Le bel endormi

On avait pu savourer déjà la liberté d’esprit et la plume allègre de la romancière franco-libanaise Audrey Diwan dans La Fabrication d’un mensonge, où, entre humour et vindicte, le mariage se prenait une sacrée volée de bois vert. Il n’est pas mieux traité au départ de ce deuxième roman où Eugénie, la narratrice, à l’aube de la soixantaine, vit séparée d’un mari aussi dénué de méchanceté que confit dans un conformisme mortifère. Et qui, au lit, laissait peu de choix à sa femme entre épreuve et comédie. Ce qui ne l’a pas empêché de s’envoler avec une jeune personne à peine plus âgée que leur fille Hermine, post-adolescente teigneuse qui vit avec sa mère et lui mène la vie dure. Autant d’éléments qui entretiennent chez Eugénie un sentiment de parfaite solitude, mais aussi de culpabilité assortie de crises d’angoisse qu’elle traite à la pilule. Jusqu’à ce qu’un jour, dans un restaurant où elle accompagne une paire de vieilles et fausses amies prédatrices, elle est éblouie par Arnaud, un jeune serveur, plus jeune qu’elle d’une trentaine d’années. Après bien des peurs à vaincre, elle le retrouve pour lui faire une proposition des plus directes :  » Est-ce que vous voulez passer une année avec moi ?  » Le nombre de zéros qu’elle aligne sur un chèque finit par convaincre le jeune homme, étant entendu qu’il ne pourra toucher ce plantureux salaire qu’au terme de sa prestation d’un an, sinon rien. Il vivra sa vie, mais rentrera tous les soirs coucher chez elle, mais pas avec elle. Elle ne sait rien ou presque de son passé, mais la cohabitation avec Arnaud s’avérera aussi ordinaire que celle que l’on peut avoir avec un grand fils refermé sur ses secrets. Bientôt, elle passera du canapé dans le lit où il dort, mais ce sera pour  » goûter son sommeil  » près de lui comme dans une version inversée des Belles endormies de Kawabata.  » Le soir, comme un rituel, je m’allongeais près de lui, le temps qu’il plonge dans ce pays qui ne m’appartenait pas.  » Entre rapports affectueux et malentendus, Arnaud apprend à cette bourgeoise malgré elle à se libérer de son complexe de  » vieille  » et de ses culpabilités. Mais lui dont le rêve est de faire le tour du monde est bientôt rattrapé par un passé qui, lui aussi, le sépare d’Eugénie. Toutefois, la sexagénaire qui redevient seule pourrait dire comme Zazie :  » J’ai grandi « , consciente de ce qui, pour Arnaud comme pour elle, pourrait aussi être un mot clé du roman :  » La jeunesse s’arrête au même endroit que la liberté.  »

De l’autre côté de l’été, par Audrey Diwan. Flammarion, 251 p.

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