After the Deluge - Museum, 2007. © david lachapelle studio inc

LaChapelle au paradis

Le photographe américain David LaChapelle revient en force avec deux livres-anthologies et une grande rétrospective au BAM de Mons. Plus star, christique et iconique que jamais.

Rencontrer David LaChapelle, celui qui fut le photographe des stars américaines et mondiales pendant plus de vingt ans, c’est apparemment un grand moment, à voir la ruche qui l’accompagne, minute son temps de parole ou lui place tendrement un sparadrap sur le doigt pendant qu’il répond à nos questions, le tout avant qu’une horde de fashion victims et de fans souvent absolus ne se presse à sa rencontre. Deux heures exceptionnelles de signature à la librairie Taschen, qui lance ce soir-là, à Bruxelles, la tournée européenne puis mondiale du photographe, pour accompagner la sortie événement de ses deux derniers livres de photos – ne dites pas art books. Effectivement somptueuses, ces deux anthologies, baptisées Lost + Found et Good News, brassent près de trente ans de photos au style légendaire, immédiatement reconnaissable, et qui aura marqué la presse, la mode, les marques et le star system. Des photos saturées de couleurs et d’érotisme homo, extrêmement mises en scène, souvent christiques et surtout remplies de stars, de Michael Jackson à Leonardo DiCaprio, en passant par Britney Spears, 2Pac, Madonna, Lady Gaga ou plus récemment Lana Del Rey. Une patte surréaliste entre le vulgaire et le dévot, qui doit autant au photographe gay et trash James Bidgood qu’à la Renaissance italienne, dont LaChapelle ne cesse de réinventer les images pieuses. Une pop star à lui tout seul, pourtant à la recherche  » d’autre chose  » depuis sa visite de la chapelle Sixtine du palais du Vatican, il y a dix ans. En 2006, David y vit son syndrome de Stendhal avant de se retirer soudainement de la vie publique et de Los Angeles pour s’isoler sur l’île de Maui.

Fini, ou presque, la presse, les clichés et l’enfer des pop stars : l’homme veut désormais affirmer les choses qu’il a à dire, parfois profondes, toujours personnelles, sur les problèmes écologiques ou éthiques du monde contemporain, en remettant son propre art en question et en usant d’un symbolisme limpide. Ces dernières années, les corps envahissent moins l’image, le flou remplace parfois le trait grossi ; la religion est toujours omniprésente et ses compositions s’affichent plus dans les galeries et les musées que sur papier glacé. Mais elles claquent toujours. Le BAM de Mons accueille, dès ce 28 octobre (1) une large rétrospective consacrée à l’artiste, avec une centaine de photos grand format, mais aussi la diffusion de quelques-uns de ses clips (pour Amy Winehouse, Elton John, Moby, Norah Jones…) ainsi que son saisissant documentaire Rize, réalisé en 2005 sur les mouvements  » clowning  » et  » krump  » alors en vogue à Los Angeles – toujours cette passion pour la danse, la musique et les corps. Une exposition rare et événementielle, qui ouvre avec quinze jours de retard après quelques couacs de communication entre l’artiste, ses intermédiaires et son armée d’avocats, mais dont le BAM peut désormais s’honorer, après des rétrospectives entre autres dédiées à Warhol ou Van Gogh. David LaChapelle avait donc bien des raisons de commencer sa tournée mondiale par la Belgique.

C’est votre première venue en Belgique ?

Non, je me suis déjà rendu la semaine dernière à Bruxelles pour une galerie qui expose quelques photos (NDLR : la galerie Maruani Mercier, jusqu’au 18 novembre prochain) et puis pour régler les soucis avec Mons. Entre-temps, j’en ai profité pour faire un aller-retour dans les Cornouailles, prendre quelques cours de peinture à l’huile. Le prof était génial…

Vos photos tiennent de fait parfois plus du travail du peintre que de celui du photographe par leurs couleurs, leur composition. La peinture vous influence-t-elle plus que la photo ?

Dès mes études en arts en Caroline du Nord puis à New York, j’ai pratiqué la peinture et le dessin. Mais ce sont des disciplines qui me rappellent à chaque fois leur lenteur, leur difficulté. J’aime, au contraire, la théâtralité de la photographie. Et avant même de penser à en faire moi-même, mon père, que j’adore, m’avait mis dans les mains des livres de photos de Richard Avedon, que j’ai vraiment chéris, ou de Dorothea Lange. Aujourd’hui, il y a des photographes que j’admire plus qu’ils ne m’influencent, comme Nan Goldin (NDLR : photographe américaine qui a centré toute son oeuvre, très brute, sur sa propre famille). On me dit souvent :  » Oh, mais elle est tellement différente de toi !  » mais et alors ? Je l’adore, ses livres sont des chefs-d’oeuvre, et même si son style est très éloigné du mien, ses photos me ramènent à East Village, à New York, où tout a commencé pour moi, où j’ai grandi en tant qu’artiste, dans une période où l’art et la culture explosaient. Une époque, la fin des années 1970, le début des années 1980, très spécifique. Je n’ai jamais rêvé de vivre à Los Angeles ou Maui, mais je rêve encore de retourner à East Village.

Vous y débarquez vers 17 ans après avoir arrêté une première fois vos études. Pas simple…

J’adorais mes parents, et je ne les ai pas quittés eux, mais bien l’école : j’étais pris en grippe par un groupe de gamins, j’étais complexé, harcelé, et je voulais déjà devenir un artiste. Ça pouvait paraître très arrogant ou ennuyeux, mais c’était aussi très insécurisant. C’était en tout cas une évidence : j’ai d’abord voulu devenir rabbin, puis j’ai voulu voler, je me jetais par la fenêtre avec un parapluie. Et puis, j’ai réalisé que l’art pouvait être un vrai boulot. Depuis, je ne me suis plus jamais posé la question. Quand je regarde en arrière, l’époque de mes 17 ans était vraiment horrible, et je n’avais pas de boule de cristal, je ne savais pas ce qui m’attendait. Mais je savais qu’il devait y avoir quelque part un endroit qui me conviendrait. J’avais un poster d’Elton John dans ma chambre : quinze ans plus tard, je travaillais avec lui !

Vos deux anthologies aujourd’hui éditées chez Taschen sont annoncées comme les dernières. Elles le sont réellement ?

Oui, ces livres sont les plus intenses que j’ai pu faire, et ce seront les derniers. Je le pense vraiment. Ils bouclent une boucle de cinq livres entamés avec LaChapelle Land (1996), puis Hotel LaChapelle (1999) et Heaven To Hell (2006). Il y aura peut-être encore des catalogues, mais plus jamais de livres comme ceux-ci, qui proposent une véritable narration, au sein de laquelle on ne peut pas isoler une photo d’une autre. Le premier livre, Lost + Found, parle de notre monde, tel qu’il est, dans ce qu’il peut avoir de beau comme d’extrêmement laid. Le second, Good News, est plus une espérance, il dépeint le monde comme il pourrait être. C’est un prisme, avec moins de célébrités : c’est moi en train d’apprendre à être une meilleure personne, un meilleur artiste. Et vous savez, on ne fait pas d’argent avec des livres photos, mais c’est je crois la meilleure forme pour voir et comprendre les miennes.

Vous avez peut-être pris du recul depuis dix ans, mais vous n’êtes pas moins productif pour autant…

Je n’ai jamais rêvé de ma vie, et je sais pourquoi je travaille dur : mon temps m’a toujours semblé limité. Je me croyais même condamné : beaucoup de mes amis sont morts du sida, comme mon premier petit ami. On a vécu ensemble pendant trois ans, il est décédé en 1984. J’avais 21 ans, tous mes amis disparaissent, moi-même je n’ai pas osé me tester pendant quinze ans, j’étais sûr d’avoir le sida. Mes amis sont morts, moi je ne le suis pas, et pourtant, j’habitais à New York, j’étais gay, j’avais des relations sexuelles multiples… On ne sait pas pourquoi les choses arrivent. Mais il ne faut pas perdre de temps.

(1) David LaChapelle. After the Deluge, au BAM (musée des beaux-arts) de Mons, jusqu’au 25 février 2018. www.bam.mons.be

Entretien : Olivier Van Vaerenbergh

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