Rudi Vervoort, ministre-président bruxellois, effacé derrière sa présidente de fédération : c'est pourtant lui qui a porté l'estocade fatale à Yvan Mayeur. © LAURIE DIEFFEMBACQ/belgaimage

Laurette Onkelinx à son tour dans la tourmente

Le PS bruxellois est rattrapé par les affaires sur fond de déchirures à plusieurs étages : entre Ville et Région, laïcs et communautaristes, sociaux-démocrates et radicaux. Attention, situation explosive.

 » Ce qui vient de se passer au Samusocial affaiblit Laurette Onkelinx, c’est évident. La démission du bourgmestre Yvan Mayeur lui fait mal, personnellement et politiquement : elle était la dernière au sein du parti à le protéger. Mais dans l’état actuel des choses, je ne vois aucun leadership alternatif pour le PS bruxellois.  » Mi-figue, mi-raisin, ce ténor socialiste de la capitale prend la mesure du séisme qui y est survenu : voilà la présidente de la fédération bruxelloise plongée à son tour dans les affres des affaires. Donnant davantage encore l’impression d’un parti gravement malade, à l’heure où son président, Elio Di Rupo, est noyé sous le fardeau de Publifin à Liège et de l’ISPPC à Charleroi. Sans cesse dépassé par les événements. Et alors que la pression d’Ecolo et du PTB n’a jamais été aussi forte, dans la capitale aussi.

 » Affaiblie, oui, mais battante  »

Bouleversée, Laurette Onkelinx l’est, sans aucun doute : il suffisait d’entendre le  » non  » cinglant, lâché lorsqu’on lui demandait si elle a ri de la chronique humoristique d’Alex Vizorek sur La Première (RTBF), vendredi 9 juin, tournant en dérision le  » cirque du PS « . Yvan Mayeur est un ami, celui qui l’a accueillie à bras ouverts dans la ville quand elle a déménagé de Liège, avec lequel elle a partagé bien des considérations sociales à la Chambre. Touchée de plein fouet, elle l’est à double titre car on épingle dans les médias l’intervention du bureau d’avocats de son mari, l’avocat Marc Uyttendaele, qui a tenté de stopper l’enquête sur le Samusocial initiée par la RTBF. Un mélange des genres qui n’est pas loin du conflit d’intérêts… Des médias flamands dénoncent aussi un emploi fictif qu’aurait occupée sa fille au sein du Samusocial – ce qu’elle dément aussitôt.

L’air du temps est malsain et elle déguste.  » Affaiblie, elle l’est, sans aucun doute. Mais cela renforce son caractère de battante… « , relève un proche.

Dès le lendemain de la démission du bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Laurette Onkelinx tente de transformer son désarroi en un désir de reconquête.  » Je n’ai pas le droit d’être abattue « , clame-t-elle. Le remplacement d’Yvan Mayeur au mayorat de la capitale est rondement mené : l’heureux élu est Philippe Close, précédemment échevin des Finances et du Tourisme, mais aussi chef de groupe du PS au parlement bruxellois, fonction à laquelle il est remplacé par Caroline Désir. Les quadras socialistes prennent du galon.  » Paradoxalement, je crois que Laurette sort renforcée de l’épreuve, ose un autre pilier du PS bruxellois. Elle a bien géré la situation, contrairement à ses collègues wallons. Elle en profite pour installer une nouvelle génération.  » Qui marque très vite la différence : le nouveau bourgmestre annonce qu’il anticipera la mise en oeuvre du mandat unique.

 » Le remplacement d’Yvan Mayeur par Philippe Close permet aussi de faire baisser d’un cran la tension entre la Ville et la Région, poursuit notre interlocuteur. C’était cela, la nouvelle ligne de fracture au sein du parti.  » Ce n’est pas un hasard si c’est le ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort (PS), qui a donné l’estocade à son rival de bourgmestre en affirmant, jeudi 8 juin à l’aube, qu’Yvan Mayeur devait  » se poser la question de la démission « .

Depuis son arrivée, le feu follet de la Grand-Place multipliait il est vrai les prises de position tranchées et faisait cavalier seul sans prévenir la Région, sur des sujets aussi importants que le piétonnier ou l’avenir du Heysel, mais aussi dans des initiatives plus symboliques comme la candidature de la Ville pour accueillir les championnats mondiaux d’athlétisme ou le départ du Tour de France 2019.  » Franchement, cela commençait à devenir intenable, confie un camarade. Philippe Close est plus rond, moins cassant qu’Yvan Mayeur. Avec lui, la relation entre la Ville et la Région devrait être plus collégiale.  » Avant sa désignation, certains pensaient même que le profil conciliant de Philippe Close l’empêcherait d’obtenir le poste. D’autant qu’il ne présentait pas le  » label marxiste  » d’Yvan Mayeur, doué comme nul autre pour polariser le débat idéologique. Sa désignation est une preuve que les lignes bougent au sein du PS bruxellois.

 » Une culture du secret  »

Avec la chute d’Yvan Mayeur, c’est une page de la fédération qui se tourne. Pour le meilleur ou pour le pire. Comme si Laurette Onkelinx, forcée par les événements, avait dû renforcer son profil de rassembleuse. En se détachant de l’héritage controversé de son mentor, Philippe Moureaux, l’ancien patron qui faisait la pluie et le beau temps. Un proche, intime. Lui aussi.

Pendant de longues années, le PS bruxellois reposait sur un subtil équilibre entre deux  » clans  » aux profils bien distincts, celui porté par Philippe Moureaux (Molenbeek), marxiste et communautariste, et celui emmené par l’ancien ministre-président Charles Picqué (Saint-Gilles), davantage social-démocrate et hostile aux prébendes offertes aux minorités pour des raisons électoralistes.  » Le groupe formé autour de Moureaux avec Serge Vilain de la SRIB, Yvan Mayeur et son amie Pascale Peraita, Faouzia Hariche à la Ville et d’autres, a toujours développé un sens du secret dans sa manière de s’organiser, souligne un de ses adversaires. L’information ne circulait pas toujours bien à l’intérieur du parti, c’est le moins que l’on puisse dire.  »

Nourri par la frustration d’un passé sans diplôme et d’une reconnaissance tardive de ses talents politiques, Yvan Mayeur a développé au fil du temps une soif de pouvoir sans limites. A la tête du CPAS et des institutions sociales de la Ville, dans un premier temps. Puis, en 2012, il tue le père : en écartant violemment Joëlle Milquet de la coalition à la Ville, il provoque des représailles en cascade qui ont pour conséquence la mise à l’écart historique de Philippe Moureaux à Molenbeek, renversé par une alliance entre libéraux, humanistes et écologistes.  » Mayeur à la Ville, c’était une deuxième couche d’opacité, prolonge le mandataire d’une petite commune. C’était une boîte noire, un Etat dans l’Etat.  » Ce culte du secret risquait forcément de déboucher sur un scandale. Au sein du parti, on espère d’ailleurs que d’autres asbl privées créées à Bruxelles ne suivront pas l’exemple du Samusocial. C’est dit : on tremble…

 » Le syndrome de Versailles  »

Les bras de fer entre Ville et Région, les récriminations des petites communes à l’encontre de l’ogre bruxellois, qui continue à capitaliser les 100 millions octroyés par le fédéral à la capitale, ou les pieds de nez d’Yvan Mayeur sur le piétonnier nourrissaient depuis des semaines les affrontements entre camarades.  » C’est le syndrome de Versailles, grince un ministre. Comme si le fait d’occuper l’hôtel de ville sur la Grand-Place développait forcément la mégalomanie.  »  » Avec Freddy Thielemans, le prédécesseur de Mayeur, on pouvait régler la question autour d’une pinte en flattant la beauté de la ville, grimace un ancien ministre régional. Avec Yvan, c’est impossible…  »

Cette fracture surpasse de loin le fossé pourtant sensible entre laïcs et  » communautaristes  » sur fond de terrorisme et de climat anxiogène.  » De ce point de vue-là, le parti s’est apaisé sur la base d’une laïcité qui respecte les minorités « , dit l’un. Et lorsque l’on évoque les ambitions d’un Emir Kir, bourgmestre très populaire de Saint-Josse, d’origine turque, les critiques fusent.  » Il est devenu la succursale d’Erdogan, son discours est inaudible. Il est complètement minorisé sur ce sujet.  » Non, si un putsch devait avoir lieu contre Laurette Onkelinx, ce n’est pas de là qu’il viendrait.  » Dans toute cette triste histoire, s’il y en a un qui sort renforcé, c’est bien Rudi Vervoort « , murmure-t-on. Celui qui a eu de la peine à s’imposer à la ministre-présidence régionale prend une autre dimension. De là à en faire un leader naturel, il y a de la marge.

Cet affrontement entre Ville et Région à l’intérieur même du PS fait craindre des répercussions d’une autre nature. Sur le plan institutionnel. A Bruxelles, après la démission d’Yvan Mayeur, la famille socialiste s’est déchirée : le SP.A a quitté la majorité, dénonçant la volonté du bourgmestre sortant de rester échevin, mais craignant surtout l’image désastreuse que projette le scandale sur une opinion publique intraitable. Pascal Smet, ministre bruxellois et homme fort des socialistes flamands, est un partisan de longue date d’une simplification des institutions bruxelloises : les derniers événements donnent du grain à moudre à sa thèse, au même titre que l’absence de concertation sur les conséquences du piétonnier pour la mobilité, dont il a la compétence.  » Tous les partis flamands vont utiliser ce qui s’est passé pour demander une nouvelle fois que l’on mette de l’ordre à Bruxelles « , peste un ténor. Tandis qu’un autre met le doigt sur cette vérité qui dérange : le statut particulier d’un organisme comme le Samusocial, privé à vocation publique, a précisément été créé afin d’échapper aux lourdeurs des lois linguistiques. De quoi raviver encore un peu le feu communautaire…

 » Le lien distendu avec Elio  »

Pour Laurette Onkelinx, ce vent contraire souffle alors qu’elle a lancé une campagne sur le terrain pour recueillir les sentiments des citoyens en vue des élections communales d’octobre 2018. Début mai, elle affirmait encore au Vif/L’Express croire avec force dans la capacité du PS à  » reconquérir les coeurs « .  » Aujourd’hui, elle doit faire face à plusieurs crises en même temps, résume un cacique du parti. Elle doit mettre en oeuvre d’urgence des réformes radicales en matière de bonne gouvernance, en évitant de nouveaux incendies. Les militants veulent que l’on décide plus rapidement, comme ils l’ont exprimé lors de la réunion du 3 juin à la Madeleine. Mais elle doit aussi apaiser les tensions idéologiques entre l’aile sociale-démocrate et celle, plus radicale, qui regarde du côté de Mélenchon. Plus que jamais, elles s’intensifient au vu de ce qui se passe en France.  »

Jusqu’ici, la fédération bruxelloise pouvait encore s’enorgueillir de ne pas avoir été  » salie par les parvenus « . Au sein du PS wallon, certains se sont discrètement réjouis de voir Laurette Onkelinx, la Liégeoise déracinée, écornée à son tour alors qu’elle avait durement attaqué ses camarades de Publifin. La voilà dans le même bain de crise que son président de parti, celui avec qui elle a multiplié les participations gouvernementales au fédéral.

 » Entre Elio Di Rupo et elle, il y a encore un lien de loyauté, mais il s’est distendu « , constate un ministre. Plus que jamais, au PS, l’heure est aux remises en question susceptibles d’y déclencher une guerre civile. Généralisée.

Par Olivier Mouton

 » Mayeur à la Ville, c’était une boîte noire, un Etat dans l’Etat  »

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