La tentation autoritaire

Indigné par des commentaires qui, selon lui, visent à réhabiliter Léopold III, l’ancien parlementaire socialiste Serge Moureaux prend la plume pour « rétablir certaines vérités ». Le Vif/L’Express l’a rencontré et publie, en primeur, les bonnes feuilles de son livre

Le règne de Léopold III a beau avoir été le plus court de l’histoire du royaume, il est aussi celui qui a le plus enflammé les esprits. Et la polémique qui s’est développée à l’époque ne s’est pas éteinte avec l’abdication du roi contesté, en juillet 1951. Ni même avec sa mort, en 1983. A l’occasion du centenaire de sa naissance, en novembre dernier, de nombreux livres ont été consacrés au père de Baudouin Ier et d’Albert II, dont certains développent des opinions nouvelles sur la querelle entre le souverain et le monde politique. Mais on se souvient surtout de Pour l’Histoire, plaidoyer posthume paru en juin 2001 et devenu aussitôt un best-seller, dans lequel l’ex-roi des Belges donne sa propre version de la question royale.

Dans Léopold III. La tentation autoritaire (éditions Luc Pire), Serge Moureaux revient, à son tour, sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire du pays. Le Vif/L’Express en publie, en primeur, l’un des chapitres essentiels, intitulé Les conceptions politiques et idéologiques du roi : la tentation autoritaire. L’originalité de l’ouvrage de l’ex-parlementaire tient d’abord au fait que c’est le premier livre qui prend pour base de réflexion le témoignage de Léopold III. Néanmoins, ce n’est pas le plaidoyer royal lui-même qui a heurté l’auteur et qui l’a poussé à prendre la plume…

Serge Moureaux : Il n’était pas nécessaire de répliquer à Pour l’Histoire, texte qui, en définitive, dessert la cause du roi. A la veille de sa mort, en 1983, Léopold y étale tout à la fois son incapacité à l’autocritique comme au pardon des offenses. On y retrouve aussi, intacts, les a priori philosophiques et politiques qui l’animaient à l’époque de son règne. Foncièrement allergique au parlementarisme et à ses représentants, il apparaît comme un monarque profondément réactionnaire. Si j’ai décidé de réagir, c’est plutôt face à certains commentateurs et historiens qui, dans des articles parus à l’occasion de la sortie du livre de Léopold III, ont remis le roi sur un piédestal. Ils en font un incompris, d’une pénétrante clairvoyance. Ils ne nient pas qu’il a cru à la victoire allemande, mais s’empressent d’avancer l’idée d’une symbiose entre lui et son peuple. Une légende que j’estime forgée de toutes pièces.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement choqué ?

En 1950, quand Baudouin est monté sur le trône, après l’abdication de son père, les adversaires de Léopold III ont juré qu’ils tairaient désormais leurs griefs. Tous se sont engagés à permettre à la Belgique de retrouver la paix et à sa monarchie de se refaire une santé. Paul-Henri Spaak a mis une sourdine aux animosités passées. De même, mon père, Charles Moureaux, libéral antiléopoldiste, n’a jamais répondu à mes demandes de publier ses souvenirs, de redire certaines vérités. Il invoquait le pacte immuable, celui de l’apaisement. Mais, cinquante ans après les événements, certains abusent de ce silence. Une cohorte de serviteurs du mensonge a décidé de réécrire l’histoire pour réhabiliter les coupables.

Que leur reprochez-vous exactement ?

Leur manichéisme simpliste. Ils ramènent l’action des artisans du rétablissement de l’indépendance et de la démocratie belges à un ballet ridicule de politiciens agités et pusillanimes, qui cherchent leur petite gloriole personnelle au détriment d’un roi, certes têtu, mais d’une grandeur méconnue. Or l’histoire a ses droits. Des hommes comme Hubert Pierlot, Paul-Henri Spaak, Albert De Vleeschauwer ou Camille Gutt étaient de véritables hommes d’Etat. Comme Léopold III, la plupart d’entre eux ont hésité, tergiversé dans la débâcle de 1940. Mais il leur revient d’avoir, quand il le fallait, fait les choix décisifs de l’honneur, de la liberté et de la démocratie.

Quelles « vérités » vouliez-vous rappeler ?

Des historiens partiaux, comme Jean Van Welkenhuysen, évoquent, à chaque occasion, l’héroïsme de l’armée belge en mai 1940, opposé à la lâcheté franco-anglaise. Selon eux, nos troupes auraient même permis le sauvetage, à Dunkerque, du corps expéditionnaire britannique ! En réalité, si des unités de terrain ont fait leur devoir, les officiers supérieurs de l’armée, dont les tout-puissants généraux qui entouraient le roi, comme Nuyten ou Van Overstraeten, ont été d’un inacceptable défaitisme, confinant à la complaisance avec l’ennemi. Bien des historiens dissimulent aussi, sans états d’âme, le clivage communautaire dans le comportement de l’armée belge. Par démotivation ou trahison, beaucoup d’unités flamandes sont en débandade ou se rendent en mai 1940, quand les régiments wallons se conduisent souvent avec vaillance. La sanction est immédiate: les prisonniers de guerre wallons passeront cinq ans en Allemagne tandis que les prisonniers flamands seront libérés, au plus tard, après l’entrevue de Berchtesgaden entre Hitler et Léopold III, le 19 novembre 1940.

Cette affaire est l’un des ressorts de l’antiléopoldisme d’après-guerre ?

Sans aucun doute. Aller voir Hitler, puis admettre, sans protester, le maintien dans les stalags et les oflags de plus de 150 000 prisonniers de guerre, cela ne sera jamais accepté en Wallonie. Le mariage du roi, négation de son statut de prisonnier, influencera aussi l’opinion. Enfin, le « testament politique » de janvier 1944 représente, à mes yeux, la pierre tombale qui referme le drame léopoldien. Le roi y apparaît comme indifférent aux réalités vécues par son peuple. Il n’a rien appris, rien compris. Il s’en prend au gouvernement belge de Londres, ne remercie ni les Alliés ni les résistants, ignore les déportés, les fusillés. Même s’il n’a pas trahi, au sens vulgaire du terme, il a méconnu la foi des Belges dans la victoire alliée.

Entretien : Olivier Rogeau

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