La vague au bleu de Prusse

Guy Gilsoul Journaliste

Après avoir rendu hommage à Utamaro en 2012, le musée du Cinquantenaire puise dans ses fabuleuses réserves pour réunir une cinquantaine de  » paysages  » de Hokusai.

Musée d’art japonais. 44, avenue Van Praet à Bruxelles, jusqu’au 9 juin. www.mrah.be

Quel bonheur ! Chaque estampe de Hokusai (1760-1849) surenchérit sur l’inventivité des cadrages, la précision de l’observation, la subtilité des procédés et le raffinement des teintes. Dans l’exposition que le Cinquantenaire lui consacre au Musée d’art japonais, domine la célèbre Vague dont un autre exemplaire avait été acquis par Van Gogh. Comme d’autres oeuvres réunies dans la même salle, elle fait partie des Trente-six vues du mont Fuji réalisées en 1830. L’artiste avait alors plus de septante ans.

Mais une question se pose : les images relèvent-elles de l’observation ou de l’imagination ? Ont-elles été réalisées  » sur le motif  » ou à partir de documents ? Bien avant son premier voyage (en 1812), Hokusai avait déjà dessiné bien des paysages dont la plupart lui étaient inconnus sinon par les guides. Il avait pourtant été le premier à faire du  » Paysage « , un genre en soi et non plus un décor. De ses débuts date ainsi un véritable panoramique réalisé en plusieurs feuillets accompagnés de poèmes (et publiés dans un superbe coffret aux éditions Hazan). De même, après avoir réalisé les Trente-six vues, il imaginera d’autre ensembles consa-crés, l’un aux cascades, l’autre aux ponts dont certains avaient depuis longtemps disparu. Bref, comme Hergé, il pouvait peindre le lieu sans l’avoir vraiment parcouru. L’essentiel n’était pas davantage de renvoyer à la tradition spirituelle et à ses codes de représentation venus de Chine. En réalité, la demande des amateurs (80 % des habitants d’Edo, ancien nom de Tokyo, sont lettrés) est ailleurs.

En réalité, depuis 1740, le Japon profite de la présence des Hollandais pour s’intéresser à la culture occidentale, ses recherches scientifiques, mathématiques, ses images et même ses matériaux. Hokusai suit le mouvement. Pour La Vague, par exemple, il expérimente le bleu de Prusse importé. Mais il y a plus. S’il laisse un nombre considérable de dessins (manga), d’estampes et de peintures couvrant tous les sujets et de nombreuses manières, il introduit, dès 1801, des méthodes inconnues jusque-là dans l’histoire de la peinture japonaise, comme la perspective, le clair-obscur, le réalisme d’un nuage ou encore l’idée de l’encadrement. Quelques exemples puisés dans sa période d’apprentissage et auprès de deux de ses élèves révèlent cette rencontre de cultures pour le moins opposées. On pourrait presque comparer cette mixité à celle qu’inventera, au milieu du xixe siècle, mais en faisant le chemin inverse, le père de la modernité, Eugène Manet. De là à dire que Hokusai est avant tout un  » formaliste « , il n’y a qu’un pas. Que nous ne franchirons pas.

Guy Gilsoul

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire