La seconde vie culturelle des sites industriels

Caroline Dunski Journaliste

Artistes et jeunes intellos enthousiastes se réapproprient chevalements, forges, hauts-fourneaux et terrils pour les tourner vers l’avenir.

A Marcinelle, le Bois du Cazier, tristement célèbre depuis la catastrophe qui vit disparaître 262 mineurs de 12 nationalités en 1956, est aujourd’hui classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Après 30 années d’abandon, le site est classé par la Région wallonne en 1990, puis admirablement restauré pour un coût de 25 millions financés pour l’essentiel par le Feder européen dans le cadre du programme Objectif 1. Ouvert au public en 2002, il abrite le musée de l’Industrie, celui du Verre de la Ville de Charleroi, et l’Espace 8 août 1956.

A un jet de pierre, à Marchienne-au-Pont, les forges de la Providence avaient hébergé avant lui le musée de l’Industrie, entre 1988 et 2000. Changement de cap : elles offrent aujourd’hui un lieu alternatif de diffusion culturelle, baptisé Rockerill. Concerts, expos, festivals et événements divers y prennent vie sous la houlette d’une poignée de passionnés, réunis au sein du collectif artistique déjanté Les têtes de l’art. En 2006, Mika Hell – Barako Bahamas quand il est aux manettes d’un DJ set – et Jean-Christophe Gobbe, dit Globul, avaient racheté les forges à Cockerill-Sambre. Pour le prix d’une maison.

Deux approches

Deux lieux symboliques d’un passé industriel remarquable, deux méthodes, deux réalités matérielles et financières (très) différentes… mais un même souhait de se tourner résolument vers l’avenir, tout en préservant l’histoire et le patrimoine industriels.

Au Bois du Cazier, le Musée du Verre emploie 10 personnes, celui de l’Industrie en occupe 30. La plupart de ces emplois sont subventionnés par la Région wallonne, mais ce n’est pas suffisant pour gérer une structure où l’on travaille sept jours sur sept, même si elle n’est pas ouverte au public le lundi.  » L’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco a permis une fabuleuse augmentation de 25 à 35 % du public, explique Jean-Louis Delaet, directeur du Bois du Cazier. Maintenant, il faut assurer !  »

Le Rockerill dispose de moyens bien inférieurs.  » Il a toujours vécu en autonomie grâce à nos événements et aux bénévoles : des artistes, des amis, la famille… « , confie Globul. L’été dernier cependant, la Ville de Charleroi et la Fédération Wallonie Bruxelles (FWB), désireuses de pérenniser une initiative privée reconnue par les opérateurs du secteur culturel, signaient un contrat-programme de quatre ans. Chacune intervient à concurrence de 30 000 euros par an et des points APE (Aide à la promotion de l’emploi) permettent à l’ASBL d’employer les deux coordinateurs à mi-temps.

Symboliques terrils

Le Rockerill traverse pourtant aujourd’hui une zone de turbulences, tant du côté de la Région wallonne que de celui de l’urbanisme et des pompiers, dont il attend l’octroi du nouveau permis unique. Au cabinet du bourgmestre, Pascal Verhulst, chargé des matières culturelles, assure que  » le Rockerill est important pour Charleroi. Il mêle l’histoire de la ville avec une vision culturelle forte. Parfois, des directives trop rigides peuvent tuer une série d’initiatives. Il y a des aménagements à faire, c’est une évidence, mais la Ville suivra le dossier et facilitera le contact entre les différentes administrations « .

Autre élément du paysage carolo : les terrils. Le grand Charleroi en compte une quarantaine encore visibles.  » Chacun a sa spécificité, son histoire, sa silhouette, note Micheline Dufert, qui forme avec son mari un couple de passionnés. Ils sont un des vecteurs de revalorisation de la ville. Beaucoup d’habitants de Charleroi y ont grimpé étant enfants. Les terrils restent pour eux un symbole de mémoire. Ils forment aussi un paysage unique qui ne cesse de se valoriser, de verdir, de fleurir au printemps, en apportant à la ville des espaces verts, des repères géographiques, des écrans parfois nécessaires… Ils possèdent aussi un capital de biodiversité important.  » Le sentier de grande randonnée GR412 relie désormais entre eux une quinzaine de terrils à travers la ville d’ouest en est, suivant un parcours balisé en rouge et blanc.

Le 29 juin prochain, Rafales, une ASBL  » de mercenaires culturels  » comme ils aiment à se définir, organisera sur le terril des Hiercheuses, à Marcinelle, son 7e festival Panorama, sous la forme d’un  » pique-nique contemplatif « .  » Nous sommes des amis qui buvions chaque semaine de bonnes bières trappistes sur les terrils et il nous est venu l’idée de faire partager cette expérience à un public de plus en plus nombreux chaque année. Nous souhaitons que, grâce à la vue et à l’atmosphère bon enfant, les gens se déconnectent de la ville bruyante qu’on aperçoit d’en haut et qui paraît si minuscule vue du Panorama.  »

La mémoire industrielle de Charleroi est régulièrement au coeur de nouveaux projets. Citons le vaste et ambitieux chantier scientifique d’inventaire du bâti privé où se cachent encore des vitraux, lancé par le musée du Verre qui fête ses 40 ans cette année, et le souhait de Jean-Louis Delaet et d’autres, de sauver le haut-fourneau de Carsid du démantèlement. Avec de tels défenseurs, les vestiges industriels de Charleroi ne sont pas près de disparaître du paysage.

CAROLINE DUNSKI

Un même souhait de se tourner résolument vers l’avenir, tout en préservant l’histoire et le patrimoine industriels

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