La valse à trois temps de Michel Daerden

L’assassinat d’André Cools, le décès de Guy Mathot, les élections communales d’octobre 2006. Trois moments charnières dans le parcours de Michel Daerden. Trois phases critiques, qui l’ont paradoxalement renforcé. Récit.

1991 EN PACIFICATEUR ROUé DU PS LIéGEOIS

Dix-huit juillet 1991. Les balles qui fauchent mortellement André Cools sur un parking de Cointe embrasent du même coup la poudrière socialiste liégeoise. L’abcès qui rongeait la plus puissante des fédérations du PS crève au grand jour. L’héritage du maître de Flémalle aiguise les appétits. Et déchaîne les passions. Jean-Maurice Dehousse, José Happart, Guy Mathot, Alain Van der Biest : ennemis jurés d’André Cools ou anciens fidèles qui lui ont tourné le dos, ils tiennent le haut du pavé face aux coolsiens (Gaston et Laurette Onkelinx, Paul Bolland, Maurice Demolin …). Arc-boutés sur la défense de la mémoire du  » patron « , ces derniers se retrouvent au sein du groupe Jaurès, fondé par Marcel Cools, le fils d’André.

Au milieu de cette pétaudière, un homme se fait plutôt discret : Michel Daerden. En homme de chiffres déjà réputé, le réviseur d’entreprises préfère compter les coups. Et tabler sur les futurs dividendes que son profil bas peut lui rapporter. Coolsien sans doute, mais juste ce qu’il faut. Impossible pour lui de renier la filiation : c’est l’ex-président du PS, grand dénicheur de talents, qui a jeté le conseiller communal d’Ans dans la bataille électorale, lors des législatives de 1987. Le financier faisait déjà ses preuves dans la gestion des fonds de la fédération liégeoise du PS. Trois ans plus tard, pour les législatives, Cools en fait la tête de liste au Sénat. Michel Daerden se trouve encore avec André Cools le samedi précédant l’assassinat, pour l’aider à rédiger ce qui sera sa dernière déclaration d’impôts. Mais sa fidélité va vite s’émousser. Maurice Demolin, ex-secrétaire politique de la fédération liégeoise et proche d’André Cools, raconte :  » Le jour des funérailles, dans le cortège, je marchais entre Michel Daerden et Lambert Verjus (1). Je leur ai dit : vous verrez, le nouvel homme fort, ce sera Guy Mathot, et moi, je ne jouerai pas dans ce jeu-là. Daerden a opiné. Pourtant, après la mort d’André Cools, il a été le tout premier à le trahir, pour se rapprocher de Mathot. « 

En 1992, un poste de ministre se profile pour le prometteur Daerden. Mais Philippe Busquin préfère envoyer au gouvernement le duo des antagonistes : Laurette Onkelinx et Jean-Maurice Dehousse. Marri, Daerden encaisse sans broncher. D’autant que son  » cher président  » a une autre mission à lui confier : la pacification de la turbulente fédération liégeoise. En loyal serviteur du parti, Daerden ne décevra pas Busquin. Pour monter en puissance, il s’appuie sur les bourgmestres de la périphérie liégeoise, devient l’allié inconditionnel de Guy Mathot, se rend acceptable aux yeux d’un Dehousse pas forcément commode. Ce faisant, Daerden ne roule évidemment pas que pour les autres : il tisse patiemment sa toile de seconds couteaux qui va lui permettre de tirer les ficelles d’une fédération dont il devient finalement le président.  » Il sait se rendre indispensable et faire en sorte que toute le monde doive composer avec lui « , se souvient un mandataire PS qui a vécu cette ascension de près.

A force de louvoyer entre les camps, sans s’embarrasser de scrupules, ce diable d’homme réussit l’impensable : marier l’eau et le feu dans un chaudron liégeois qui quitte ainsi le stade de l’ébullition.  » Michel Daerden a été le pacificateur dans la mesure où il s’est imposé grâce à ses réseaux, reconnaît Marcel Cools. Il a calmé le jeu, sans aucun doute, mais en provoquant le départ de gens comme moi, qui voulaient conserver une ligne de gauche, alors que, pour d’autres, tout devenait permis. « 

Guy Mathot écarté à cause de l’affaire Agusta, Jean-Maurice Dehousse devenu bourgmestre de Liège : la voie d’une carrière ministérielle est grande ouverte pour Michel Daerden.

(1) A l’époque président de la fédération liégeoise du PS.

2006 EN TRISTE HéROS D’UN SOIR, DEVENU SUPERSTAR

Majorités absolues socialistes à Ans et à Herstal. Le père et le fils, tous deux bourgmestres. Les élections communales du 8 octobre 2006 se muent en triomphe pour la famille Daerden. Une victoire pareille, cela mérite bien quelques verres de l’amitié… Sur le plateau de la RTBF et de RTC, Michel Daerden apparaît passablement éméché. Face à la caméra, il bafouille des borborygmes inaudibles. Plusieurs ténors liégeois sont présents sur place et découvrent en direct la prestation de Michel Daerden, les yeux rivés sur les écrans disposés à proximité du plateau. Un long silence, un authentique malaise envahit d’abord le studio. Certains croient assister à la mort politique de Michel Daerden. Puis, insensiblement, la scène se mue en gag. Et une franche hilarité gagne finalement la soirée électorale organisée par la RTBF et RTC.

Le soir même, le petit film se trouve sur YouTube. Il devient instantanément un hit. Toute la nuit, les proches de Daerden sont assaillis de SMS :  » T’as vu les images ?  »  » A ce moment-là, il y a de la crainte, de la panique, de la tristesse dans l’entourage du ministre « , confie Eric Wiertz, aujourd’hui attaché de presse de Frédéric Daerden. Certains redoutent même un appel d’Elio Di Rupo, qui exigerait  » un pas de côté « .

Le 9 octobre vers midi, Michel Daerden arrive au siège du PS, boulevard de l’Empereur, après s’être isolé avec ses proches et avoir visionné les images sur YouTube. Il est dans ses petits souliers. Juste avant le bureau du parti, les huiles socialistes se réunissent pour une première évaluation du scrutin. Laurette Onkelinx souffle :  » Pfff ! Quelle soirée pourrie ! Il n’y a qu’un moment où je me suis bien amusée : c’est quand j’ai vu Michel à la télé.  » Soulagé, Michel Daerden comprend qu’on ne lui tiendra pas rigueur de sa performance de la veille.

Le dimanche suivant, il est l’invité de Controverse, sur RTL-TVI. Florence Coppenolle, la porte-parole du PS, l’a briefé : il doit expliquer son comportement à l’antenne de la RTBF par l’émotion, l’enthousiasme du moment. Mais, lorsque Pascal Vrebos l’interroge ( » Avouez que vous aviez bu un petit coup de trop ! « ), Michel Daerden s’écarte de la partition. Et répond :  » Pas plus que d’habitude. « 

A partir de là, la daerdenmania s’emballe. Elle ne connaîtra plus de limites.

A lire : Maurice Demolin, Avec André Cools au c£ur du parti socialiste liégeois, Luc Pire ; Louis Maraîte, Daerdenmania, Luc Pire.

2005 EN STRATèGE MACHIAVéLIQUE, MAIS CONTRECARRé

Au crépuscule d’une carrière longue et chahutée, Guy Mathot se lance dans un ultime défi : donner un nouveau souffle à la fédération liégeoise du PS. Il en devient le président en 2003. Mais, peu à peu, la maladie l’affaiblit. Dans les cénacles socialistes, l’air de rien, Michel Daerden multiplie alors les phrases sibyllines :  » Mathot est malade « ,  » Mathot ne va pas bien « … L’Ansois est-il déjà en train de man£uvrer pour devenir le futur n°1 ? Certains camarades le pensent. Et sont d’autant plus surpris par son attitude qu’une authentique complicité l’unit au bourgmestre de Seraing. A Fréjus, sur la Côte d’Azur, les villas des deux hommes sont voisines.

Guy Mathot s’éteint le 21 février 2005. Le jour même, Michel Daerden improvise une conférence de presse à Namur. Devant les caméras, il se présente comme  » un ami de trente ans  » du défunt, toujours présent à ses côtés  » dans les moments difficiles « .

 » J’ai vécu tout ça de l’intérieur, moi. Je peux garantir que quand les problèmes ont commencé, on ne l’a plus vu « , corrige sèchement Alain Mathot, le fils de Guy, dans une interview au Soir, qui paraît la veille des funérailles. Alain Mathot a appris que, quelques semaines plus tôt, Michel Daerden avait convoqué ses proches pour préparer  » l’après-Mathot « . Ec£uré, il laisse éclater sa colère :  » Daerden fait le siège pour pouvoir parler demain aux funérailles après Elio Di Rupo. Pour être consacré comme le dauphin, l’homme fort de Liège. C’est hors de question ! « 

Les socialistes retiennent leur souffle. Tous craignent de voir la guerre des clans se raviver à Liège. Suite au décès de Guy Mathot, la présidence de la fédération est vacante. Michel Daerden pense qu’il va s’imposer  » naturellement  » comme le nouveau patron. Mais, face à lui, un front du refus se constitue. A sa tête : Willy Demeyer (bourgmestre de Liège), André Gilles (président du collège de la Province de Liège), Alain Mathot (député fédéral) et Jean-Claude Marcourt (ministre wallon de l’Economie).

Le 15 mai 2005, Willy Demeyer est élu président de la fédération liégeoise du PS. Il l’emporte nettement sur le candidat soutenu par le clan Daerden, Charles Janssens. Les analystes glosent sur la  » fin de l’ère Daerden « . Erreur… Plutôt que de s’obstiner, Michel Daerden opère une courbe rentrante. Il aplanit, au moins en surface, le différend qui l’oppose à Alain Mathot. Il se rapproche de Willy Demeyer.  » Quand il a perdu le contrôle de la fédération, Michel Daerden ne s’est jamais comporté avec un esprit belliqueux, rapporte une éminence socialiste. Il survit dans le modèle… « 

Pierre havaux et F.B.; F.B.; F.B.

certains croient assister à la mort politique de Daerden

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