir déjà pu produire leurs effets. Nous sommes aussi occupés à améliorer l’accueil extrascolaire, la politique de discriminations positives, pour donner davantage de moyens aux écoles qui accueillent la population la moins favorisée… »

Hazette accorde, en revanche, peu d’attention à la démotivation des adolescents. Pourtant, selon l’enquête de l’OCDE, la Belgique enregistre la proportion la plus élevée d’élèves peu enthousiastes (42 %). Dans vingt pays sur vingt-huit de l’OCDE, seul un jeune sur quatre n’a pas envie d’aller à l’école. Certes, la corrélation entre l’ennui des ados et leurs performances scolaires est complexe. Ainsi, avec 37 % d’élèves peu motivés, le Canada décroche néanmoins une 2e place en lecture. Il n’empêche: « Un état d’esprit positif à l’égard de l’acquisition de savoirs est un résultat important de l’école et mérite que l’on s’y intéresse », concluent les experts de l’OCDE. Ce ne sont sans doute pas les jeunes qui les contrediront…

Dorothée Klein

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