La Ville basse joue les phénix

Au travers du projet public d’envergure Phénix et d’investissements privés, symbolisé par l’imposant développement mixte  » Rive Gauche « , c’est tout un pan de la ville, délaissé depuis trop longtemps, qui renaîtra de ses cendres.

Formulé comme ça, pour le profane, ça sonne un peu film d’espionnage, le projet Phénix. En vrai, c’est bien plus long et compliqué que ça. Explications. La ville va se lancer dans l’un de ces chantiers qui chamboulent enfin le paysage. En l’occurrence, celui, passablement sinistre, de la Ville basse, et plus précisément le fameux  » triangle  » – rues du Moulin, Desandrouin et de la Fenderie -, conjugué à un autre îlot de grande ampleur, compilé dans un  » portefeuille de projets  » qui s’étend des quais emmurés de la Sambre au boulevard Tirou, entre deux bretelles du ring. Tout un poème. Et tout un programme : l’aménagement de la place de la Digue, des quais de Sambre, de la place Albert Ier, de la rue de la Montagne, la réhabilitation du bâtiment de la Banque nationale, la création d’une passerelle piétonne au-dessus du fleuve et la fameuse  » multimodale commerciale à la gare de l’Ouest « . Une vraie refonte du tissu urbain de la zone.

La mise en £uvre d’un tel plan, qui entend agir sur l’habitat, l’équipement et les espaces publics, requiert quelques éléments de base. Le financement, pour commencer. L’ardoise, qui s’élève à 53 millions d’euros, sera réglée pour moitié par la Région, le solde étant pris en charge par les fonds européens Feder (40 %) et par la Ville. La mise en £uvre, ensuite : la Ville vient d’introduire une demande auprès de la Région pour que le prochain gouvernement wallon donne à ce pan à réhabiliter le statut de  » Zone de rénovation urbaine « .

 » Cela nous donnera un pouvoir d’expropriation pour cause d’utilité publique « , argue Eric Massin (PS), l’échevin de l’Urbanisme, qui revendique clairement la paternité de ce projet. Dans le cadre des acquisitions-rénovations qui devraient être réalisées en conséquence, la Région pourrait alors subsidier les décisions locales à hauteur de 90 %, dans le meilleur des cas. Vu l’état des caisses de la Ville, on ne voit d’ailleurs pas très bien comment Charleroi pourrait se passer d’apports extérieurs. Promis : les habitants seront également associés au processus via des ateliers de concertation urbains dont on espère juste qu’ils ne seront pas des chambres d’entérinement. Le cahier des charges censé désigner les auteurs de projet sera adopté en conseil communal cette semaine.

Le privé déboule en force lui aussi

Si l’intervention publique devrait d’ici à trois ans avoir modifié largement un pan du visage le plus ravagé de la ville, le privé apportera lui aussi sa pierre à l’édifice, non loin de là. En effet, difficile de parler aujourd’hui du centre-ville sans évoquer ce développement majeur baptisé Rive Gauche, porté à bout de bras par Shalom Engelstein (à qui l’on doit, entre autres, le Grand Bazar à Anvers) et Eric De Vocht qui, quand il pilotait Robelco, a notamment lancé le projet bruxellois des galeries Ravenstein (gare Centrale). Au total, la demande de permis avoisine les 60 000 mètres carrés et dépasse les 100 millions d’euros d’investissement.

Pour faire quoi ? Du commerce de proximité, évidemment, et en priorité. Pour soutenir la rentabilité retrouvée de cet ancien fleuron commercial déserté, le collège carolo s’est tout récemment laissé convaincre par Shalom Engelstein de gonfler à 600 au moins le nombre de places de parking créées sous la place Albert Ier. La jonction avec le boulevard Tirou tout proche serait assurée par la création d’une trémie censée soulager en partie les maux de mobilité qu’un tel développement commercial pourrait engendrer en c£ur de ville. Reste à finaliser ces accords de principe tout récents en les coulant dans le futur périmètre de remembrement urbain (PRU) prévu sur la zone.

Ce n’est pas tout : le même collège, qui voit dans cette opération une aubaine pour remailler son c£ur urbain, a également octroyé aux promoteurs un permis socio-économique pour le développement de 25 000 m2 de surface nette commerciale (dont une grosse partie dédiée à l’équipement de la personne) dans l’ilot du passage de la Bourse, qui devrait retrouver son lustre d’antan.  » Nous devrons ensuite attendre le permis d’urbanisme, qui rencontre une difficulté au niveau du plan de secteur. Ce dernier contient une enclave concernant le passage de la Bourse, dédicacé aux services publics. Il nous faut une dérogation « , confie Raphael Pollet, en charge du projet pour la société Saint-Lambert Promotion.

Et cette dérogation indispensable pourrait également passer par le PRU cadré en concertation par la Ville, le fonctionnaire délégué régional et le promoteur. L’enquête publique obligatoire est programmée le mois prochain. A charge donc du nouveau gouvernement wallon de finaliser ce PRU, probablement à l’automne.  » Dans un an, si tout va bien, on commence les travaux ; pour les achever début 2013 « , risque Shalom Engelstein, enfin confiant. L’homme se souvient au passage d’un autre de ses chemins de croix : celui de l’îlot Dansaert, près de la Bourse de Bruxelles, aujourd’hui complètement métamorphosé et revitalisé. Coût : 150 millions d’euros d’investissement.  » Et je pense déjà à travailler sur une autre ville, avoue-t-il. Mais je ne vous dis pas laquelle : ça éveillerait les jalousies et ferait monter les prix… « 

Faire revenir Delvaux

Dernier caillou identifié dans la chaussure des promoteurs : réimplanter une activité commerciale de standing dans un quartier où sévissent depuis trop longtemps l’insécurité et la prostitution. Un groupe de travail vient d’ailleurs, comme à Liège, d’être mis en place pour plancher sur l’avenir de la prostitution à Charleroi. Qu’on se dirige vers un déplacement de l’activité ou vers la construction d’une maison  » rouge « , style Villa Tinto à Anvers, les autorités veulent donner des garanties aux investisseurs de Rive Gauche.

Il y a deux décennies à peine, ce passage historique était encore un des quartiers chics de Charleroi et certaines enseignes prestigieuses y avaient pignon sur galerie.  » Cette partie de la ville est en réalité un terrain plat. C’est une zone de chalandise énorme où il passe près de 4 millions de personnes par an. Delvaux, l’une des enseignes historiques établies dans le quartier, est essentiellement partie pour des raisons liées à l’insécurité ambiante, car elle y réalisait un de ses meilleurs chiffres d’affaires. Il faut que ça change. Et vite. En travaillant notamment sur les espaces publics et en augmentant la mixité de fonction. Dès 2012, la Ville basse sera devenue en toute grande partie piétonne « , lance le mayeur CDH Jean-Jacques Viseur. Une mixité de fonction que le projet Rive Gauche porte également au niveau de l’îlot Buisset : logement, bureaux, commerces, services et espaces publics y sont programmés. Les promoteurs espèrent ainsi briser la spirale négative qui rend aujourd’hui bien terne et dangereux le passage entre Ville haute et Ville basse.

Ph.C. et G.V.

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