Le Brabo de Jef Lambeaux

Que serait la Grand-Place d’Anvers sans le Brabo ? S’élevant devant la maison communale, le célèbre monument de Jef Lambeaux – né à quelques pas de là – fait référence à une légende du xvie siècle, celle de Silvius Brabo terrassant un terrible géant. Un acte de bravoure qui n’est pas sans rappeler un autre récit… celui de David et Goliath.

L’histoire raconte qu’un géant du nom de Druoon Antigon habitait les rives de l’Escaut. Il exigeait de tout voyageur un droit de passage exorbitant. A ceux qui refusaient, il offrait pour alternatives l’amputation de la main droite ou un combat sanglant dans lequel le malheureux périrait indéniablement. Il en était ainsi jusqu’à ce qu’un jeune soldat romain, Silvius Brabo, vienne défier le géant. Très agile, il bondit sur l’ennemi et le fatigua, si bien qu’après de longues heures il lui trancha la main et la jeta dans l’Escaut. Ce geste courageux ( » hand werpen  » : jeter la main) serait, selon la légende, à l’origine du nom de la ville d’Antwerpen. La main coupée fait d’ailleurs partie du blason de la localité. En réalité, il s’agirait d’une fausse étymologie – le h aspiré ne pouvant disparaître – et l’ascendance du nom serait plus probablement à chercher dans une expression de l’ancien néerlandais  » aan de werpen « , autrement dit  » près des digues « . Peu importe ! Foin de ces considérations linguistiques, les autorités anversoises décident, en 1883, d’acquérir une statue évoquant la légende de la création de la ville. Commande est passée à Jef Lambeaux qui profite du Salon de Gand pour exposer son avant-projet, une maquette en plâtre au tiers de la grandeur. L’artiste doit revoir quelques détails, mais le monument semble convaincre ses commanditaires. Tenant toutes ses promesses, Lambeaux travaille trois années à l’édification du monument finalement inauguré en 1887.

Reconnu pour l’exubérance et la dynamique de ses sculptures, Jef Lambeaux imprime à son bel athlète une pose sinueuse largement influencée par le maniérisme italien. Rappelons l’incroyable intérêt que manifeste l’artiste pour la production italienne qu’il observe attentivement lors de son voyage à Rome, en 1882. Un séjour qu’il doit notamment aux subsides alloués par la Ville d’Anvers.

Petit mais intrépide, Silvius Brabo est représenté en plein élan alors qu’il s’apprête, d’un geste puissant, à jeter la monstrueuse main du géant. Le sculpteur le met en scène dominant le groupe sur un socle auquel sont incorporés de nombreux éléments : un navire supporté par les trois  » Filles de l’Escaut « , le corps du géant gisant à la base de la fontaine mais aussi quelques animaux – certains étonnants ! – dont une tortue, un dragon, un dauphin et un phoque. Autre originalité : le sculpteur n’eut pas recours à un architecte pour concevoir le socle. L’eau s’écoulait ainsi librement sur la place, sans bassin de récupération.

Si la notoriété de Jef Lambeaux fut à la mesure des scandales qu’il déclencha dans les milieux bien-pensants, il n’empêche qu’il reçut de son vivant vingt commandes monumentales pour l’espace public. Et toujours, il réussit le formidable pari d’intégrer merveilleusement l’£uvre à son environnement. Le Brabo, répondant impeccablement au style renaissant des bâtiments avoisinants, en est un sacré exemple !

Le Brabo de Jef Lambeaux, Grand-Place, 2000 Anvers.

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

une pose sinueuse influencée par le maniérisme italien

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