La police s’affiche en arc-en-ciel

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Réunir les policiers homosexuels et transgenres au sein d’une ASBL pour sensibiliser davantage à la diversité sexuelle ? La Belgique est l’un des derniers pays d’Europe à y penser. L’initiative passe plutôt bien, en dépit de la réputation de bastion macho qu’a traditionnellement la police…

C’est un joueur de rugby. Grand, large, avec une voix profonde. Une base. Bref, un policier à propos duquel personne ne s’interrogerait sur ses préférences sexuelles. Tant mieux. Dirk Maes, inspecteur principal au sein de la cellule d’identification des victimes, est homosexuel. C’est de lui qu’est venue l’idée de lancer en Belgique une ASBL, Rainbow Cops Belgium, qui accueillerait et représenterait les policiers LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres). Qui sensibiliserait, aussi, l’ensemble de leurs collègues à cette question et, singulièrement, au traitement des actes homophobes. L’ASBL, qui sera officiellement portée sur les fonts baptismaux à la fin du mois de février, bénéficie d’un accueil plutôt favorable de la part de la direction de la Police fédérale. Rencontre avec Dirk Maes, président (flamand) de Rainbow Cops Belgium, et Yannic Lecomte, son vice-président wallon, inspecteur à la police fédérale de Liège.

Le Vif/L’Express : Comment est née l’idée de lancer cette association ? En ressentiez-vous la nécessité ?

Dirk Maes : Depuis plusieurs années, j’étais actif au sein de la cellule diversité de la police. On y faisait beaucoup de choses, notamment en faveur des femmes et des allochtones, mais pas grand-chose pour les LGBT. Du coup, je me suis renseigné pour voir ce qui existait, en la matière, à l’étranger. J’ai découvert que la Belgique est l’un des derniers pays d’Europe à ne pas disposer d’une cellule consacrée aux policiers homosexuels, bisexuels et transgenres. On en trouve jusqu’en Italie, pays pourtant considéré comme machiste. Pour prendre la mesure des éventuelles attentes des policiers sur un sujet comme celui-là, nous avons lancé une enquête sur l’Intranet de la Police fédérale, en 2010, qui a récolté 400 réponses. C’est peu, sur 40 000 personnes, mais c’est un indice. Parmi ces 400 répondants qui pouvaient, ou non, révéler leur identité, 100 se présentaient comme LGBT et jugeaient une telle initiative utile. Depuis lors, l’ASBL a été lancée, des statuts et un plan de gestion sont prêts. Nous attendons la nomination officielle de notre nouvelle commissaire générale pour présenter notre projet au comité de direction de la police. Nous ne sommes pas tenus d’obtenir son accord, puisque nous sommes une association indépendante, mais nous trouvons plus judicieux d’agir en partenariat. C’est le cas jusqu’ici, puisque, sur le principe général de notre projet, la direction fait preuve d’une grande ouverture.

Comment décririez-vous la situation des LGBT qui travaillent au sein de la police ?

Yannic Lecomte : Les situations sont très diverses. Les uns évoquent leur vie privée devant leurs collègues et cela se passe bien. Pour certains autres, minoritaires, ce coming-out est moins bien accueilli. Après cette annonce, il peut arriver que des policiers refusent de faire équipe avec eux. Nous sommes une entreprise comme une autre, ni pire ni meilleure. Au sein de la police, il y a de bons comme de moins bons éléments. Et puis il y a tous les policiers LGBT inquiets, qui n’osent pas en parler. Du coup, ils s’inventent bien souvent une vie privée plus classique. Et ensuite, c’est très difficile pour eux de faire marche arrière.

Dirk Maes : Beaucoup de LGBT considèrent aussi qu’il ne faut pas parler de sa vie privée sur son lieu de travail.

Yannic Lecomte : Le problème, c’est que celui ou celle qui ne parle pas du tout de ce qu’il ou elle vit en dehors de la police se retrouve de facto en retrait. Et ça cloche, dans un milieu comme celui de la police, qui se caractérise par un esprit collectif assez fort. Certains collègues sont, de ce fait, en vraie souffrance. Ils ont peur d’être démasqués. Chaque bon chef devrait faire en sorte que cela n’arrive pas, comme ne devraient pas non plus fuser de blagues contre les femmes ou contre les allochtones…

Ceux qui se taisent n’ont-ils pas raison de craindre une réaction négative de la part de leurs collègues, s’ils révèlent leurs préférences sexuelles ? On a coutume de dire que la police est tellement un bastion de machos…

Dirk Maes : Je n’ai pas cette impression. La police a changé depuis les années 1980 et plus encore depuis l’affaire Dutroux. On travaille beaucoup plus désormais sur l’aide aux victimes. Et aujourd’hui, nos rangs se composent à hauteur de 15 % de femmes. Mais je reconnais que quand j’étais à la gendarmerie, en début de carrière, je n’aurais pas osé parler de ma vie personnelle à mes collègues. Cette question était un sujet tabou.

Quelles seront les missions de votre ASBL ?

Yannic Lecomte : Nous voulons d’abord donner un visage au policier gay. Aujourd’hui, au sein de la police, il y a des femmes, il y a des allochtones, et cela se voit. En revanche, les gays ne sont pas visibles. Nous voulons changer cela. En interne, nous voulons souligner la diversité vis-à-vis de nos collègues. Et en externe, nous voulons montrer à la population qu’on peut être LGBT et travailler à la police.

Dirk Maes : Nous voudrions aussi donner quelques idées à la hiérarchie en matière de formation. Il y a déjà des formations qui sont dispensées aux policiers sur le thème de la diversité sexuelle. Mais seulement 80 personnes, qui s’y inscrivent sur une base volontaire, peuvent les suivre chaque année. Il y a fort à parier qu’une majorité d’entre elles sont directement concernées. L’idéal serait d’organiser une telle formation dès l’école de police.

Vous comptez aussi sensibiliser davantage au suivi accordé aux faits d’homophobie…

Dirk Maes : Nous voudrions que les victimes de tels actes se sentent plus en confiance pour aller déposer une plainte dans nos commissariats. L’accueil y est bon, mais ce n’est pas toujours comme cela que c’est ressenti à l’extérieur. Du coup, certaines victimes ne s’y rendent pas, ce qui empêche toute poursuite et qui fausse, à la baisse, les statistiques relatives aux actes de violence homophobes.

Avez-vous le sentiment que ce type d’actes se multiplie ?

Dirk Maes : Il y a davantage de faits de coups et blessures contre des gays qu’auparavant. Nous voudrions que les statistiques officielles reflètent mieux cette réalité. Le Centre pour l’égalité des chances dispose, en la matière, de chiffres plus élevés que ceux de la police. C’est bien la preuve que les victimes éprouvent des réticences à se rendre dans un commissariat. Disons que l’on a, depuis quelques années, l’impression d’une moindre tolérance dans la population, pas seulement par rapport à l’homosexualité. Une sorte de repli sur soi.

Yannic Lecomte : La Belgique est un pays de pointe en matière de droits pour les homosexuels mais, parmi la population, cela reste une question difficile. Il y a tout un travail d’éducation à faire.

Créer une association pour les policiers homosexuels ne constitue-t-il pas une arme à double tranchant dans la mesure où vous mettez l’accent sur une différence tout en souhaitant vivre votre vie comme tout le monde ?

Yannic Lecomte : Disons que notre but est de nous donner une certaine visibilité en espérant au plus vite retourner dans l’anonymat. Nous existons par nécessité. Notre plus belle victoire serait de devenir inutiles.

Vous souhaitez participer à la gay pride et obtenir l’autorisation de défiler en uniforme. Pourquoi ? Certains vous accusent de provocation…

Yannic Lecomte : C’est toujours dans un souci de visibilité. Nous pensons aussi que cela rassurerait les gens de voir des homos  » normaux  » dans le cortège et pas seulement des personnages extravagants, juchés sur des chars, à moitié nus. Il ne s’agit pas de provocation de notre part. Mais je peux comprendre ceux qui le ressentent comme tel. Cette année, comme nous n’avons pas obtenu l’autorisation de la ministre Milquet de défiler en uniforme, nous porterons un tee-shirt de l’ASBL. Mais nous referons la demande l’an prochain. En Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Allemagne, les policiers homosexuels, bisexuels ou transgenres participent en uniforme à la gay pride. Cela a un grand impact sur la population : cette audace suscite de l’admiration et du respect auprès des spectateurs.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

 » Nous voulons d’abord donner un visage au policier gay « 

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