Fabrice Humbert : la fiction comme recherche de la vérité. © belgaimage

La vérité n’existe pas

Des sept romans sélectionnés pour le prix Filigranes, Le monde n’existe pas du Français Fabrice Humbert s’est démarqué. Une histoire voyant surgir les fantômes d’un fait divers américain, jouant avec la réalité mais, surtout, avec la fiction.

Succédant à Philippe Hayat, récompensé en 2019 pour Où bat le coeur du monde, Fabrice Humbert accueille avec bonheur cette reconnaissance de  » livre de qualité accessible à tous  » que défend le prix Filigranes (lire aussi Le Vif/L’Express des 30 juillet, 6, 13, 20 et 27 août, 3 et 10 septembre). Le Suisse Oscar Lalo reçoit quant à lui le deuxième prix pour son roman La Race des orphelins (Belfond) sur les enfants des pouponnières de la SS, les Lebensborn.

(1) Le monde n'existe pas, par Fabrice Humbert, Gallimard, 256 p.
(1) Le monde n’existe pas, par Fabrice Humbert, Gallimard, 256 p.

Dans son ouvrage, Fabrice Humbert ( L’Origine de la violence, Comment vivre en héros ? ) creuse le sillon qu’il affectionne, celui de la puissance du récit et de notre rapport à la vérité. Le monde n’existe pas (1) raconte par la propre voix de son protagoniste l’enquête du journaliste du New Yorker, Adam Vollmann, perturbé lorsqu’il aperçoit sur les écrans de Times Square la photo d’Ethan Shaw, recherché pour viol et meurtre. Le fugitif, il le connaît de ses années de lycée dans une petite ville du Colorado. Shaw était alors un  » demi-dieu « , star de l’équipe de foot, dont l’aura avait séduit l’adolescent renfermé qu’était alors Vollmann. Retournant dans la bourgade qui ne lui a pas laissé de bons souvenirs, il se confrontera aux fantômes de son passé et à des témoignages ambivalents, à tel point que la vérité semble impossible à reconstituer. Existe-t-elle seulement ?

Le lecteur ne connaît Ethan Shaw, le fugitif, qu’à travers les témoignages du narrateur et d’autres personnages, ou encore par le récit médiatique autour de l’affaire. Qui est-il vraiment ?

C’est un personnage-objet, c’était bien là mon intention. Dans tout le roman, aucun personnage n’est doté d’une psychologie dont on est sûr. Ils sont toujours illusoires. On en vient même à se demander si le narrateur n’est pas fou. Il y a aussi dans le personnage de Shaw une réflexion sur l’illusion du héros. On a toujours une idée du héros qui est inhumaine, en dehors de l’humanité.

La vérité semble-t-elle inaccessible, selon vous ?

Je suis très attaché à la question de la lucidité. La vérité, elle, est une notion très difficile. Un autre mot auquel je suis attaché : scepticisme, dans son sens premier. C’est-à-dire que j’ai beaucoup d’hésitations, de doutes dans l’expression de la vérité, sans aucun cynisme de ma part. Autant la démarche de recherche de la vérité est une bonne chose, autant la recherche de la vérité est difficile.

Vous écrivez :  » Face aux possibilités d’une surveillance universelle, nous n’avons plus qu’à nous enfermer dans les sous-sols et les cavernes.  » Face à la privation de liberté, le monde actuel n’aurait-il comme refuge que la fiction ?

Il y a en effet une dimension politique, comme souvent dans mon travail. C’est une recherche, pas une affirmation. Il n’y a rien qui me dégoûte plus que le fait de ne pas être libre. Contre la surveillance généralisée dans notre société, on ne fait rien. L’idée que tout ce que je fais laisse une trace m’insupporte. Moi-même, avec toute l’ambivalence que cela comporte, je vis beaucoup dans le récit. J’ai une fascination pour le récit, c’est certain. Je crois en la fiction comme recherche de la vérité et non forcément son dévoilement. Les faits, rien que les faits, c’est illusoire.

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