La première dame en fait-elle trop ?

Omniprésente depuis le 6 mai, Valérie Trierweiler, la compagne de François Hollande, connaît bien la politique. Elle doit trouver sa place de première dame, sans réitérer les erreurs des années Sarkozy. Une question qui n’a rien d’anecdotique alors que le président entame son mandat dans un contexte difficile.

Il est 20 h 10, ce 6 mai, et le portable de François Hollande ne répond plus. Trop d’appels. L’appareil sature. A l’Elysée, quelqu’un essaie de le contacter depuis quelques minutes : Nicolas Sarkozy. Il admet sa défaite. Son conseiller en communication, Franck Louvrier, a une idée pour prévenir l’homme aux 51,6 % des voix. Il connaît Valérie Trierweiler, car elle a longtemps suivi la politique à Paris Match – elle continue de travailler dans cette rédaction, mais sur la partie culturelle. Il lui envoie un SMS :  » Le président cherche à joindre François Hollande.  »

Elle se trouve à ses côtés, au conseil général de Corrèze. François Hollande est dans son bureau en train de plancher sur son premier discours de président élu. Il a étalé une douzaine de pages devant lui, qu’il rature sans fin. Elle l’interrompt. Puis presse tous les conseillers vers la sortie.  » Est-ce qu’on peut laisser François tout seul ?  » demande-t-elle, un peu sèchement. Un photographe a juste le temps de prendre un cliché. Valérie Trierweiler elle-même s’éclipse et part se maquiller dans une salle voisine.

Resté seul, le socialiste se lève. Pendant que la communication s’établit avec l’Elysée, son regard s’évade par la fenêtre vers la ville de Tulle. Au bout du fil, Nicolas Sarkozy se montre amical et bon perdant. Il le tutoie, parle de la fonction, lui délivre quelques conseils. Dont celui-ci :  » Cela n’a pas été facile pour Carla, il faudra que Valérie se prépare. « 

De l’ombre totale à la lumière totaleà

A 21 heures, Hollande file vers la place de la Cathédrale de Tulle. Debout sur la scène qui jouxte le bâtiment moyenâgeux, il salue la foule corrézienne. Quand il aperçoit sa compagne, son soutien indéfectible depuis si longtemps, il lui fait signe de monter. Et voilà les deux tourtereaux qui affichent leur joie, un bouquet à la main. Le maire, Bernard Combes, s’approche.  » François, ne t’en va pas, il y a encore quelque chose « , le prévient-il, d’un air mystérieux. Deux accordéonistes et une clarinettiste font leur apparition près du pupitre et entonnent l’air de La Vie en rose. Hollande n’était pas au courant. La surprise est signée Valérie Trierweiler, avec la complicité de Bernard Combes. Un clin d’£il à la fois politique et intime – une ambivalence qu’elle savoure. Des supporteurs reprennent les paroles d’Edith Piaf :  » Quand il me prend dans ses bras, il me parle tout bas, je vois la vie en rose.  » Trois jours plus tôt, l’élégante journaliste de 47 ans a eu l’idée de mettre cette chanson à l’honneur et a monté son coup en douce. La direction parisienne de l’équipe de campagne n’a pas été consultée. L’image la plus regardée de la soirée, celle qui restera dans la mémoire collective, leur a échappé.

Ainsi va Valérie Trierweiler. Jalouse de sa discrétion. Influente, pas forcément là où on l’imagine. Sans rôle bien défini, mais incontestablement active. Surtout, ne pas être une  » potiche « , selon la formule qu’elle a glissée au Times. Elle veut continuer à écrire, être indépendante, pourvoir aux besoins de ses trois enfants. La  » femme de  » rêve de vivre sans être suivie en permanence par un officier de sécurité et demande à ses confrères de  » respecter  » sa vie et de ne pas planquer en bas de chez elle, dans le XVe arrondissement de Paris. Elle a la nostalgie de l’ombre, mais, sous le regard du public et des caméras de télévision, à la Bastille, la fameuse nuit du 6 mai, elle se laisse aller à un baiser après avoir glissé à François Hollande :  » Embrasse-moi sur la bouche maintenant  » – propos qu’elle dément, malgré des images qui ne laissent pas de place au doute. Sur l’estrade, quelques instants plus tôt, le président a donné une accolade affectueuse à la mère de ses quatre enfants, Ségolène Royal.

Une exposition entre politique et sentiments qui ne tranche pas vraiment avec l’ère précédente. François Hollande a érigé l’antisarkozysme en ligne fondatrice de sa campagne comme de la semaine de transition avant la cérémonie d’investiture du 15 mai, sauf dans un domaine : l’affichage de son couple, la présence de plus en plus visible de sa compagne. Carla et, avant elle, Cécilia ont défrayé la chronique par une présence médiatique inédite, et exercé une influence parfois réelle sur la composition des équipes. Qu’en sera-t-il avec la nouvelle first lady ?

 » Valérie Trierweiler est passée très vite de l’ombre totale à la lumière totale « , résume un cadre de la campagne, qui exige l’anonymat. Comme presque tout le monde, quand il s’agit de parler d’elle. Peur bleue des caciques roses.  » Si tu te grilles avec elle, tu te grilles avec François « , résume l’un d’entre eux. Son caractère franc et volcanique n’arrange rien, dans un milieu politique très masculin, parfois misogyne.  » Quand elle arrive dans une réunion, sa venue jette un froid, raconte un autre. Elle est vue comme l’£il de Moscou.  » Son passé professionnel lui a donné une connaissance précise des personnages qu’elle côtoie.  » Comme journaliste politique jusqu’en 2005, elle a été détentrice de certaines confidences de cadres du PS, ajoute Constance Vergara, auteur de Valérie, Carla, Cécilia, Bernadette et les autres, en campagne, aux éditions Tallandier. C’est une position compliquée.  »

Un coup de fil de Carla Bruni-Sarkozy

Certains lui prêtent le pouvoir d’écarter du premier cercle ses bêtes noires et celui de promouvoir ses chouchous. Le choix du gouvernement ? Valérie Trierweiler assure s’être tenue à mille lieues des tractations. Quand elle interroge son conjoint sur une rumeur de désignation, Hollande n’aurait pas dérogé à sa réputation d’homme secret :  » C’est une hypothèse.  » Les disgrâces de certains proches ?  » Je n’ai écarté qu’une personne, c’est Julien Dray, assume-t-elle. Et je ne le regrette pas.  » Le 9 mai, elle chasse le député socialiste de l’Essonne d’un pot au QG parisien de l’avenue de Ségur. Elle le croise, l’attrape par la veste, en le voyant près de l’entrée.  » Toi, tu dégages, tout de suiteà  » Le malheureux, à qui elle reproche depuis longtemps d’avoir eu des mots durs sur elle, tourne les talons et quitte les lieux. Humiliant.

Quelques heures plus tôt, elle était encore, avec Pierre Moscovici, Manuel Valls et Aquilino Morelle, dans le bureau de l’ex-candidat, assise dans un fauteuil tandis que François Hollande lui fait face dans le canapé. Il est question, entre autres, de la cérémonie d’investiture et des législatives. Pèse-t-elle donc sur les choix politiques ?  » Personne, ou presque, n’a d’influence politique sur François – sa ligne, il en décide le plus souvent seul, et il s’y tient, explique un fidèle. En revanche, on peut regarder les choses de manière inversée : il n’est pas inutile qu’elle vous apprécie pour s’approcher de lui. Regardez le parcours de Manuel Valls, dont elle a dit elle-même qu’ils étaient passés de la confiance à la complicitéà Certes, il a énormément travaillé pendant la campagne, mais être dans les petits papiers de Madame est un atout maître pour gravir les échelons.  » Tous les ingrédients d’une future cour sont réunis.

Cette fille d’une famille modeste d’Angers (sa mère était caissière à la patinoire municipale) a longtemps décrit dans ses reportages la vie des grands de ce monde – il lui est même arrivé de relater la journée des épouses de chefs d’Etat, en marge d’un sommet international. Après avoir observé les autres, c’est elle désormais que l’on observe. Les voyages officiels, avec leurs contraintes de protocole, vont accélérer la mue. Trouver sa place.  » Je ne pense pas créer de nouvelles fondations, mais peut-être aider celle qu’a lancée Danielle Mitterrand « , confie-t-elle. Le 11 mai, elle s’est entretenue avec Carla Bruni-Sarkozy, qui l’a appelée. Carla : elle fut la première à avoir tenté de poursuivre cahin-caha sa carrière professionnelle en dépit de sa fonction. Sans rencontrer le même succès qu’avant son entrée à l’Elysée.  » Elle a payé le rejet de son mari, estime Valérie Trierweiler. Son talent n’est pas en cause. Nous avons tous acheté ses disques. « 

Dîners discrets avec une flopée de people

Carla Bruni-Sarkozy n’a pas tardé à prendre ses distances avec la gauche bobo, se rangeant derrière le sarkozysme le plus assumé. Valérie Trierweiler gardera-t-elle sa (petite) liberté de ton ? Déjà, elle hésite à conserver son compte Twitter, où ses propos fleurent plus la spontanéité que la déclaration soupesée. Le moindre de ses mots rencontre un écho.  » Je répète souvent qu’ « il faudra réinventer la fonction » et, à plusieurs reprises, cela s’est traduit par une dépêche AFP.  » La presse l’analyse à la loupe.  » Il y a peut-être un peu de jalousie de la part des journalistes, note Constance Vergara. Elle a la place rêvée, au c£ur des décisions. Et, aux yeux de certains, elle a trahi la profession. « 

Longtemps, Valérie Trierweiler a accompagné son champion dans les moments clés. Pendant la traversée du désert de François Hollande, après son départ de la direction du PS en 2008, le couple voyage en Italie, parcourt des îles grecques à scooter. Le futur candidat est politiquement au fond de l’abîme. Mais il se reconstruit sur le plan personnel. Elle lui répète, comme pour le motiver :  » On se construit un destin avec le pire et le meilleur.  » Pendant la présidentielle, elle n’a pas abandonné son travail dans l’ombre. Le couple rencontre une flopée de people, à l’occasion de dîners discrets : les acteurs Lorànt Deutsch, Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal, les écrivains Yasmina Reza et Fred Vargas, les chanteurs Johnny Hallyday, Nolwenn Leroy, Raphaël, le paléontologue Yves Coppens, l’humoriste Elie Semoun, l’homme de télévision Bruno Gaccio, des grands chefs d’entreprise, des responsables d’institution scientifique.

C’est désormais devant les caméras que Valérie Trierweiler devra trouver sa place. Se faire violence, au nom de la Vie en rose. Savoir jusqu’où ne pas aller trop loin. En août 2011, le couple avait quitté Hossegor pour une escapade en Espagne. Dernière pause avant le sprint final de la primaire. Sur le trajet, si François Hollande feuillette un guide Michelin, il rechigne manifestement à quitter la France. A 500 mètres de la frontière, Valérie Trierweiler, au volant, a compris. Elle arrête la voiture. Et fait demi-tour.

MARCELO WESFREID, AVEC ELISE KARLIN; M. W., AVEC E. K.

 » Etre dans les petits papiers de Madame est un atout maître pour gravir les échelons « 

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