Laos Hécatombe à retardement

Un tiers des engins largués par les Américains lors de la guerre du Vietnam n’ont pas explosé. Ils font encore chaque année des centaines de victimes.

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

Un jour d’août 2004, Latsamy Voralath s’éloigne de son village, un hameau de l’est du Laos : avec quatre copains, il cherche à récupérer de la ferraille.  » Je marchais un peu à l’écart du groupe lorsque j’ai entendu le bip de mon détecteur de métal. Je me suis baissé et j’ai commencé à creuser avec mes mains pour écarter la terre. C’est à ce moment-là que l’engin a explosé.  » Le jeune homme perd un £il, un bras, deux doigts. Il avait 14 ans.

C’est une guerre restée longtemps secrète. Entre 1964 et 1973, les Américains ont systématiquement bombardé l’est du territoire laotien, notamment les épaisses forêts qui dissimulaient la fameuse piste Hô Chi Minh, principale voie de ravitaillement des communistes nord-vietnamiens. Il n’était pas rare, en outre, que les B 52, rentrant d’une mission au Nord-Vietnam, vident leurs soutes au-dessus du Laos avant de rejoindre leurs bases en Thaïlande. En sept ans, ce petit pays du Sud-Est asiatique a reçu plus de bombes qu’il n’en a été largué par l’ensemble des belligérants pendant toute la Seconde Guerre mondiale !

Un très grand nombre de ces projectiles étaient des bombes à sous-munitions : de gros obus qui s’ouvrent avant d’atteindre le sol et libèrent des centaines d’engins explosifs, gros comme des balles de tennis. A lui seul, le pays en aurait reçu 260 millions, soit un chargement de B 52 déversé toutes les huit minutes pendant sept ans. Près d’un tiers d’entre elles n’ont pas explosé au moment de leur impact avec le sol : elles font toujours chaque année un peu plus de 300 victimes, morts et blessés.

Vientiane, la capitale du Laos, accueillera, du 8 au 12 novembre, la première conférence des Etats signataires de la convention d’Oslo, un nouveau traité qui interdit la production et l’usage des bombes à sous-munitions. Les autorités laotiennes espèrent, à cette occasion, convaincre les pays les plus riches d’augmenter leur aide, pour l’heure assez chiche – 20 millions de dollars en 2009 – pour la dépollution et l’aide aux victimes. Car la tâche est énorme : 1 village sur 4 et plus du tiers des terres cultivables sont concernés.  » C’est une £uvre de très longue haleine « , souligne Luc Delneuville, qui dirige à Vientiane les équipes de Handicap international, présentes dans le pays depuis 1996.

En attendant, le gouvernement et les ONG s’efforcent de lutter contre les comportements à risques, ce qui n’est pas toujours chose aisée : pour beaucoup de Laotiens, les débris de bombes récupérés dans la forêt et revendus, le plus souvent à des ferrailleurs vietnamiens, représentent une source non négligeable de revenu.

Au marché de Xepon, un gros bourg assoupi de la province de Savannakhet, à une vingtaine de kilomètres de la frontière vietnamienne, un détecteur de métal, vietnamien ou chinois, ne coûte pas plus de 10 euros. Et il est vite amorti.

Beaucoup d’adolescents en possèdent un. Après la classe, ils vont sonder les fourrés autour de leur village. A leurs risques et périls. Latsamy connaissait le danger auquel il s’exposait. Mais l’appât du gain était le plus fort :  » Les bons jours, j’arrivais à récolter jusqu’à 50 kilos de métal ! Le ferrailleur vietnamien qui passait au village me les reprenait pour 1 200 kips [12 centimes] le kilo. C’était de l’argent en plus qui rentrait. « 

Au début, les villageois se contentaient de ramasser, à même le sol, les débris les plus gros : des plaques de métal qu’ils transformaient en ustensiles de cuisine ou qu’ils façonnaient pour en faire des barques à fond plat ; les demi-coques des  » bombes mères  » étaient pratiques, aussi, pour remplacer les pilotis de bois des maisons ou aménager un abreuvoir pour le bétail. A partir des années 1990, les ferrailleurs vietnamiens font leur apparition. Ils passent dans les villages, rachètent les débris collectés par les habitants, puis retraversent la frontière pour les revendre à des fonderies au Vietnam. Ce sont eux qui introduisent les premiers détecteurs de métaux et ils tiennent aujourd’hui encore l’essentiel du commerce. Mais, depuis quelques années, une partie de la ferraille est fondue au Laos. La demande de métal est d’autant plus importante que le secteur du bâtiment s’est considérablement développé ces dernières années dans l’un et l’autre pays.

Avec la crise, les cours se sont cependant un peu tassés. Hon ne paie plus aujourd’hui que 10 centimes le kilo de ferraille et il affirme que sa marge ne dépasse pas 10 % lorsqu’il revend les débris à la fonderie de Savannakhet. Ce Vietnamien de 34 ans s’est installé près de Vilabuly, dans la région de Xepon, voici une dizaine d’années. Devenu ferrailleur, il échange parfois le métal apporté par les paysans contre quelques kilos de riz pris dans la boutique que tient sa femme.

Les autorités de la province de Savannakhet, dont relève le district de Xepon, ont officiellement prohibé la collecte des débris de bombes. Mais cette interdiction est toute théoriqueà Les ONG, elles, s’efforcent en priorité de sensibiliser les enfants au danger. Avec une certitude qui est aussi une inquiétude : la collecte devient de plus en plus dangereuse.  » Il y a quelques années, souligne Luc Delneuville, les débris étaient à même le sol. Ils étaient visibles. Maintenant, les ramasseurs de métal doivent creuser. Sans savoir s’il s’agit d’un simple bout de ferraille ou d’une bombe. « 

DOMINIQUE LAGARDE

 » J’ai creusé avec mes mains. Et l’engin a explosé « 

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