Depuis deux ans et son album RAW, Typh Barrow vit " le nez dans le guidon" . © philippe cornet

Le Barrowmeter de Typh

Second round discographique de la chanteuse bruxelloise, Aloha ajoute à son funky-soul naturellement radiophonique une note d’exotisme vocal pêchée en Nouvelle-Calédonie.

Le costume mauve de Typh Barrow est raccord avec le décor de l’hôtel bruxellois où elle accomplit ce qui n’est qu’un fragment d’un long marathon promotionnel. Le terme sportif désignant la longue distance est raccord aux deux dernières années de Typh dans la foulée de la parution de son premier album, RAW, en janvier 2018.  » Le nez dans le guidon  » précise à deux ou trois reprises Miss Barrow, 33 ans ce printemps, pour décrire vingt-quatre mois d’un emploi du temps où elle voit davantage son entourage musical que sa propre famille. D’où le sentiment que le succès public est autant fièvre que sève fertile.  » On a beaucoup intégré le public dans le processus, en testant toutes les nouvelles chansons en scène, avec des morceaux qui sont abandonnés, quand la magie ne prend pas, ce qui est toujours un peu déchirant. Chaque composition est une façon d’expier, un exutoire à certaines choses qui ont besoin de sortir. Même si je suis très nulle pour juger d’un titre. Par exemple, Replace, écrit après une semaine de composition, en dernière minute, ne devait pas être mis dans le tas.  » Mauvais jugement initial sur un futur tube, principe d’ Aloha, qui multiplie les moments accrocheurs comme Doesn’t Really Matter ou le très sixties The Other Woman.

Rien n’est permanent. Tout passe, même les emmerdes.

La méthode Nick Cave

Typh Barrow, notre Amy Winehouse belge ? Musicalement parlant, la parenté n’est pas absurde, mais la similitude s’arrête là. Notamment au rayon d’une clairvoyance en dehors des paradis (enfers) artificiels. Ne fût-ce que par le titre du disque :  » Aloha, à l’origine, est un mot venu d’Hawaii qui signifie bonjour ou bienvenue. C’est devenu un message universel, très positif, pouvant être interprété de diverses manières. Quelle que soit la singularité ou la complexité du visiteur. Mon procédé d’écriture est toujours le même : pendant quelques jours, je m’isole chez moi, face au piano avec discipline. La méthode Nick Cave. Je travaille sur les compositions, plusieurs heures par jour, processus parfois douloureux pour lequel je me force un peu sinon je reporte. Plus il y a de l’angoisse, moins les canaux d’écriture s’ouvrent. Plus je passe du temps sur une chanson, moins c’est bon signe. « 

 » Quand j’ai commencé à écrire le morceau Aloha chez moi, je n’entendais pas ma voix sur les refrains. Plutôt une voix venue d’ailleurs, habitée, spéciale, presque mystique. Et puis, comme toujours, je suis ensuite allée faire écouter ce titre à François (Leboutte), mon manager et producteur : Typh Barrow, ce n’est pas moi toute seule, c’est François et Tyffany, on est comme frère et soeur, on se connaît par coeur. Il s’occupe de la stratégie parce que j’ai beaucoup de mal à me faire confiance. C’est mon Barrowmeter…  »

François a appris à devancer les désirs de l’interprète. Pour Aloha, il pense à un artiste que Typh et lui aiment beaucoup, Gulaan, kanak à la voix céleste. Leboutte le contacte et finit par concrétiser une rencontre avec le vocaliste, inconnu chez nous mais superstar à domicile. Et propose à brûle-pourpoint à Typh un trip inattendu dans le Pacifique pour le voir, en chair et vocalises. Frissons :  » Là, en octobre 2019, on a partagé des moments incroyables de musique, on a même fait des concerts là-bas. On est allé sur son île, on a rencontré sa tribu avec des règles coutumières, sa famille. Des moments d’une intensité et d’une authenticité rares. Quand je l’ai entendu sur Aloha pour la première fois, cela m’a submergé. Un autre univers, une autre dimension. Et du coup, on en a profité pour faire tout le visuel de l’album, dans les paysages époustouflants de Nouvelle-Calédonie.  » Pour comprendre le duo professionnel que forment Typh et François, il faut regarder le making of (sur YouTube) tourné là-bas. Comme toujours, le manager-producteur pousse l’interprète au maximum. Dans ce cas-ci, une session photo-vidéo où Typh, devenue randonneuse, est priée de sauter d’un promontoire qui nargue l’eau d’une bonne dizaine de mètres.

CD Aloha sur  Doo Wap Records.  En concert  en Belgique  en mai prochain. Info :  typhbarrow.net
CD Aloha sur Doo Wap Records. En concert en Belgique en mai prochain. Info : typhbarrow.net

Typh ne parle pas de sa vie privée :  » C’est très important pour moi de la protéger…  » Elle qui reçoit beaucoup de courrier – y compris des lettres manuscrites – lui disant combien sa musique peut aider les douleurs intimes, amours défaites ou maladies. Et puis, l’artiste, qui après les concerts, est plutôt généreuse en salutations et autographes, expérimente le  » vide prenant place après un truc aussi généreux que la scène « . Celui de rentrer ensuite chez soi,  » où au début, je dévorais tout le frigo. Puis, j’ai senti que ce n’était pas le truc à faire (sourire) « . Cela dirige désormais les émotions qui, avant d’atterrir dans le creux des chansons, viennent se poser dans un no man’s land de retrait. Comme lors de cette fin d’année 2019 où Typh s’accorde une semaine de déconnexion, en groupe, dans la tranquillité campagnarde :  » Sans téléphone, sans lecture, sans écriture. Me levant à 6 heures, méditant dix heures par jour. J’avais besoin de silence après deux ans d’agitation mentale permanente.  »

Une machine bien huilée

Il y a peu de silence sur Aloha, produit par François Leboutte avec la participation de Dave Eringa, ingénieur du son britannique ayant travaillé avec Roger Daltrey, Manic Street Preachers ou… Calogero. La machine très huilée empile les couches d’une funky-soul efficace, mais paraissant parfois inutilement fournie. L’un des beaux moments du disque tient justement au duo mené avec le gantois Jasper Steverlinck et son intro dégraissée, ou encore Hold You Sister, juste en formule guitare-voix. Mais de toute évidence, Aloha devrait filer, comme son prédécesseur, vers le disque d’or et des concerts de printemps sous le signe d’un triomphe annoncé. Reste maintenant à Miss Barrow à trouver autant d’écho à l’étranger. Et de continuer à porter ses bagues à tête de mort  » pas par attirance morbide mais juste pour me rappeler que rien n’est permanent. Que tout passe, même les emmerdes.  »

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