La technocratie de l’intime

Il nous promet l’épanouissement personnel. En réalité, le coaching n’est rien d’autre qu’une forme de contrôle social, visant à conformer les existences et à anéantir la capacité d’esprit critique des individus.

Coaching par-ci, coaching par-là : répété comme un mantra, furieusement tendance, le coaching est sur toutes lèvres.  » Le mot sert à tout et à n’importe quoi, explique Roland Gori, psychanalyste français, co-auteur, avec le philosophe Pierre Le Coz, de L’Empire des coaches (Albin Michel). Il est trop fourre-tout pour être pris au sérieux. Il existe des coaches pour des parents débordés, pour des amoureux, pour des célibataires en souffrance. Les coaches structurent le mental des adolescents, s’occupent de notre look, de notre déco ou de nos courses. Savez-vous qu’il y a des coaches pour traiter la syllogomanie, un nouveau trouble obsessionnel compulsif qui consiste à accumuler des objets inutiles ? Un coach vient chez vous pour vous rééduquer et vous apprendre à jeter ! Aujourd’hui, aucune parcelle de notre vie n’échappe à la déferlante.  »

Une profondeur spirituelle

De quoi le coaching est-il le nom aujourd’hui ? Pourquoi le terme se diffuse-t-il autant ? Remontons à la source. To coach signifie  » entraîner  » ou  » accompagner  » dans le sens de  » motiver « . Apparu dans les années 1950 aux Etats-Unis, le coach devient l’entraîneur sportif des équipes de football américain. Dans les années 1980, le coaching envahit l’ensemble du domaine sportif et désigne  » l’entraînement physique complété par une préparation mentale censée optimiser les ressources psychiques et par conséquent, les performances du sportif « . Exit donc le  » sport à papa  » qui se contentait modestement de demander aux athlètes qu’ils soient performants sur le plan physique et technique. Les coaches  » inventent  » une nouvelle race de sportifs : bien baraqués dans leurs biceps et dans leur tête. Le discours qui accompagne le fonds de commerce du coaching est fort séduisant : boostez vos performances, visez  » plus vite, plus haut et plus fort « , réalisez votre potentiel humain par la prise de conscience.

Bref, le coaching permet d’atteindre la réalisation de son Moi. Le coach s’intéresse certes à la technique mais surtout à l’homme. Il véhicule une dimension de  » profondeur spirituelle « , d’humanité et d’empathie. Expert de l’âme, il réchauffe les coeurs et répand son baume bienfaisant sur le moral.  » Ce discours s’inscrit idéalement dans notre idéologie ultralibérale et correspond parfaitement à la mutation des valeurs de notre temps, poursuit Roland Gori. Il n’est donc pas étonnant qu’il se soit exporté avec succès du sport à l’entreprise et se soit imposé en tant que pratique managériale, dans les années 1990. Le coaching répond à l’anxiété diffuse et à la perte du sens que génèrent le rythme et les exigences de la vie économique aujourd’hui.  »

Coaching-santé

Après l’entreprise, la coaching-attitude s’est invitée dans le secteur de la santé. En cancérologie, par exemple, les coaches, présents à toutes les étapes du diagnostic et du traitement, aident les patients à mieux comprendre et à maîtriser leur maladie. D’autres pathologies, telles que l’insuffisance cardiaque, l’asthme, le diabète, la dépression ou l’obésité sont les plus concernées par le coaching-santé. Il est certes évident que les malades en détresse ont besoin d’un soutien et d’une présence. Sauf que le coaching-santé s’inscrit dans une logique d’entraînement et de  » psychobuilding  » dont la forme et le fond sont calqués sur le modèle de l’économie de marché. Hôpitaux et cliniques se livrent une véritable course à la productivité et à la rentabilité. Cet alignement pur et simple de l’hôpital sur le modèle de l’entreprise aboutit à faire de la santé une marchandise comme une autre.

Le coaching-santé correspond à la médicalisation et à la psychologisation de l’existence.  » A la fin du XVIIIe siècle, les grands récits, notamment religieux, ont été effacés, décrypte Roland Gori. Il a fallu que le discours politique trouve une nouvelle légitimité. Celle-ci a été fournie par les sciences du vivant. Le philosophe Ernest Renan parlait ainsi de « l’organisation scientifique de l’humanité ». C’est au nom de la santé publique que l’on va désormais donner des ordres de ce que l’on doit boire et consommer. Notre santé est mise sous tutorat médical. La psychiatrie et la psychologie ont participé de cette médicalisation. En 1950, on dénombrait une centaine de troubles comportementaux. Aujourd’hui, le chiffre atteint 400 ! On dépiste de plus en plus jeune et la pathologisation est en hausse. En fait, il s’agit d’un mode de contrôle politique qui ne dit pas son nom.  »

Les comportements… comme les tomates

Peu à peu, le coaching qui recode les comportements dans un style sportivo-managérial a envahi tous les pans de la vie. On doit devenir des champions du quotidien.  » Notre pensée, notre façon de vivre et notre capacité de jugement ont été confisqués par des techniques de management d’entreprise. Notre existence est industrialisée par le gestionnaire de l’intime. La solution du coaching assimile les individus à des micro-entreprises ne connaissant d’autres besoins que la gestion de leurs ressources, la compétitivité, la performance ou l’adaptation au changement.  » Notre société traite les problèmes psychologiques, sociaux et moraux de manière technique avec une rationalité économique.

Le développement du coaching est une réponse à notre civilisation de l’Homo economicus.  » Le philosophe Michel Foucault parle de la « normalisation sociale », rapporte Roland Gori. Nous sommes dans un mode de gouvernement, imposé par la Commission européenne, où l’on ne parle que de normes, d’ordonnances et de décrets. On calibre les comportements… comme les tomates. Nous assistons à une prolétarisation généralisée de l’existence. La prolétarisation, c’est quoi ? C’est quand le faire et le savoir-faire de l’homme sont confisqués par la machine. Avec le coaching, l’ensemble des conduites de vie sont prolétarisées. On vous prescrit ce qui est bon pour vous. Au nom du bien-être, on vous conseille de manger autant de fruits et de légumes par jour, boire autant d’eau, pratiquer le sexe à telle fréquence, etc. Les coaches, ce sont les nouveaux directeurs de conscience, inspirés par la religion du marché et de l’entreprise. En même temps, il faut aussi donner à l’individu l’illusion qu’il est autonome, libre, éclairé et épanoui. En un mot, nous allons vous apprendre à consentir librement à ce qu’on attend de vous. Autrement dit : soyez enfin vous-même en étant comme tout le monde. Ce paradoxe, ou cet oxymore, est au coeur du dispositif aliénant du coaching.  »

Une soumission librement consentie

Selon les auteurs, leur ouvrage se veut juste un  » coup de gueule « . Il n’est pas une critique des pratiques du coaching mais de l’idéologie dont il provient. Le coaching n’est pas une mauvaise pratique en soi. Il peut se rapprocher des thérapies cognitivo-comportementales pour appendre à l’individu à résoudre ses problèmes. A condition de choisir un thérapeute (ou un coach) qui n’essaiera pas d’avoir une mainmise sur la vie des gens, qui les aidera avec tact et délicatesse. Avec la psychanalyse, on quitte le style sportivo-managérial. La psychanalyse est un retour de la culture antique du  » souci de soi « , qui visait le vrai et le juste.  » Le discours du coach repose sur la promesse de la performance, du bien-être ou de l’accomplissement, relève Roland Gori. Cet aspect est le plus problématique car il peut mener à l’imposture. N’oubliez pas qu’en médecine, sauf en chirurgie esthétique, il n’y a jamais d’obligation de résultat.  »

Le coaching est donc une fabrique de soumission sociale, librement consentie, aux valeurs de l’entreprise. C’est la technocratie de l’intime. Mais alors, où est la solution ? Roland Gori :  » Comme dit le sociologue Pierre Bourdieu : « Il faut que nous arrivions à retrouver une démocratie confisquée par la technocratie où chacun participe à la vie de la cité ». L’homme a d’autres capacités que celles qui sont projetées sur lui par le coaching et inspirées par le modèle et les valeurs de la « religion du marché ». Tout d’abord, une capacité de révolte contre la terminologie du management. Quand on trouve d’autres termes que « gérer son stress » ou « optimiser son capital confiance », on prouve qu’on est capable d’éviter une certaine manière conformiste de penser. Pour refuser en bloc la propagande du coaching, il faut cultiver l’amitié et l’amour. On peut aussi s’engager en politique pour changer les conditions matérielles et symboliques de notre existence. Et, enfin, il faut s’intéresser à l’art et à la culture, autrement dit, à l’inutile. Car ce qui est inutile est essentiel !  »

Par Barbara Witkowska

 » Soyez enfin vous-même en étant comme tout le monde.  » Ce paradoxe, ou cet oxymore, est au coeur du dispositif aliénant du coaching

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