» La politisation relève du fantasme « 

L’administration n’est plus politisée, le personnel n’est pas terrorisé et les directeurs ne sont pas harcelants.  » Mais nous ne sommes plus dans le modèle d’il y a vingt ans et tout changement fait peur « , affirme la directrice générale de l’administration de la province.

Le Vif/L’Express : Quel type de manager êtes-vous ?

Annick Noël :(long silence) Je sais l’image que j’ai : directive. Je dirais que je suis plutôt cadrante. Mais dans ce cadre, je pars toujours d’un principe de confiance vis-à-vis des agents. Je suis farouchement positive et orientée  » solutions « .

On vous dit autoritaire…

Je ne crois pas l’être. Mais je pense que quand je dis quelque chose, les gens ont tendance à s’y tenir. Je ne vais jamais élever la voix, crier ou humilier quelqu’un, je déteste ces éléments de comportement qui portent atteinte au respect de la personne. Ce sont des mécaniques relationnelles que je ne connais pas. Mais si je dis quelque chose, les gens savent que j’y ai réfléchi et qu’il y a lieu, a priori, d’en tenir compte. Ensuite, on peut toujours venir me parler et rediscuter du cadre que j’ai fixé, même si j’ai conscience que ce n’est pas une démarche facile.

Vous dirigez l’administration brabançonne depuis vingt ans. Avez-vous le sentiment d’avoir changé ?

Je garde le même cadre de référence superstrict par rapport à la norme. Quiconque chercherait à trouver des zones de contournement de la norme va avoir de réelles difficultés à en discuter avec moi. C’est une vraie rigidité chez moi. Mais c’est mon éducation et ma formation juridique. Au fil du temps, s’est ajouté à mon rôle de secrétaire du conseil et du collège, très formaliste, l’énorme pan de la gestion du personnel et des services. C’est un métier de management qui n’existait pas dans la loi de la même manière au moment de la création de la province. Pour quelqu’un d’hypernormatif comme moi, appliquer la norme à l’humain m’a appris la nécessité d’adopter différents points de vue.

Certains vous reprochent d’être en permanence dans le contrôle.

Le statut de la fonction publique est globalement imposé par la Région wallonne. C’est ce statut qui fixe les évaluations et le régime disciplinaire. Les évaluations ne sont pas neuves : elles existaient en 1995, mais sans objectifs fixés pour les agents, sans grille d’évaluation et sans profil de fonction. Si l’agent n’était pas évalué durant deux ans, il recevait une appréciation positive par défaut. Si bien que certains, à la province, ont eu des évaluations positives par défaut pendant vingt-cinq ans et n’avaient jamais eu une discussion avec leur supérieur au sujet de leur travail. On n’imagine plus ça aujourd’hui. Les évaluations sont devenues managériales, elles permettent de dire aux agents ce qu’on attend d’eux et les autorisent à demander des formations si nécessaire pour y parvenir. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un changement de culture majeur pour ceux qui n’ont jamais connu ça et que ça peut faire peur. Je pense que dans cinq ans, ce changement culturel sera intégré.

Entre les propos que vous tenez ici, plutôt empathiques, et ce qui se dit de votre gestion, il y a une contradiction difficile à comprendre.

Il faut voir quel échantillon d’agents vous avez interrogé. Il y en a beaucoup qui sont très bien dans leur travail et auxquels on ne tend peut-être pas le micro. Il faut voir aussi si ce ne sont pas les personnalités les plus extrêmes qui ont parlé. Mais c’est un peu la règle du jeu. Cela dit, je reconnais que 2015 a été une année très chargée en changements et en travail.

Une plainte a bien été déposée au SPMT (Service de prévention de la médecine du travail) pour harcèlement à l’égard de trois membres de la direction de la DA3.

Oui. C’est la plainte d’une seule personne. Et après huit mois d’enquête, le SPMT a conclu qu’il n’y avait pas de harcèlement. Aucune remarque personnelle n’a été adressée aux personnes visées. Le SPMT a formulé des recommandations, notamment en termes de communication, qui visent à diminuer la souffrance. En attendant, pendant huit mois, il a fallu vivre avec ça. C’est dur. Et les personnes sont stigmatisées, de part et d’autre. Après cela, il faut ramer pour permettre à chacun de retravailler sereinement.

Le plaignant ne risque-t-il pas des représailles ?

Il n’y a à son égard aucun esprit de revanche.

Les recrutements à la province tiennent-ils compte des préférences politiques des candidats ?

Je serais incapable de donner la couleur politique des recrutés. Oui, il y a des CV transmis par les secrétariats des députés, mais je ne suis pas sûre que le MR en soit un grand transmetteur. Et ce n’est qu’un des canaux de récolte des candidatures. C’est le service de gestion des ressources humaines qui gère la banque de données des CV. Les candidatures sélectionnées sont envoyées pour information aux députés. Je ne joue quant à moi aucun rôle de filtre.

Le nombre de directeurs étiquetés socialistes serait très faible dans l’administration, tous les autres sont proches du MR…

Comment pouvez-vous mettre une étiquette sur tous les directeurs ? C’est impossible. Parmi les anciens oui, parce qu’on sait par quelle porte ils sont entrés – et encore, certains ont perdu leur étiquette entre-temps. Mais pour les autres ? Nous ne sommes pas entourés exclusivement de collaborateurs libéraux ! Je réfute cela. Je ne fais plus cet exercice d’étiquetage depuis plus de dix ans. Les anciens des cabinets MR peuvent postuler mais ils n’ont pas la garantie d’être engagés. Ça relève du fantasme. En ce qui me concerne, je serais terrorisée de diriger une administration où tout le monde aurait la même couleur politique.

Les profils de fonction ne sont pas adaptés non plus aux candidats que vous voudriez promouvoir ?

Non. Ça a été le cas mais ce ne l’est plus depuis plus de dix ans.

Plusieurs membres du clan Michel, au sens large, travaillent ici. Quelques couples sont recensés aussi parmi les directeurs. Cela vous pose-t-il un problème ?

La règle que nous observons, sur la recommandation du SMPT, c’est d’essayer d’éviter les liens familiaux dans les équipes de travail parce que, même si ce n’est pas interdit par la loi, cette situation est susceptible d’engendrer des conflits. Mais ce n’est pas toujours évitable : nous avons hérité de certaines situations. Soit nous ne le savions pas au moment de la sélection, soit nous décidons de faire exception parce que nous rencontrons de réelles difficultés pour recruter certains métiers. Mais les exceptions sont très rares. Parfois, les gens se sont rencontrés après leur engagement. Que faut-il faire alors ? Leur interdire de tomber amoureux ? Dans des cas précis et délicats, il faut que l’un ou l’autre puisse se retirer du dossier. Mais je n’ai pas connaissance de difficultés majeures. Dans une situation, où nous avions engagé le compagnon d’une directrice parce qu’on cherchait un profil comme le sien depuis deux ans, le collège a accepté le recrutement en formulant des recommandations précises au couple.

Vous avez été la compagne de Charles Michel. N’est-il pas difficile pour vous de travailler avec son frère Mathieu ?

Non. Je m’entends avec lui comme avec un vieux collègue. Et si on se voit en dehors de l’administration, on ne parle pas de travail, sinon, ce serait oppressant.

Entretien : Laurence van Ruymbeke

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire