Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

La plume et le plomb

Vous avez lu l’histoire de Jesse James ? Comment il a vécu, comment il est mort ? Vous en demandez encore ? Voici l’histoire de Bonnie and Clyde, au Café Geyser (1).

Dans la nuit qui s’était refermée comme une trappe, deux mitraillettes voltigeaient à travers le Geyser. C’était l’oeuvre de Daisy, la fillette fantôme du café, qui tenait la violence en horreur, depuis sa propre mort (2). Dans ses mains invisibles, les armes s’exhibaient théâtralement dans la lumière orangée du café. Mais, dans la bacchanale braillarde et joyeuse, en ce soir de spectacle Années folles (3), les mitraillettes voltigeantes ne faisaient pas le poids, face aux perles et aux plumes chatoyantes. Personne n’y prêta attention. Surtout pas les propriétaires desdites pétoires. Reste que – comme la sève monte vers les feuilles – les mitraillettes se faufilèrent bel et bien vers la cuisine.

Pendant ce temps-là, au comptoir, dans l’espace crépusculaire de l’espace confiné du Geyser, un couple baragouinait des poèmes en anglais, comme des poivrots (4). Lui : la vingtaine, vêtu avec une négligence qui n’en était pas une et les joues aspirées dans le visage, ligotées par les soucis. Elle : la vingtaine aussi, le cheveu noisette et l’oeillade américaine, comme dans les romans de Fenimore Cooper. Mais étaient-ils vraiment deux ? Ou étaient-ils, ensemble, la forme singulière d’un seul être ?

–  » Vas-y, ma poupette jolie, raconte encore !  » lança, avec un enthousiasme amoureux, le type négligé qui ne l’était pas. Alors que les mitraillettes ballottaient à nouveau à travers les airs, (en sens inverse, cette fois), la femme avala une costaude rasade de liqueur. En reposant son verre, elle broya un noyau de cerise sous la dent, avec un bruit sec. Ce qui effraya tout le monde. Sauf Clyde, son compagnon.

Subitement, Bonnie empoigna son arme, revenue à ses côtés, par la grâce de Daisy, et beugla :  » Que personne ne bouge, ceci est un hold-up ! « . Pantelant d’extase passionnée, Clyde lui emboîta le pas : ratatatatata ! firent en choeur les deux mitraillettes, en arrosant le café qui explosa dans un geyser sanglant. Dans le silence rouge et ahuri qui suivit, un rire fantôme glaça le café : celui de Daisy qui avait malicieusement échangé les balles des fusils contre du concentré de tomates.

Sortant furibard de sa cuisine, découvrant un horizon vermillon, le chef coq du Geyser, Bertrand, interrogea à la cantonade :  » Est-ce bien normal qu’on soit à court de ketchup ?  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer sur la Une, à 20h15…

(1) Le début du titre de Gainsbourg Bonnie and Clyde est la traduction d’un poème de Bonny Parker.

(2) Voir  » Le crime du Geyser Express  » (Le Vif/L’Express du 16 septembre 2016).

(3) The Great Gatsby Immersive (un spectacle qui fait participer 200 spectateurs, habillés façon 1920) se joue ce 14 mars, à Bruxelles, dans un lieu tenu secret jusqu’au dernier moment.

(4) Le neveu de Clyde Barrow vendra aux enchères, en avril prochain, un cahier contenant des poèmes écrits par le plus mythique duo de gangsters américains.

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