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Suicide d’un proche: « La vie ne sera plus jamais la même »

Le Vif

Rares sont sans doute les épreuves plus difficiles que le suicide d’un être cher. Comment affronter l’intolérable et comment, ensuite, reconstruire sa vie ?

 » Sa mort a été un tremblement de terre qui a bouleversé jusqu’à la course des étoiles « , a témoigné Mark (61 ans) à Lore Vonck, thérapeute spécialisée dans l’accompagnement du deuil.  » Le suicide d’un être cher est souvent ressenti de cette manière, comme un séisme ou une tempête qui ravage tout sur son passage, confirme-t-elle. Les proches survivants nous confient souvent aussi qu’il s’agit d’une expérience différente d’un deuil ordinaire, par son ampleur mais aussi par son caractère anormal.  »

Il faut dire qu’une foule de facteurs viennent alourdir le deuil après un suicide, à commencer par la terrible question du pourquoi et le sentiment de culpabilité qui l’accompagne si souvent.  » Vous aurez peut-être l’impression d’avoir fait ou dit des choses que vous n’auriez pas dû, ou au contraire de ne pas en avoir fait assez. Vous pourriez aussi avoir tendance à pointer consciemment ou inconsciemment les autres du doigt pour apaiser votre propre conscience… mais fondamentalement, les reproches que vous pourriez vous ou leur faire ne seront jamais justifiés. Quoi que vous (ou une autre personne) ayez ou non pu dire ou faire, ce ne sera jamais la cause unique du suicide de votre proche.  »

Quoi que vous (ou une autre personne) ayez ou non pu dire ou faire, ce ne sera jamais la cause unique du suicide de votre proche. Lore Vonck, thérapeute

Le passage à l’acte est en effet toujours le résultat d’une combinaison complexe d’innombrables facteurs. Essayer de comprendre quels sont les éléments qui pourraient avoir eu un rôle à jouer dans le parcours suicidaire de votre proche peut vous aider à mieux recadrer vos sentiments de culpabilité ou votre ressentiment à l’égard des autres.  » Cela vous aidera à y voir un peu plus clair, même s’il n’est jamais possible de trouver toutes les pièces du puzzle « , explique Lore Vonck.

Assembler le puzzle

Des recherches ont démontré que certaines personnes sont  » prédisposées  » aux comportements suicidaires.  » Les gènes associés à un risque de dépression ou de psychose, par exemple, s’accompagnent d’une susceptibilité accrue, tout comme une mauvaise image de soi, un caractère impulsif et une capacité limitée à résoudre les problèmes « , illustre Lore Vonck.

Plus une personne est vulnérable, plus elle sera influencée par les éléments  » stresseurs  » qu’elle rencontre sur son chemin, des expériences déplaisantes qui mettent la résilience à rude épreuve :  » Être licencié(e), harcelé(e) ou victime d’abus ou de discrimination, par exemple… mais aussi perdre ses parents à un âge précoce, souffrir d’une dépression ou d’une psychose, etc.  » Plus la vulnérabilité est grande, moins il faudra de stresseurs pour provoquer le passage à l’acte, en particulier si des déclencheurs s’y ajoutent, tels qu’un suicide rapporté dans la presse ou la perte du réseau de soutien, explique-t-elle encore.  » À l’inverse, un bon soutien social et professionnel peut abaisser le risque… mais même un entourage très présent n’aura jamais le dernier mot, qui revient forcément à la personne vulnérable.  »

Avant tout, commencez par prendre soin de vous. Repensez à la période avant le drame : qu'est-ce qui vous aidait à affronter le stress, la tristesse ou la colère ? Aller vous promener avec le chien, prendre un long bain chaud, aller voir votre soeur, cuisiner ou aller au concert vous faisait du bien ? Ce sont ces activités que vous devriez reprendre en priorité !
Avant tout, commencez par prendre soin de vous. Repensez à la période avant le drame : qu’est-ce qui vous aidait à affronter le stress, la tristesse ou la colère ? Aller vous promener avec le chien, prendre un long bain chaud, aller voir votre soeur, cuisiner ou aller au concert vous faisait du bien ? Ce sont ces activités que vous devriez reprendre en priorité !© GETTY

Qu’est-ce qui vous aide, vous ?

Beaucoup de proches témoignent qu’au cours des heures ou des jours suivant le drame, ils ont vécu largement en pilote automatique. Ce n’est que lorsque la tempête s’est un peu apaisée que les dégâts apparaissent au grand jour et qu’on se demande comment on va pouvoir reconstruire sa vie. Plus encore qu’un décès survenu dans d’autres circonstances, le suicide d’un être cher donne à ceux qui restent l’impression d’être à la merci des événements.  » Osez vous inspirer des conseils des autres, mais toujours en vous demandant s’ils sont utiles et pertinents pour vous, car personne ne sait mieux que vous de quoi vous avez besoin, recommande Lore Vonck. Avant tout, commencez par prendre soin de vous. Repensez à la période avant le drame : qu’est-ce qui vous aidait à affronter le stress, la tristesse ou la colère ? Aller vous promener avec le chien, prendre un long bain chaud, aller voir votre soeur, cuisiner ou aller au concert vous faisait du bien ? Ce sont ces activités que vous devriez reprendre en priorité ! N’ayez pas peur de laisser tomber les autres, car c’est justement en prenant soin de vous – et en acceptant que l’on vous aide – que vous pourrez être présent(e) pour ceux et celles qui vous sont chers. Vos proches feront leur deuil à leur manière et auront peut-être aussi d’autres besoins que vous ; efforcez-vous de vous respecter et de vous soutenir mutuellement. Essayez aussi de conserver une vie quotidienne structurée, ce qui vous évitera de gaspiller votre énergie à planifier vos journées.  »

Se retrouver

De nombreuses personnes trouvent un grand réconfort dans la commémoration de leur proche décédé par le biais de cérémonies, de rituels, de symboles, de pages sur internet ou même tout simplement de conversations en famille ou entre amis pour se remémorer les beaux souvenirs.  » Il peut aussi être salutaire de retrouver l’être cher en pensées, en lui parlant ou en lui écrivant. La présence physique de l’autre n’est pas nécessaire pour continuer à ressentir votre amitié ou votre amour. N’ayez pas peur de lui consacrer explicitement du temps.  »

La créativité aussi peut vous aider à faire votre deuil tout en renforçant ces liens. Peut-être la danse, le théâtre, la musique, la poésie ou la photographie vous permettent-ils d’exprimer vos émotions, à moins que vous n’y parveniez mieux en dessinant ou en modelant l’argile.  » Réaliser un collage avec des photos, des textes, des lettres, des illustrations ou des mots découpés dans des magazines ou journaux peut également être porteur de sens. Vous verrez que cette activité se rapproche à bien des égards du processus de deuil : les morceaux ne révèlent pas toujours immédiatement leur sens, ils ne sont pas tous aussi visibles et certains se contredisent entre eux, comme vos émotions et vos pensées.  »

Ite :
Ite :  » Nos conversations restent pour moi un souvenir précieux « 

 » Mêler beaux souvenirs et moments douloureux « 

Il y a deux ans, Ite a dû faire face au suicide de son fils Matthias (31 ans). Pouvoir en parler l’a beaucoup aidée… même si ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde.

Elle montre sa photo : celle d’un grand jeune homme mince aux cheveux sombres et aux yeux noisette qui sourit de toutes ses dents blanches. Il ne manquait pas de charme – ni d’humour, à en croire ces quelques mots griffonnés au dos de la photo :  » Adonis un jour, Adonis toujours.  » Avec un clin d’oeil.  » Il me l’avait offerte à Noël, sourit sa maman. Aujourd’hui, de beaux moments me reviennent lorsque je pense à lui, mais les mois qui ont suivi son décès ont surtout été dominés par les mauvais souvenirs. Celui de ce jour fatal où je l’ai découvert, mes pleurs qui me semblaient ceux d’une autre, mon appel paniqué au 112, l’arrivée des secours, de mon mari et de nos deux autres enfants. Et celui de ses derniers mois difficiles, marqués par la dépression et la psychose. Avec le temps, ils sont devenus moins dominants. Je ne les refoule pas, mais je ne veux plus y penser en permanence ; je m’efforce de les associer à d’autres souvenirs de toutes les périodes de sa vie, y compris les bons moments.  »

Lettre d’adieu

 » Matthias n’a jamais caché ses souffrances psychologiques à sa famille, à ses amis ou à ceux qui assuraient son suivi psychiatrique, mais nous espérions tous qu’il finirait par remonter la pente, lui qui prenait scrupuleusement son traitement, qui était si intelligent et qui est toujours resté d’agréable compagnie. Certains de ses amis m’ont raconté par la suite que lorsqu’ils avaient un problème, il suffisait d’une discussion avec lui où il analysait tout pour les remettre sur les rails… Malheureusement, pour lui, rien n’y a fait et tout l’amour, l’amitié et l’aide de ses proches et de ses soignants n’ont pas suffi. Sa souffrance intérieure était trop grande. ‘Elle a tant cherché le ciel qu’elle a péri d’épuisement, la belle hirondelle. Elle s’est élevée dans une solitude infinie, faute de pouvoir dire : il fait bon vivre ici’ : je me sens toujours proche de lui lorsque je pense à ce poème. Il nous a écrit dans sa lettre d’adieu qu’il ne voulait plus continuer à vivre ainsi, avant de conclure : ‘J’ai eu une belle vie, entouré de gens formidables, en j’en suis reconnaissant.’ Quelques mots qui nous ont apporté un immense réconfort.  »

Précieux souvenirs

 » Même dans notre propre famille, nous avons remarqué que chacun gère son chagrin à sa manière, et nous essayons d’offrir à chacun l’espace dont il a besoin tout en restant unis. Je ne peux donc vous dire que ce qui m’a aidée moi, personnellement (et m’aide toujours) après la mort de Matthias : parler de lui et de mon expérience avec des personnes qui me portent dans leur coeur et avec qui le courant passe bien, dont notamment une psychologue. Pour le reste, j’essaie de continuer à faire ce qui me donne de l’énergie : prendre soin de moi, lire, voyager, faire des projets… même si je sais que je ne retrouverai probablement jamais mon enthousiasme d’autrefois. Le plus dur pour moi reste sans doute de savoir que je ne pourrai plus jamais rien lui confier ou lui demander, si ce n’est en pensées. Nos conversations restent pour moi un souvenir précieux. Il était très mûr pour son âge et il a eu une vie courte mais intense. Savourons éternellement la brièveté de l’instant, comme je l’ai lu un jour sur une tombe…  »

Les contacts avec d’autres personnes ayant vécu une expérience comparable et l’aide d’un professionnel spécialisé dans l’accompagnement du deuil peuvent évidemment aussi faire la différence.  » Que vous choisissiez d’affronter cette épreuve en solitaire ou avec l’aide d’autres personnes, l’important est avant tout de continuer à croire qu’il y a une vie pour vous après le suicide de l’être cher, conclut Lore Vonck. Ce sera inévitablement une vie différente, avec d’autres valeurs, normes et perspectives… mais aussi une vie où le bonheur est possible.  »

Vous cherchez un soutien, des informations ou des contacts avec d’autres survivants ?

www.preventionsuicide.be

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