La récompense

Cette semaine, 6e épisode

L’autre jour, le directeur est entré en classe, et quand nous nous sommes rassis, nous avons vu qu’il avait un grand sourire sur la figure, et ça nous a beaucoup étonnés, parce que, quand le directeur entre dans notre classe, il ne sourit jamais, et il nous explique qu’on va finir au bagne, et que ça fera beaucoup de peine à nos parents.

– Mes enfants, nous a dit le directeur, votre maîtresse est venue m’apporter les résultats de votre composition d’histoire de la semaine dernière, et je suis très content de vous. Vous avez tous de bonnes notes, et je vois que vous êtes en progrès ; même les deux derniers ex aequo, Clotaire et Maixent, ont la moyenne, et c’est très bien.

Et Clotaire et Maixent, qui sont assis l’un à côté de l’autre, ont fait des grands sourires. Tout le monde faisait des sourires dans la classe, sauf Agnan, quand il a su que Geoffroy était le premier ex aequo avec lui.

– Aussi, a dit le directeur, votre maîtresse et moi-même avons décidé de vous récompenser : jeudi, vous irez en pique-nique !

On a tous fait  » oh « , et puis le directeur nous a dit :

– Il ne me reste qu’à vous conseiller de ne pas vous endormir sur vos lauriers, et de continuer votre effort, qui vous permettra de marcher vers un avenir prometteur, donnant ainsi toute satisfaction à vos chers parents, qui se sacrifient pour vous.

Le directeur est parti et, quand nous nous sommes rassis, nous nous sommes tous mis à parler en même temps, et la maîtresse a frappé avec sa règle sur son bureau.

– Un peu de calme, elle a dit. Allons, un peu de calme ! Je vous demande à tous d’apporter une lettre de vos parents vous autorisant à aller à ce pique-nique. L’école fournira le repas, et nous nous donnerons rendez-vous ici jeudi matin, où nous prendrons le car qui nous emmènera à la campagne. Et maintenant, nous allons faire une dictée ; prenez vos cahiers et Geoffroy, si je vous prends encore une fois à faire des grimaces à Agnan, vous n’irez pas en pique-nique avec nous.

Le lendemain, nous avons tous apporté des lettres de nos parents, disant qu’on pouvait aller en pique-nique, et Agnan a apporté une lettre d’excuses, disant qu’il ne pourrait pas y aller. Jusqu’à jeudi, on a drôlement parlé du pique-nique, en classe, en récré et chez nous, et on était tous très énervés.

Même la maîtresse et nos parents étaient énervés, à la fin.

Jeudi matin, je me suis levé très tôt et je suis allé réveiller maman, parce que je ne voulais pas arriver en retard à l’école.

– Mais il n’est que six heures, Nicolas, et tu dois être à l’école à neuf heures ! m’a dit maman. Va te recoucher.

Moi, je n’avais pas envie de retourner au lit, mais papa a sorti sa tête d’en dessous les couvertures, et je suis allé me recoucher pour ne pas faire d’histoires.

A la troisième fois où je suis allé les voir, papa et maman se sont levés, et puis j’ai fait ma toilette, je me suis habillé, et maman voulait que je prenne mon petit déjeuner, mais je n’avais pas faim, et j’ai mangé quand même, parce qu’elle a dit que si je ne prenais pas mon café et ma tartine, je n’irais pas en pique-nique.

Et puis, papa et maman m’ont dit d’être sage, d’obéir à la maîtresse, j’ai pris mon voilier, celui qui n’a plus de voiles, le ballon rouge et bleu, ma vieille raquette, papa n’a pas voulu que je prenne les wagons du train électrique, et je suis parti.

Je suis arrivé à l’école à huit heures un quart, et tous les copains étaient déjà là ; ils avaient apporté toutes sortes de choses ; des ballons, des petites voitures, des billes, un filet pour pêcher des crevettes, et Geoffroy avait apporté son appareil de photo. Et puis, la maîtresse est arrivée, tout habillée en blanc, très chouette, et nous sommes tous allés lui donner la main, et puis M. Mouchabière, qui est un de nos surveillants, est sorti de l’école avec deux gros paniers, et nous sommes allés lui donner la main, et puis le car est arrivé, et quand le chauffeur est descendu, on lui a tous donné la main.

M. Mouchabière, qui vient avec nous au pique-nique, a mis ses paniers dans le car, et puis on nous a dit de monter, et Geoffroy et Maixent se sont battus, parce qu’ils voulaient être tous les deux assis devant, à la place à côté du chauffeur, et la maîtresse les a séparés, elle a fait asseoir Geoffroy au fond du car, et elle leur a dit que s’ils n’étaient pas sages, ils ne viendraient pas avec nous. Il y a eu encore quelques histoires, parce que tout le monde voulait être à côté de la fenêtre, et Mouchabière nous a dit que si on ne se tenait pas tranquilles, on aurait des lignes, et que, encore un mot, et personne ne serait assis à côté des fenêtres.

Et puis on est partis, c’était chouette comme tout, et on a chanté, tous sauf Geoffroy qui boudait, et qui a dit qu’il ne photographierait personne, et que s’il avait su, il serait venu au pique-nique dans la voiture de son papa, où il a le droit de s’asseoir à côté du chauffeur, chaque fois qu’il en a envie.

On a roulé très longtemps, et on rigolait bien à crier et à faire des grimaces chaque fois qu’on voyait une voiture, et la place la plus chouette c’était celle au fond du car, parce qu’on peut rigoler avec les voitures qui n’arrivent pas à doubler dans les côtes. Et Geoffroy s’est battu avec Maixent, parce qu’il ne voulait pas le laisser venir au fond du car, et la maîtresse les a fait asseoir tous les deux devant, à côté du chauffeur, qui a dû se serrer.

Et puis, on s’est arrêtés dans la campagne, et la maîtresse et M. Mouchabière nous ont dit de descendre tous, même les punis, de nous mettre en rang, et de ne pas nous écarter. Le chauffeur, le pauvre, est resté seul dans le car, et il s’essuyait la figure avec son mouchoir.

Nous sommes arrivés sous des arbres, et la maîtresse nous a dit que c’était défendu de grimper dessus, et qu’on ne devait pas manger les choses qu’on pourrait trouver dans l’herbe, parce que c’était du poison. Pendant que la maîtresse et M. Mouchabière mettaient une nappe par terre, et commençaient à sortir des £ufs durs, des pommes et des sandwiches des paniers, et qu’Alceste mangeait ce qu’il y avait dans le panier qu’il avait apporté pour lui tout seul (du poulet et de la tarte !), nous, on a commencé à courir partout, à jeter les balles, et M. Mouchabière est venu en courant pour confisquer le filet à crevettes de Clotaire, parce qu’il tapait sur Rufus, qui lui avait jeté sa balle à la figure.

Clotaire était fâché, parce qu’on était tous en train de jouer à la balle au chasseur, et quand vous êtes le seul qui n’a pas de balle, c’est énervant, la balle au chasseur. Et puis la maîtresse nous a appelés pour manger, et c’était très bien, il y avait deux gros sandwiches pour chacun, des £ufs durs et des pommes, et le seul qui s’est plaint qu’il n’y en avait pas assez, c’était Alceste.

Après le déjeuner, la maîtresse nous a proposé de jouer à cache-cache, et on a été très contents, parce que c’est la première fois que la maîtresse joue avec nous. M. Mouchabière a joué aussi, et c’est lui qui s’y est collé, et ça nous a bien fait rigoler, mais lui il s’est fâché contre Geoffroy quand il l’a trouvé caché sur un arbre ; M. Mouchabière lui a dit que c’était interdit de se cacher là, il lui a dit de descendre, et il l’a mis au piquet contre l’arbre.

Alceste, Rufus, Eudes, Maixent, Joachim, Clotaire et moi, on nous a trouvés tout de suite, mais c’est à cause du chauffeur qui ne voulait pas nous laisser monter dans le car.

Et puis c’est Clotaire qui s’y est collé, et le premier qu’il a trouvé, ça a été Geoffroy.

– Mais non, imbécile, a crié Geoffroy. Je ne suis pas caché, je suis au piquet.

– T’avais qu’à te mettre au piquet de l’autre côté de l’arbre ! a crié Clotaire.

Et ils se sont battus, et on est tous venus voir, sauf la maîtresse qui s’occupait de Rufus, qui était malade, parce qu’il avait mangé son pique-nique trop vite.

M. Mouchabière s’est mis à crier qu’on était insupportables, et Geoffroy a dit qu’il avait perdu son appareil de photo.

Alors, on s’est tous mis à chercher partout, et Geoffroy s’est battu de nouveau avec Clotaire qui rigolaitet qui disait que c’était bien fait, et M. Mouchabière les a envoyés en punition dans le car, et ils sont revenus en disant que le chauffeur ne voulait pas les laisser monter. Alors, M. Mouchabière est parti avec eux, et il est revenu tout seul, en disant que ce n’était plus la peine de chercher, que l’appareil de photo était dans le car, où Geoffroy l’avait laissé.

Et puis, la maîtresse a parlé avec M. Mouchabière, et elle nous a dit qu’il était l’heure de partir. Nous on a été déçus, parce qu’il était encore très tôt, mais on n’est pas partis tout de suite, parce qu’il fallait chercher Eudes qui continuait à jouer à cache-cache tout seul, et c’est M. Mouchabière qui l’a trouvé en haut d’un arbre.

Et on est tous rentrés drôlement contents de notre pique-nique, et on aimerait bien recommencer toutes les semaines. Jeudi prochain, en tout cas, on ne pourra pas y aller, parce que nous sommes tous en retenue.

Sauf Eudes, qui est suspendu.

Extrait d’Histoires inédites du Petit Nicolas, vol. 1. Imav Editions 2004. Copyright : Imav Editions/Goscinny-Sempé.

> La semaine prochaine : Le Bateau de Geoffroy.

par rené goscinny et jean-jacques sempé

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