La peur, un manque de foi

Porte-parole des évêques de Belgique et théologien, Eric de Beukelaer enseigne l’histoire de l’Eglise au séminaire Saint-Paul de Louvain-la-Neuve. L’Apocalypse ne l’effraie pas.

Le Vif/L’Express : Avec l’Apocalypse, l’Eglise a les moyens de se faire peur…

> Eric de Beukelaer : Depuis que la Bible est relue avec un esprit critique, nous savons que tous les genres littéraires ne sont pas des genres littéralistes. Le texte de l’Apocalypse est un genre en soi, de l’ordre de la science-fiction ou du fantastique qui, comme chacun sait, ne sont pas  » vrais  » mais véhiculent néanmoins quelque chose de vrai. En l’occurrence, l’Apocalypse a sans doute été écrite vers l’an 100, alors que les chrétiens persécutés par Néron, en rupture radicale avec les juifs, désespèrent de voir revenir le Messie. La Bête représente l’Empire romain. Les 144 000  » qui ont lavé leurs vêtements dans le sang de l’Agneau « , c’est-à-dire ceux qui ont souffert pour leur foi, représentent la multitude, et non une poignée d’élus comme le soutiennent les Témoins de Jéhovah. L’Apocalypse est tout le contraire d’un message d’agitation. C’est un appel à la confiance.

Ces peurs collectives ne sont-elles pas le signe d’une défaite de l’esprit ?

> La peur fait partie de l’homme. Si on arrive à la reconnaître et à la domestiquer, elle peut être le moteur d’un progrès : ainsi, la peur du manque est à la base de l’économie. Dans le cas contraire, c’est un cancer. Au xiie et au xiiie siècle, l’Inquisition, première manifestation violente de théocratie contre les hérétiques, n’a fait que 2 000 victimes, si l’on ose dire. En revanche, du xive au xviie siècle, le bilan de la chasse aux sorcières est plus lourd : 200 000 personnes. Cet épisode s’inscrit dans un grand climat d’insécurité. Au milieu du xive siècle, la peste noire, ou grande peste, ravage l’Europe, sans que les gens y comprennent rien. Pendant la guerre de Cent Ans, les mercenaires non payés terrorisent la population. Quand l’homme a peur et qu’il n’a pas d’éléments d’explication, il devient fou.

A bien des égards, le monde n’est pas moins stable qu’avant…

> Le monde est peut-être plus stable, mais il n’en est pas moins insécurisant, car tout va plus vite, l’information, vraie ou fausse, circule instantanément via Internet. Le monde devient multiculturel, même si chacun se replonge dans son folklore personnel. Les grands blocs idéologiques ont disparu et, au niveau spirituel, c’est le règne de l’éclectisme, du choix à la carte. Les gens, qui ne comprennent pas grand-chose au chaos économique ambiant, cherchent à se rassurer, et pas nécessairement de la façon la plus rationnelle.

En inaugurant son pontificat, le pape Jean-Paul II avait lancé à la foule :  » N’ayez pas peur…  » Un antidote au pessimisme ?

> La suite de la phrase disait ceci :  » N’ayez pas peur d’ouvrir les portes de votre c£ur au Christ.  » Par son origine polonaise et par son tempérament de lutteur, il se dégageait de lui une certitude spirituelle paisible. C’est un  » truc  » que j’enseigne à mes étudiants séminaristes : la paix est, à première vue, ce qui permet de distinguer chez quelqu’un une expérience mystique d’un trouble psychologique…

Le pape Benoît XVI stimule-t-il ou freine-t-il les grandes peurs environnementales ?

> Dans sa dernière encyclique, Caritas in veritate, il évoque les enjeux écologiques avec, comme toujours, un temps de retard, parce que l’Eglise est une vieille dame qui prend d’abord l’avis de tous ses experts avant de se prononcer. Mais elle reste très classique dans son humanisme chrétien : la nature n’est pas une sorte d’entité qui se  » vengerait  » de l’homme, mais ce dernier doit veiller à ne pas la détruire, dans son propre intérêt.

ENTRETIEN : MARIE-CECILE ROYEN

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