De la génération des babyboomers de la danse en France, Mathilde Monnier a signé une quarantaine de créations aux collaborations très diversifiées. © OLIVIER MARTY

La reine Mathilde

La chorégraphe Mathilde Monnier est de passage à Bruxelles, Charleroi, Namur et La Louvière avec El Baile, un spectacle où transparaît l’histoire récente de l’Argentine. L’occasion de dresser le portrait de cette artiste infatigable et avide de rencontres.

La danse, c’était comme une patrie, j’avais l’impression d’être arrivée chez moi ! « , déclare Mathilde Monnier dans Mathilde, danser après tout, la bande dessinée que François Olislaeger a réalisée avec elle sur sa carrière (Denoël Graphic, 2013). Cette patrie, la danseuse et chorégraphe française née à Mulhouse en 1959 l’a découverte relativement tard, vers 15 ans, dans une petite école privée de province.  » Il m’est difficile d’expliquer ce qui m’a attirée vers la danse, nous raconte-t-elle à ce sujet depuis le Mexique. Mais j’ai su assez tôt que le monde de l’art et de la danse allait influencer toute ma vie. A l’époque, la danse contemporaine n’avait rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui, le milieu était très petit en France. Je suis allée à Lyon pour mes études et là j’ai pu rencontrer des danseurs et des chorégraphes au moment où la ville a créé la maison de la danse (NDLR : en 1980) et où il y avait une grande effervescence et une sorte d’explosion de la danse contemporaine. Il est important d’être au bon moment au bon endroit et j’ai eu cette chance.  »

Mathilde Monnier appartient à la génération des  » babyboomers  » de la danse en France, avec notamment Angelin Preljocaj, Mark Tompkins, Philippe Decouflé, Régine Chopinot, Catherine Diverrès, Jean-Claude Gallotta, Bernardo Montet, François Verret, Maguy Marin et Dominique Bagouet, qui tous, comme elle, ont été lauréats du concours de Bagnolet. Lancé en 1969, il a servi de tremplin et de carte de visite pour les chorégraphes de l’Hexagone pendant une dizaine d’années. Une décennie où, sous l’impulsion du ministre de la Culture Jacques Lang, 17 centres chorégraphiques nationaux ont également été créés à travers la France, tissant ainsi un réseau institutionnel sans équivalent.

Si Lyon a été fondamentale, c’est à New York que Mathilde Monnier a véritablement pris son envol. Pas toute seule, mais avec Jean-François Duroure, danseur entré à 19 ans chez Pina Bausch, qu’elle rencontre à Angers chez Viola Farber, une des principales interprètes de l’Américain Merce Cunningham. Armés d’une bourse du ministre de la Culture, les deux jeunes loups décident de remonter aux racines de la danse contemporaine et s’installent dans la Grosse Pomme pour étudier au studio de Cunningham.  » Je prenais beaucoup de cours de danse mais cela ne suffisait pas, confie Mathilde. Donc avec Jean-François, nous avons commencé à faire un duo, que nous répétions comme nous pouvions dans des lofts ou dans la cuisine.  » Ce duo, ce sera Pudique acide, créé en mars 1984. Cheveux courts – blonds pour elle, bruns pour lui – dressés vers le ciel, en kilt, tee-shirt sans manches et bretelles, Monnier et Duroure bondissent, se saluent, s’accrochent et se bousculent sur la musique de Kurt Weill,  » une musique profonde, technique et en même temps un peu sale, qui permettait d’aller dans des directions très différentes et qui pouvait peut-être associer l’abstraction cunninghamienne et la charge émotionnelle de Pina « , a dit à son sujet Jean-François Duroure. Le spectacle est une bombe. Les deux complices enchaînent l’année suivante avec une deuxième création, Extasis, en manteaux et tutus, et font le tour du monde.

Rencontres singulières

Depuis, Mathilde Monnier a signé une quarantaine de créations, avec des collaborations très diversifiées. Pour Chinoiseries (1991), elle a travaillé avec le saxophoniste et clarinettiste jazz Louis Sclavis. Pour Antigone (1993) a été monté avec des artistes burkinabés, notamment avec Seydou Boro et Salia Sanou, devenus eux-mêmes chorégraphes de renom. Bruit blanc est un film qui fait suite au long processus d’ateliers avec une autiste, Marie-France, rencontrée lors d’un travail de quatre années au centre hospitalier de La Colombière à Montpellier, ville où Mathilde Monnier a dirigé le Centre chorégraphique national pendant vingt ans, avant de prendre la tête du Centre national de la danse à Pantin. Pour La Place du singe (2005), elle s’est alliée à la romancière Christine Angot. 2008 vallée (2006) développe sur scène les paroles et les musiques de l’album Robots après tout de Philippe Katerine (reprenant entouré des danseurs son fameux  » J’adooooore regarder les gens « )…  » J’ai toujours aimé alterner un travail solitaire et un travail avec des collaborateurs, souligne la chorégraphe. En fait, chaque collaboration fait l’objet d’une rencontre singulière et aucune ne se ressemble. Elles sont souvent le fruit de plusieurs années de travail et d’échange avant d’aboutir à une pièce. Si je prends l’exemple de Christine Angot, nous habitions toutes les deux à Montpellier et nos filles étaient dans la même école. Nous avons commencé à discuter de manière très quotidienne sur la littérature, l’art et nos vies. La collaboration sur scène s’est faite très naturellement à la suite de longues conversations. En fait, je ne choisis pas mes collaborateurs : la plupart du temps, ce sont eux qui viennent vers moi et me font des propositions car ils savent que j’aime collaborer.  »

Pour El Baile, prochainement en tournée à Bruxelles et en Wallonie (1), Mathilde Monnier a travaillé avec l’écrivain argentin Alan Pauls pour transposer, dans la patrie du tango, Le Bal, un spectacle créé en 1981 par Jean-Claude Penchenat et retraçant l’histoire de la France depuis la Libération à travers l’évolution des bals populaires. On s’y retrouve à Buenos Aires, de 1978 – année où l’Argentine a accueilli et remporté le Mondial de foot – à aujourd’hui.  » J’ai souvent cette sensation que la danse est un art qui anticipe les mouvements historiques ou sociaux, pas toujours de manière directe sur les événements mais en inventant de nouveaux rapports au corps et à sa représentation, commente Mathilde Monnier. Par exemple, le rapport à la nudité en danse qui apparaît sur scène dès la fin du xixe siècle comme une libération de la femme. Aujourd’hui le corps est politique. Exposer son corps, sa nudité, ses seins comme le font les Femen est un acte qui a des significations politiques, comme s’allonger par terre lors de manifestations. La danse est à la fois dans un temps anachronique et dans un temps historique.  » Rendez-vous sur scène, pour un autre cours d’histoire par les corps.

(1) El Baile : du 14 au 16 novembre au Théâtre national à Bruxelles, www.theatrenational.be, le 18 novembre aux Ecuries à Charleroi, www.charleroi-danse.be, du 29 novembre au 1er décembre au Théâtre de Namur, www.theatredenamur.be, le 3 décembre au Théâtre de La Louvière, www.ccrc.be

PAR ESTELLE SPOTO

 » La danse est à la fois dans un temps anachronique et dans un temps historique  »

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